12 juin 1998 : France-Afrique du Sud

Publié le 12 juin 2020 - Bruno Colombari - 1

Quatorze ans après une demi-finale historique contre le Portugal, l’équipe de France retrouve Marseille, le Vélodrome et le Mistral pour débuter sa Coupe du monde. Et cette fois Zidane n’est pas ramasseur de balle.

8 minutes de lecture

Le contexte

Que vaut vraiment cette équipe de France hôte de sa deuxième Coupe du monde, soixante ans après celle de 1938 ? Personne n’en sait rien en réalité. Les sept matchs amicaux depuis janvier n’ont dégagé aucune tendance : trois victoires étriquées (1-0) contre l’Espagne, la Belgique et la Finlande, trois nuls peu rassurants face à la Norvège (3-3), la Suède (0-0) et le Maroc (2-2) et une défaite en Russie (0-1). Couplé au remue-ménage médiatique provoqué par l’annonce d’une liste de 28 joueurs, l’épisode rocambolesque de l’élimination de six d’entre eux [1] et au bras de fer engagé par L’Equipe via ses Unes (« C’était quoi ce match ? » après Russie-France, « Et on joue à 13 ? » après l’annonce de la liste étendue), l’ambiance est tout sauf sereine quand arrive le premier match contre l’Afrique du Sud à Marseille, où évoluent Blanc, Dugarry et le défenseur SudAf’ Pierre Issa.

Aimé Jacquet aligne donc sa défense fétiche avec devant Barthez une ligne de quatre composée de Thuram à droite, la charnière Blanc-Desailly et Lizarazu à gauche. Au milieu, Deschamps et Petit seront à la récupération tandis que Zidane et Djorkaeff animeront le jeu, ce dernier plutôt sur la gauche, avec Henry côté droit, chargé d’apporter de la vitesse et de la percussion. Devant, Guivarc’h occupera la pointe de l’attaque. Les Bleus évoluent en 4-2-3-1.

Le champion d’Afrique 1996 n’est pas n’importe qui. Même si ses joueurs sont moins connus que les Nigérians, les Marocains ou les Tunisiens, ils ont déjà posé des problèmes aux Bleus à Lens à l’automne 1997 (victoire française 2-1) et ont disputé la finale de la CAN 1998 à l’Égypte (perdue 0-2) avec Benedict Mc Carthy comme meilleur buteur de la compétition. Et le sélectionneur est français, Philippe Troussier.

Ce dernier s’appuie sur des joueurs expérimentés comme l’attaquant Phil Masinga, le milieu John Moshoeu, le capitaine Lucas Radebe (surnommé The Chief) et le défenseur Mark Fish, et de jeunes prometteurs comme Quinton Fortune. L’équipe se présente dans un 3-5-2 très compact.

Le match

Comment ne pas penser à France-Portugal, quatorze ans plus tôt ? L’installation des Bleus au Moulin de Vernègues à Mallemort le long de la Nationale 7, le mistral violent qui balaie la pelouse et glace les supporters, et Zidane qui était ramasseur de balle ce soir-là et qui porte le numéro 10 de Platini…

Les Bleus ont le vent dans le dos et un premier coup franc dès la deuxième minute est donné à Deschamps pour Guivarc’h dont la frappe passe à moins d’un mètre du poteau de Vonk. Début trompeur. Les Français hésitent entre poser le jeu pour ne pas s’exposer aux attaques adverses et balancer vite en profondeur en sautant le milieu, sans aucun succès. On n’est pas encore inquiet, mais tous ces ballons qui passent au-dessus de la tête de Guivarc’h n’inspirent rien de bon. Il faut un semblant de jeu collectif entre Zidane et Djorkaeff pour que le centre long de celui-ci soit taclé par Deschamps, mais Vonk gagne son duel aérien contre Guivarc’h (12e). Juste après Quinton Fortune vendange un coup franc lointain repoussé par le mur.


 

Guivarc’h sort. Trezeguet ? Non, Dugarry
Rien de notable ne se passe dans les minutes qui suivent, pas même un coup franc de Zidane à 25 mètres, trop haut (17e). Une combinaison à droite Henry-Thuram-Deschamps abouti à un centre brossé sur la tête de Guivarc’h, pas assez appuyée pour tromper Vonk (18e). Juste après, Zidane d’un coup de reins lance Henry plein axe mais celui-ci est devancé de justesse par Pierre Issa. La pression monte d’un cran.

Après un duel McCarthy-Barthez remporté par le gardien français, une touche de Lizarazu est déviée vers l’arrière par la tête d’Issa jusqu’à celle de Guivarc’h qui ne peut redresser suffisamment le ballon. On ne le sait pas encore, mais son genou est touché sur l’action, et cinq minutes plus tard, il doit sortir. Jacquet dispose de deux options : Trezeguet ou Dugarry. Il choisit ce dernier, malgré l’hostilité du public marseillais et des médias qui lui reprochent sa proximité avec Zidane.

Juste après (28e), Petit écope d’un carton jaune pour un gros tacle sur Augustine. Un blessé, un averti, le tout avant la demi-heure, et toujours 0-0 dans un vent qui rend injouable tout ballon un tant soit peu aérien : l’affaire est mal engagée. C’est alors que sur un contre français, Zidane traverse le milieu de terrain et lance Dugarry plein axe, mais l’attaquant marseillais est sur son pied droit, tergiverse et Vonk s’interpose (29e).

Le purgatoire est la porte à côté de l’enfer
C’est alors que Dugarry se fait une énorme frayeur : à trente mètres de ses buts, il frappe du gauche dans le vide, ratant un ballon touché par son pied droit, et offre une occasion à Moshoeu qu’il arrête devant la surface de Barthez. Le combo parfait toile-coup franc concédé. Si les Sud-Africains marquent, Dugarry peut dire adieu à la compétition. Moshoeu tire dans le mur. Fausse alerte.

Et comme parfois le purgatoire est la porte à côté de l’enfer, sur un corner de Zidane Dugarry place une tête croisée parfaite qui vient mourir dans la lucarne de Vonk (35e, lire la séquence souvenir). 1-0, le plus dur est fait.

L’ambiance monte d’un cran au vélodrome où une ola démarre pendant que Zidane régale d’une roulette maison. « Ce soir on vous met le feu » promet le public, ce qui par temps de mistral est très imprudent. Pendant ce temps Petit percute dans l’axe et arme une frappe lourde du gauche que Vonk dégage comme il peut (41e). Alors qu’on attend tranquillement la mi-temps, Nyathi obtient un coup franc près de la touche et trouve la tête de Pierre Issa au second poteau. Juste à côté (45e).

Voir le match complet sur Footballia.net, avec les commentaires de Thierry Gilardi et Charly Biétry

Quand la deuxième période commence, les Bleus ont le vent en face, ce qui n’est pas forcément un mal. Il ne se passe pas grand chose pendant les cinq premières minutes, mais voilà qu’à la 51e, une percée de Henry débouche par un centre en retrait. Issa repousse et Mark Fish dévisse son dégagement en corner. Le Vélodrome réclame une main, et le ralenti le confirmera. Ce sera un corner. Deux minutes plus tard, après une faute de Deschamps qui lui vaudra un carton jaune (encore), Dugarry hérite du ballon en position de hors jeu et marque. But refusé, évidemment.

Au bout d’une heure, enfin une vraie phase de possession
A la 58e, pour la première fois depuis le début du match, on voit une phase de possession longue des Français : 14 passes en 40 secondes. Les olé retentissent, alors qu’il reste plus d’une demi-heure à jouer et qu’il n’y a que 1-0. Au milieu, Zidane tente de mettre de la vitesse et combine de plus en plus avec Lizarazu dans le couloir gauche. Mais avec un Djorkaeff assez effacé et un Henry exilé côté droit et pas très adroit dans ses frappes, le secteur offensif manque de liant.

Exténué, Emmanuel Petit est remplacé par Alain Boghossian à la 73e. Et, comme en première mi-temps, un carton jaune suit, pour Zidane suite à une protestation auprès de l’arbitre. Et, toujours comme en première période, vient ensuite le but. L’action est anodine et part côté gauche : touche de Lizarazu, déviation de Dugarry pour Djorkaeff qui frappe à neuf mètres. Pierre Issa tacle le ballon devant Vonk et prend son gardien à contre-pied (77e, 2-0).

Et un, et deux, et trois-zéro
Le dernier quart d’heure est enfin tranquille. A 2-0, on sait que les Sud-Africains ne reviendront pas, et on est plus près du 3-0 que du 2-1, surtout quand Djorkaeff vendange une offrande de Henry en mode Tigana 84. Il est remplacé par Trezeguet qui fait ses débuts en Coupe du monde, un peu tard dans le match, Dugarry passant à gauche. Physiquement, les Sud-Africains plongent en cette fin de match où les Bleus font à peu près ce qu’ils veulent. La Marseillaise emporte le Vélodrome juste avant que le public s’interroge : « et ils sont où les Bafanas ? »

Alors que le match est quasiment terminé, un dernier corner de Dugarry est repoussé par la défense, revient à Henry qui percute une dernière fois, se présente devant Vonk, pique sa balle au-dessus et marque, même si Pierre Issa, décidément poissard jusqu’au bout, touche le ballon des deux jambes et trébuche avec sur la ligne (92e, 3-0).

La séquence souvenir

Alors que le vent semble tourner du mauvais côté, une incursion de Zidane dans la surface est contrée par Issa. Corner. Zidane, qui en a placé un au troisième poteau quelques minutes plus tôt, va le tirer. Dugarry charge le gardien Vonk dans la surface. puis il s’éloigne de quelques pas, mais n’est pas chargé quand le ballon rentrant de Zidane tombe vers la ligne des 5,50m. Dugarry coupe la trajectoire de la tête, devance Vonk et le ballon va heurter le poteau près de la lucarne, avant d’entrer dans la cage. Poursuivi par Desailly, Dugarry entame une course héberluée à reculons vers le banc français, langue tirée vers la tribune de presse, poings rageurs boxant l’air devant lui de bas en haut. Son dernier but en sélection datait de deux ans, et c’était contre la Roumanie à l’Euro 1996, de la tête lors du premier match, déjà.

Le Bleu du match : Thierry Henry

Il démarre timidement sur l’aile droite où il n’est visiblement pas à l’aise même s’il tente de combiner avec Thuram et Deschamps. Puis, après la sortie de Guivarc’h, il passe côté gauche où il fait jouer sa vitesse, mais ses ballons sont souvent poussés trop loin pour être exploitable. Il se crée un premier semblant d’occasion à la 19e sur une passe de Zidane plein axe, mais Issa le reprend. Et sur un centre de Deschamps, il place une tête plongeante au second poteau, hors cadre (29e). En deuxième mi-temps, il est à nouveau à droite, où il tente un grand pont sur Jackson (49e). A la 70e, servi par Djorkaeff, il tente une frappe aux 20 mètres, un peu forcée. Largement au-dessus. Même chose deux minutes plus tard.

Juste après le but d’Issa contre son camp, Henry perce encore côté droit et trouve en retrait Djorkaeff dont la frappe est trop enlevée (80e). il a des espaces maintenant, comme à la 83e quand, sur une transversale de 50 mètres de Zidane, il démarre le long de la touche, percute, slalome et frappe du gauche, pas assez enroulée. A la 87e, servi par Zidane, il accélère et se fait reprendre par Vonk avant d’être acclamé par la foule. La suivante sera la bonne, et la FIFA lui accordera le but, même si Pierre Issa l’a touché sur la ligne. C’est son tout premier but en équipe de France, à sa quatrième sélection. Il en marquera encore cinquante.

L’adversaire à surveiller : Benny McCarthy

En début de match, il ne touche presque pas de ballon, mais ne rechigne pas à aller presser les défenseurs adverses. A la 12e, il a un peu de champ mais Blanc le rattrape et le tacle impeccablement. A la 19e, il se permet le luxe d’un superbe râteau sur Deschamps au milieu de terrain, mais Zidane le reprend en force. Juste après, gros coup de chaud quand Nyathi le sert en profondeur entre Blanc et Desailly. Il faut une sortie à l’arrache d’un Barthez très approximatif dans ses interventions et ses relances pour couper la trajectoire de l’épaule à l’entrée de la surface (20e).

A la 29e, il s’offre le luxe d’un petit pont sur Henry avant d’être contré dans la surface par Petit. Et à la 36e, il vole un ballon dans les pieds de Lizarazu mais son centre est contré par Petit. On le voit moins après la pause, mais il est là à la 64e quand sur une déviation de la tête de Moshoeu, il devance la défense centrale française mais Barthez sort. Et il vient presser Barthez, un peu à la désespérée, à la 81e alors que le match est désormais plié. Et lui aussi : séché par des crampes, il sort sur civière et est remplacé par Bartlett à deux minutes de la fin.

La petite phrase

Celle de Pierre Issa, impliqué sur les deux derniers buts français : « parfois, des attaquants manquent des pénaltys. Moi, j’ai taclé à l’envers. »

Le témoignage

La fin de l’histoire

Il faut remonter à 1958 pour voir une telle entrée en matière dans une Coupe du monde. Avec un 3-0 et un match contre l’Arabie Saoudite à suivre, les Bleus peuvent dormir tranquilles. Même si tout n’a pas été parfait à Marseille, ils ont fait preuve d’une force de caractère remarquable, et d’une puissance physique très impressionnante. On le sait, un premier match réussi dans un grand tournoi augure toujours d’un premier tour victorieux, et celui-là ne dérogera pas à la règle : l’équipe de France fera encore mieux contre l’Arabie Saoudite (4-0) et finira le boulot avec les remplaçants face au Danemark (2-1).

Quant aux Sud-Africains, leur tournoi ne sera pas à la hauteur de leurs ambitions : ils feront match nul contre les Danois (1-1) et les Saoudiens (2-2). Mais ils prendront leur revanche douze ans plus tard, lors de la Coupe du monde qu’ils organiseront : même si leur victoire (2-1) contre la France éliminait les deux équipes, elle reste la seule obtenue devant leur public. Et en face, il y avait encore Thierry Henry.

[1Letizi, Djetou, Laigle, Lamouchi, Ba et Anelka.

Vos commentaires

  • Le 7 novembre 2020 à 07:28, par Nhi Tran Quang En réponse à : 12 juin 1998 : France-Afrique du Sud

    Pour moi, le bleu du match aurait pu être Dugarry car durant le match il aura tout connu, surpris d’être lancé en cours du match quand Guivarc’h se blesse alors qu’il pensait que ça allait être Trezeguet qui est plus avant-centre que lui, hué par le public après une occasion & une passe ratée, & surtout heureux après avoir marqué le 1er but du match qui lui permet de jouer plus libéré de mieux monter en régime à l’image de l’équipe comme sur son 2ème but logiquement annulée pour hors-jeu & sur son implication indirecte sur les 2 autres buts français (sur le 2ème but, avant que le tir de Djorkaeff soit dévié par Issa, c’est lui qui fait une passe à Youri & sur le 3ème but, c’est lui qui tire le corner auquel Henry marque dessus)

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