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Le contexte
Déjà qualifiés pour le second tour au terme des deux premiers matchs — ce qui n’est arrivé qu’une fois auparavant, en 1984 — les Bleus disposent d’un joker contre le Danemark à Lyon. Mais s’ils veulent garder la première place qui leur assurerait de jouer trois fois au Stade de France et d’éviter le Brésil, mais aussi l’Argentine, l’Angleterre et les Pays-Bas jusqu’en finale, il leur faut au moins un match nul. Surtout, et c’est le plus important, Aimé Jacquet a la possibilité de faire tourner son effectif et d’économiser ses cadres, ce qu’il n’avait pas été possible deux ans plus tôt en Angleterre à cause du nul contre l’Espagne.
Ça tombe bien, car la marge de manœuvre du sélectionneur est particulièrement limitée : Dugarry et Guivarc’h sont blessés et Zidane supendu, alors que Deschamps, Blanc, Lizarazu et Petit ont déjà écopé d’un avertissement. Ce n’est pas bien grave, car les compteurs sont remis à zéro après le premier tour (sauf pour les joueurs expulsés), et d’ailleurs Petit est aligné d’entrée au sein d’une équipe mixte avec une poignée de cadres (Barthez, Desailly, Djorkaeff) encadrant une majorité de coiffeurs (Karembeu, Candela, Leboeuf, Vieira, Pirès, Diomède et Trezeguet). Henry, qui s’est démené lors des deux premiers matchs, est ménagé pour la suite. C’est un 4-2-3-1 où Youri Djorkaeff occupe l’axe et où le duo d’Arsenal Petit-Vieira est chargé de la récupération.
En face, le Suédois Bo Johansson, qui a souffert lors des deux premières rencontres — une courte victoire 1-0 face à l’Arabie Saoudite, et une sévère partie de manivelles contre les Sud-Africains ponctuée par un nul 1-1 et trois cartons rouges — reconduit une onze de départ proche du précédent, seuls Colding et Sand retrouvant le banc, remplacés par Laursen et Heintze. Les Danois évoluent dans un prudent 4-5-1 où l’animation offensive est confiée aux frères Laudrup avec Brian (29 ans) devant Michael (34 ans). Les deux totalisent 180 sélections. Ce sont les deux joueurs les plus expérimentés, avec le gardien Peter Schmeichel (103e cape à Lyon).
Il fait un grand soleil à Lyon, et la chaleur (on joue à 16h) est un facteur important, après deux matchs en nocturne. Mais les deux prochains (huitièmes et quarts) se joueront aussi en plein cagnard, autant s’y habituer.
Le match
Sur un ballon récupéré à 35 mètres, Trezeguet, titularisé pour la première fois, chauffe les gants de Schmeichel d’un tir un peu écrasé (et hors cadre). Les Danois répondent aussitôt par un tir de Nielsen dévié par Desailly qui manque tromper Barthez (3e). Une percée de Laudrup sur une bévue de Vieira manque de peu d’être exploitée par Brian Laudrup, mais Petit revient couper à grande vitesse. Derrière, les Bleus sont concentrés et jouent la ligne.
Le match semble s’équilibrer quand sur un ballon anodin, une passe trop appuyée sur Jorgensen, ce dernier glisse pour éviter la touche et Candela part en contre côté gauche, repique vers l’intérieur, sert Trezeguet dans la surface. Hoeg le fauche. Pierluigi Collina n’hésite pas et désigne le point de pénalty. Qui s’avance pour le tirer ? Djorkaeff bien sûr. C’est l’occasion unique de prendre confiance et de jouer totalement libéré. But, 1-0. Il avait fallu plus d’une demi-heure à l’équipe de France pour ouvrir le score lors des deux premiers matchs, 12 minutes auront suffit à Lyon.
Petit et Vieira en mode Arsenal
A la 19e, Manu Petit tente lui aussi une frappe du gauche à longue portée. Au dessus. C’est nettement plus chaud quatre minutes plus tard quand, après avoir servi Diomède sur la gauche, Vieira est à la réception du centre de l’ailier auxerrois mais sa volée du gauche au point de pénalty rase la barre de Schmeichel. Un superbe travail côté gauche de Candela débouche sur une frappe de Pirès contré par le pied de Hogh. Pendant ce temps, on ne voit toujours pas Michael Laudrup, complètement étouffé en position de numéro 10.
Alors que le jeu des Bleus ronronne sous le chaud soleil estival, les Danois construisent enfin au sol et combinent enfin avec le duo des frères Laudrup. A 40 mètres, Michael trouve Brian en profondeur d’une touche de balle entre Desailly et Leboeuf, et il faut une belle parade de Barthez pour repousser la frappe croisée du cadet (34e). Comme contre l’Arabie Saoudite six jours plus tôt, Bernard Diomède est très actif côté gauche, mais à Saint-Denis ça n’avait duré qu’une mi-temps. En attendant, il sert bien Trezeguet en profondeur au second poteau, mais la frappe de volée de l’avant-centre monégasque est bloquée par Schmeichel (41e).
C’est au moment où on se dit qu’il serait quand même temps de marquer un deuxième but que sur une action anodine, les Danois obtiennent un coup franc, le jouent vite et dans la foulée bénéficient d’un pénalty (voir la séquence souvenir). Michael Laudrup le transforme, et les deux équipes se retrouvent à 1-1 au plus mauvais moment, juste avant la pause. Barthez est furieux.
Voir le match complet sur Footballia.net, avec les commentaires de Pierre Sled et Paul Le Guen
Coup de billard devant Schmeichel
Les Bleus ont du mal à entrer dans la deuxième période, jusqu’à une première occasion franche : depuis le rond central, Petit trouve Djorkaeff en profondeur et la volée de ce dernier est repoussée par le gardien danois. Juste près, Diomède heurte Nielsen d’une tentative de retourné et écope d’un jaune, le premier du match. Puis Petit trouve la tête de Trezeguet au second poteau.
Ces péripéties ont au moins le mérite de réveiller les Français, et ça va rapidement payer : à la 56e, un corner de Djorkaeff est repoussé, repris par Pirès, renvoyé encore, repris par Desailly, repoussé toujours, et Petit frappe du gauche à l’entrée de la surface. Son tir rasant et masqué est touché du pied par Schmeichel et entre. 2-1. C’est le premier but du Dieppois en sélection. Il peut sortir sous l’ovation de Gerland quand Alain Boghossian le remplace.
Le public réclame Henry, alors Jacquet le fait entrer à la place d’un Pirès peu convaincant. Verra-t-on le quatrième but du jeune monégasque ? En tout cas, le duo avec Trezeguet est reconstitué pour la troisième fois, même si à Marseille ça avait été pour une poignée de minutes. A neuf minutes de la fin, justement, un centre de Diomède trouve la tête de Trezeguet au second poteau, lequel remet à Djorkaeff à l’entrée de la surface, mais son tir est contré par… Henry. La volée surpuissante à 20 mètres de Vieira, deux minutes plus tard, est boxée des deux poings par Schmeichel.
Tofting à deux doigts du 2-2
Le 3-1 semble alors tout proche. Alors que Guivarc’h remplace un Trezeguet en demi-teinte, Henry tente une tête (88e) sans succès. Et la dernière occasion franche sera danoise : un coup franc à la 93e minute de Tofting est capté par Barthez du bout des doigts sous la barre avec un rebond sur la ligne.
Gagner les trois premiers matchs, ce n’est pas si simple : avant la France, les seuls pays organisateurs à l’avoir fait en Coupe du monde sont l’Uruguay en 1930 et l’Italie en 1990. L’Allemagne y parviendra aussi en 2006, mais ne gagnera pas le tournoi, comme l’Italie d’ailleurs. Et depuis, jamais les Bleus n’ont fait carton plein au premier tour.
La séquence souvenir
Sur une des dernières attaques danoises avant la mi-temps, Schjonberg sur l’aile gauche cherche Laudrup d’une balle en cloche, repoussée de la tête par Lebœuf. A la tombée, Vieira fait obstruction et l’arbitre siffle un coup franc pour les Danois, à 28 mètres de la cage, côté gauche. Petit s’empare du ballon et, sportivement, le met dans les mains de Michael Laudrup. Le capitaine danois le pose et sert Jorgensen immédiatement dans la surface, alors que les Français sont arrêtés. Candela pousse l’ailier danois dans le dos, pénalty indiscutable.
Chauve contre chauve, Barthez vient discuter avec Collina mais ce dernier est intraitable. Michael Laudrup le transforme sans problème (42e). Ce but n’aura aucune conséquence, mais c’est le premier encaissé par Barthez depuis le début du tournoi, et aussi l’avant-dernier : il faudra attendre 425 minutes pour voir le suivant, signé Davor Suker pour la Croatie sur une autre erreur défensive, Thuram couvrant l’attaquant adverse.
Le Bleu du match : Youri Djorkaeff
A la 4e, il se met en évidence en servant Vieira d’une très belle talonnade, mais la frappe du Gunner est repoussée d’une main par Schmeichel. A la 7e, il cherche Trezeguet sur un coup franc excentré, mais sans succès. Ce sera plus facile à la 12e quand il se présente devant Schmeichel pour tirer un pénalty. C’est lui qui a marqué les deux précédents en 1997 contre la Suède et l’Ecosse. Le gardien fait un peu de déstabilisation en signalant à l’arbitre que le ballon n’est pas sur le point, et ça a failli marcher : Youri le frappe fort sur la gauche et Schmeichel le touche sans pouvoir le dévier. Ouf ! C’est son premier but en Coupe du monde, dans sa ville natale en plus et devant sa famille. Il ne le sait pas encore, mais c’est également son dernier. A la 39e, lancé par Karembeu, il sert Diomède dans l’axe dont la frappe du gauche est contrée. Et juste avant la mi-temps, il sert dans la foulée Petit dont le tir trop écrasé est capté par Schmeichel.
Il est le premier à créer le danger en deuxième mi-temps sur une somptueuse ouverture aérienne de Petit, où il tente une volée très difficile, le ballon arrivant par l’arrière et en hauteur. Schmeichel dégage comme il le peut (52e). Après le but de Petit, il se crée une belle opportunité après un relais de Diomède, mais son intérieur du pied à 25 mètres passe à côté du poteau. A 2-1, il peut même se faire plaisir, comme sur une tentative de déviation de la poitrine à la Ronaldo.
L’adversaire à surveiller : Brian Laudrup
Si son frère Michael était sur le banc des remplaçants lors de France-Danemark 1984, lui était titulaire à Malmö en 1992, lors de la victoire danoise qui éliminait les Bleus et ouvrait la voie du titre de champion d’Europe. Après quatre saisons brillantes à Glasgow, il vient de signer à Chelsea juste avant la Coupe du monde.
Placé à la pointe d’une équipe qui joue très bas, il semble condamné en début de match à lutter à la tombée des dégagements de bûcheron de Schmeichel, mais Desailly et Lebœuf veillent au grain. Et il est souvent piégé en position de hors-jeu, mais pas à la 17e quand il s’infiltre dans la surface, résiste à Desailly et frappe sur Barthez qui avait bien fermé l’angle. Il se crée une superbe occasion à la 34e quand, lancé dans la surface par une passe platinienne de son frère, il voit sa frappe repoussée par Barthez.
En deuxième mi-temps, alors que Ebbe Sand vient le soutenir en attaque (à la place de Jorgensen), Brian Laudrup disparaît de la circulation, ses quelques velléités étant franchement stoppées par Marcel Desailly. Et quand ce n’est pas lui, c’est Vieira qui laisse traîner ses longues jambes. A un quart d’heure de la fin, il jette l’éponge, remplacé par la « tondeuse à gazon » Stig Tofting.
La petite phrase
Emmanuel Petit, racontant son but : « Dans les quinze secondes qui suivent, on va vraiment l’impression de voler ». Il en aura encore l’occasion, 19 jours plus tard, dans les arrêts de jeu de la finale.
La fin de l’histoire
Pas de blessés, pas d’expulsés, une troisiéme victoire en trois matchs, un cumul de 9-1 aux buts : tout va bien pour l’équipe de France d’Aimé Jacquet, dans les temps de passage de son aînée de 1984 (trois victoires, 9-2 de score cumulé). Quelques heures plus tard, une nouvelle étonnante vient de Toulouse : le Paraguay a battu le Nigeria 3-1 et prend la deuxième place du groupe à l’Espagne qui a mis un set à la Bulgarie (6-1).
Les Danois sont quant à eux qualifiés, et vont sortir une très grosse prestation à Saint-Denis face aux stars du premier tour, le Nigeria, proprement éparpillé (4-1). Et ils feront bien mieux que se défendre à Nantes en quart de finale face au Brésil de Bebeto, Rivaldo et Ronaldo en menant au score et en égalisant en début de deuxième mi-temps (2-3). Michael Laudrup peut terminer sa carrière la tête haute, mais son frère Brian joue lui aussi son dernier match en sélection.
Français et Danois se retrouveront encore trois fois au premier tour d’une phase finale : en 2000 à l’Euro, en 2002 et en 2018 en Coupe du monde. Avec une issue heureuse deux fois sur trois.