Officiellement, l’équipe de France n’a déjà rencontré celle du Maroc que 5 fois, depuis 1988, avant de l’affronter en demi-finales de la Coupe du Monde au Qatar.
Mais c’est sans compter, d’une part, deux matches de France B, l’un en 1963 (2-1 pour le Maroc, à Casablanca), l’autre en 1966 (2-2 à Bordeaux –on trouvait chez les Bleus Jean Djorkaeff, le père de Youri, Roger Lemerre, le futur sélectionneur, et un international chevronné comme Yvon Douis, qui avait gagné la troisième place à la Coupe du Monde 1958 !), et surtout d’autre part, tous les matchs disputés au temps où le Maroc était un protectorat français.
L’exception Larbi Ben Barek s’étend à trois autres Marocains
Car il faut d’abord se rappeler que le Maroc a été un protectorat, de 1912 à 1956, et ensuite bien faire la différence entre le statut du Maroc et celui de l’Algérie avant leur indépendance. L’Algérie était un département français, on peut donc la considérer comme ayant été annexée de fait. Le Maroc, au contraire, conservait sa souveraineté…quoique sous tutelle française, dans le cadre d’un protectorat. Cela impliquait que les sujets marocains « autochtones » (comprendre, autres que les colons français …) ne disposaient pas de la nationalité française. Ce point a déjà été souligné, dans l’article consacré par Richard Coudrais à Larbi Ben Barek, indûment sélectionné par la France, puisque ne possédant pas de papiers français, comme l’exige la FIFA, mais seulement considéré comme « assimilé » par la FFF.
Le cas se reproduira d’ailleurs sans davantage faire sourciller la FIFA, pour les trois autres Marocains intégrés ultérieurement à l’équipe de France, à savoir Abdesselem Ben Mohammed (1 sélection en 1953) Mustapha Ben M’Barek (1 sélection en 1950) et Abderrahman Mahjoub (7 sélections de 1953 à 1955, le seul qui ait été par la suite international marocain après l’indépendance et l’affiliation du Maroc à la FIFA - 4 matchs en 1961 et 1962, il deviendra même sélectionneur du Maroc de 1964 à 1967).
Dans le cadre du protectorat, donc, le Maroc, dont la structuration du football avait été l’œuvre de colons français, s’était affilié à la FFF, constituant une de ses Ligues, comme celles d’Alger, Constantine et Oran en Algérie, et comme celle de Tunisie (autre protectorat). Il n’était donc pas affilié (ni affiliable) à la FIFA et ne pouvait rencontrer aucune sélection européenne, ni participer aux Jeux Olympiques ou à la Coupe du Monde.
Just Fontaine a joué pour le Maroc
Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existait pas une sélection du Maroc : il en existait bien une, qui disputait chaque année des matchs contre celles d’Alger, Constantine, Oran, ou Tunis, depuis 1927. Mais cette sélection mixait des éléments français et des éléments marocains, exactement comme celles d’Algérie ou de Tunisie, du reste. On y vit apparaître de nombreux futurs internationaux comme Charbit, Janin, Mairesse, Zatelli et même un certain… Just Fontaine qui, par exemple, joua un Maroc-Alger en décembre 1952 (4-1).
La FFF avait coutume de déléguer son équipe B pour « tourner » en Afrique du Nord, territoire considéré comme un vivier, surtout par les clubs professionnels à partir des années 1930, et c’est ainsi, par exemple, que Larbi Ben Barek fut recruté par l’OM.
On dénombre donc 9 matchs France B –Maroc : en 1928 ( 1-2, pour le Maroc) 1931 ( 0-4 et 3-1) 1934 (2-1) 1937 (2-4), 1941 (1-1), 1948 (2-0) et 1952 (0-0 et 3-0).
Ce qui est intéressant à noter, c’est qu’au début, l’équipe marocaine ne comportait pas un seul joueur autochtone. Elle était ainsi formée, en 1928 : M Gonzalès- Garraux, Rouyer – Guglielmetti, Bru, Galindo – Ardagna, Charbit, Cano, Laporte, Bencivengo.
En 1931, on voit apparaître un joueur maghrébin, qui s’appelle… M’Barek, joue demi-centre, et pourrait bien être notre Larbi Ben Barek (qui s’appelle en fait Ben M’Barek, comme des centaines de Marocains) et aurait eu 17 ans, aux côtés des Zatelli, Charbit ou autres René Cerdan (le frère du boxeur).
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Le Petit Marocain du 21 avril 1941 (BNF Gallica)
En 1941, Marcel Cerdan ailier droit contre la France
En 1934, les Marocains sont au nombre de deux : Abdelkader Elias et Achoud ; en 1937, le nombre passe à 3, le gardien de but Mekki, Trimbo (qui est un pseudonyme) et notre Ben Barek bien connu. En 1941 (il s’agit de la « tournée Borotra », voulue à titre de propagande vichyste par l’ex-mousquetaire–tennisman alors commissaire aux sports, d’une équipe forcément limitée à la ZNO –comprendre zone non occupée, au sud de la ligne de démarcation, théoriquement non contrôlée par les nazis), le nombre passe à 4 : l’arrière Salem, le demi Hamadi, et les avants Ben Barek (qui marquera le but marocain) et Hamiri. On relèvera aussi, pour l’anecdote, la présence à l’aile droite de… Marcel Cerdan, le boxeur, qui était un fan de foot autant, sinon plus, que de boxe.
Comment renoncer au plaisir de citer l’envolée lyrique du Petit Marocain, dans son édition du 20 avril ? On y lisait : « Les sélections métropolitaines apporteront aux sportifs du Protectorat le Salut Fraternel de la France Nouvelle, groupée autour de son chef vénéré, le Maréchal Pétain »… Et allez donc !
En 1948 le nombre d’autochtones augmente nettement, pas moins de 6 : M’Jid –Hassan –Abbès à l’arrière, Homar, Mahjoub et Chicha à l’avant. En 1952, la composante purement maghrébine se fait même encore plus forte : pour le premier des deux matchs, en avril, on trouve Bettache, Bachir et Abbès à l’arrière, Chtouki en demi, Ben Aïssa, Driss, Smaïn et Petchou à l’avant. En décembre, le nombre retombe à 6, le gardien Si Mohammed, les arrières Bettache, Bachir et Abbès, les avants Smaïn et Ben Aïssa, tandis qu’apparaît Just Fontaine devant (mais qui ne marque pas).
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Le Petit Marocain du 23 mai 1948 (BNF Gallica)
Une rupture de dix ans après l’exil du futur Mohammed V à Madagascar
Par la suite, les choses se gâtent dans le royaume chérifien pour les Français. Le sultan Mohammed ben Youssef (le futur Mohammed V, grand’père de l’actuel roi) réclame l’indépendance dès novembre 1952, et pour toute réponse, il est « déposé » en 1953 et exilé à Madagascar, ce qui déclenche un cycle de violence qui ne s’arrêtera pas avant que le gouvernement français ne finisse par céder et rappeler le sultan en novembre 1955, après plus de 800 attentats, faisant des dizaines de morts parmi les Français. L’indépendance sera finalement accordée en mars 1956.
Mais, depuis 1953, il n’est évidemment plus question d’envoyer une sélection française au Maroc, et il faudra donc attendre, comme on l’a vu, 1963 pour qu’une équipe de France, labellisée « B » se rende à Casablanca pour y affronter une équipe marocaine évidemment désormais vierge de tout élément français, et dont j’indique la composition :
Allal – Bettache (le nîmois, le même qu’en 1952) Amar, Jdidi, Abdallah – Tibari, Mustapha (sans doute pas l’international, il aurait eu 37 ans ), Mohammed, Akesbi, Baba, Riahi..
Quant au premier match officiel, estampillé « A », il attendit encore plus longtemps, 1988, donc la bagatelle de 25 ans (et 32 années après l’indépendance marocaine !) et se disputa à Monaco (2-1), dans une ambiance autrement moins chaude que celle qui s’annonce au Qatar (à peine 10000 spectateurs, en arrondissant) ! Encore 10 années de plus à attendre, tant les rancoeurs possibles liées à la colonisation inspiraient de prudence aux autorités françaises, pour voir les Bleus se rendre à Casablanca, en mai 1998 (2-2, un match sans incident aucun).
Il ne s’agissait toutefois que de matchs dits « amicaux » ; celui de mercredi sera le premier match de compétition, avec ce que cela suppose de surcroît d’enjeu et de passion…