Le contexte
A ma droite, l’équipe de Belgique de Guy Thys alignée dans sa composition type, celle qui a sorti l’URSS en huitièmes de finale (4-3 après prolongations) et l’Espagne en quart (1-1, victoire aux tirs au but) avant de s’incliner logiquement en demi-finale face à une Argentine supérieure. Le seul changement concerne le milieu de terrain, avec Raymond Mommens à la place de Frankie Vercauteren. Pour le reste, Jean-Marie Pfaff est dans la cage, protégé par une défense Gerets, Renquin, Grun et Demol. Au milieu : Mommens, Vervoort, Scifo et Ceulemans. L’attaque est animée par Claesen et Veyt.
Pour la Belgique, l’enjeu est clair : réaliser la meilleure performance de son histoire six ans après avoir perdu la finale de l’Euro contre la RFA. Et accessoirement, prendre sa revanche sur des Bleus qui lui avaient administré une correction historique en juin 1984 à Nantes (5-0).
A mal gauche, l’équipe de France, pour qui l’objectif était évidemment de disputer la finale au stade Aztèque. On craint un peu la démobilisation de 1982 contre la Pologne (2-3) tant ce match pour la troisième place sent déjà les vacances. Sans parler du côté anachronique de jouer le 64e France-Belgique de l’histoire aussi loin de l’Europe…
Henri Michel a repris la méthode Hidalgo de 1982 en titularisant en priorité ceux qui n’ont pas joué, comme le gardien Albert Rust, champion olympique en 1984 qui fête sa première (et dernière, il a 34 ans) sélection, les défenseurs Michel Bibard et Yvon Le Roux ou le milieu de terrain Bernard Genghini, que l’on aurait aimé voir plus. Les habituels remplaçants Jean-Marc Ferreri et Philippe Vercruysse sont titulaires au milieu, tout comme Bruno Bellone qui accompagne en pointe un Jean-Pierre Papin de retour après un premier tour insuffisant. Et trois des héros de Guadalajara, quand même : Manuel Amoros, Patrick Battiston et Jean Tigana. On se souvient qu’Amoros et Tigana avaient eu les ressources, en 1982, de jouer contre la Pologne moins de 48 heures après la demi-finale de Séville. Ces deux-là sont inoxydables.
Le match se joue dans une ambiance champêtre sur une pelouse bosselée et tondue en cercles concentriques. Le stade Cuhautemoc de Puebla sonne creux avec ses 25.000 spectateurs en comptant large et sa tribune supérieure fermée. Un jour, il faudra se décider sérieusement à supprimer ce genre de match qui ne sert vraiment à rien.
Le match
Le match commence gentiment, sans intensité. Hormis Bellone qui court partout, on sent le manque de rythme des remplaçants français. Il y a la volonté de combiner entre Ferreri, Vercruysse et Genghini, mais ça manque cruellement d’automatismes. Sur une louche d’Amoros dans la surface, Vercruysse trouve Papin qui est encore en mode Canada, avec une frappe trop croisée à dix mètres (9e).
Si Ceulemans...
En face, par contre, on se connaît par coeur. La preuve avec un ballon conservé par Scifo malgré le pressing de Bellone, puis remonté plein axe, un relais avec Renquin qui trouve Ceulemans à l’entrée de la surface. Le capitaine belge perfore, résiste au retour de Le Roux et devance la sortie de Rust. 0-1 à la 11e, pour la troisième fois d’affilée les Bleus encaissent un but dans le premier quart d’heure.
Le match est lancé. Les Bleus, vexés, réagissent immédiatement par une ouverture de Tigana sur Bibard dans la surface, contré, le ballon revient sur Genghini et Papin le pousse dans le but vide mais l’arbitre George Courtney l’invalide pour une main de Bibard. Ce n’est que partie remise, le temps de se faire une grosse frayeur sur une percée de Grun qui sert Claesen sur la droite, dont le centre trouve Veyt tout seul au point de pénalty, mais sa tête passe au dessus des cages de Rust (22e).
Ferreri égalise
Sur un nouveau ballon récupéré par Genghini au milieu, Bellone s’infiltre côté gauche, sert Vercruysse qui ne parvient pas à contrôler au point de pénalty, mais Ferreri arrivé lancé bat Pfaff côté droit d’une frappe sèche (1-1, 27e). On ne voit plus les Belges, sans doute rincés par les efforts des matchs précédents, mais attention à Vervoort sur le côté gauche qui trouve Veyt plein axe. L’attaquant belge est trompé par un rebond et expédie le ballon largement au-dessus (34e).
La mi-temps approche, et l’équipe de France se crée une énorme occasion sur un centre de Bellone trop haut pour Papin, Vercruysse récupère à l’angle des six mètres et au lieu de tirer, sert Ferreri en retrait mais ce dernier est contré (40e). Ce sera pour la prochaine, avec un but de Papin sur une action collective remarquable (2-1, 43e, voir plus bas). C’est son deuxième but en Coupe du monde, et, il ne le sait pas encore évidemment, son dernier.
Frankie Van der Elst a remplacé Michel Renquin à la mi-temps, et d’entrée c’est Genghini qui menace le but belge, d’une volée trop haute puis d’une frappe contrée par Demol dans la surface après un une-deux avec Papin. Puis Ferreri tente une volée sur un centre en extérieur du droit et une combinaison Ferreri-Vercruysse que Papin manque d’un rien de conclure devant Pfaff. Un 3-1 plierait définitivement l’affaire et on n’en est pas loin.
Revoir le match en intégralité
Max Bossis pour une dernière pige
En attendant, c’est Le Roux blessé qui demande à sortir, remplacé par qui ? Par Max Bossis, qui fait donc une ultime pige en Bleu, sa 76e et dernière sélection. De l’autre côté, Enzo Scifo est suppléé par Léo Van der Elst. Faute d’avoir fait la différence, les Bleus vont se faire punir comme les Soviétiques qui menaient eux aussi 2-1. Sur un centre venu de la droite de Van der Elst, Veyt et Claesen sont à la réception face à Bossis et c’est Claesen qui ajuste Rust d’un tir croisé à dix mètres (2-2, 73e). Tout est à refaire.
Il est clair que ni Belges ni Français, qui ont joué trois prolongations à eux deux, ont autant envie d’une demi-heure de rab que de participer à un marathon sous le soleil mexicain. Le problème, c’est que la lucidité et la fraîcheur font défaut des deux côtés. Ceulemans, décidément increvable, manque d’un rien de trouver Claesen à la 84e. Tigana, lui, est cuit, et Tusseau le remplace.
Le temps réglementaire est terminé, il faut donc ajouter une trente minutes d’efforts à 2200 mètres d’altitude.
Genghini fait le break
Sur leur lancée de la fin du match, les Belges pressent au début des prolongations, avec une occasion franche de Gerets lancé par Ceulemans dans la surface, et Rust s’interpose à la limite du pénalty. Devant, les Bleus sont souvent signalés hors jeu, mais ils poussent de plus en plus dans ce septième quart d’heure, notamment par Bellone qui obtient un corner, le tire. Le ballon est prolongé dans la surface par Ferreri, arrive à Genghini, qui bénéficie d’une erreur de Van der Elst et conclut de près du gauche (103e, 3-2).
Avec cette avance, les Bleus peuvent voir venir, mais dès la reprise ils se créent une énorme occasion par Bellone qui se présente devant Pfaff, sert Vercruysse seul devant le but qui manque son contrôle et se fait contrer par Léo Van der Elst. Quelle occasion ! La suivante est signée Bernard Genghini, dont le service pour Amoros est arrêté d’un croche-pied par Eric Gerets. Pénalty indiscutable, qu’Amoros transforme (111e, 4-2) avec un sang-froid total. Ce sera son seul but en équipe de France.
Une tête de Claesen pourrait permettre aux Belges de réduire le score sur un centre de Veyt. Rust est battu mais Bossis sauve sur la ligne. Un centre de Vercruysse relâché par Pfaff est suivi par Papin qui ne cadre pas (112e). Et c’est fini ! Les Bleus font aussi bien que ceux de 1958.
La séquence souvenir
Il reste un peu moins de trois minutes avant la mi-temps, et les Bleus ont mis la main sur ce match, sans pour autant parvenir à faire la différence. Tigana récupère un ballon devant sa surface, sert Vercruysse qui lui remet instantanément. Tigana trouve Genghini qui ouvre en profondeur pour Bellone. Ce dernier remet en retrait pour Genghini dans l’arc de cercle de la surface, lequel décale du droit Papin lancé sur sa droite. De l’angle des six mètres, JPP ne laisse aucune chance à Pfaff. Quinze secondes, sept passes, onze touches de balle, cinq joueurs concernés sur 70 mètres.
Le Bleu du match : Bernard Genghini
Le quatrième membre du premier carré magique, celui de 1982, a disparu des radars depuis l’arrivée de Luis Fernandez. A l’Euro déjà, il n’avait presque pas joué, mais sa prestation contre la Belgique à Nantes avait été éblouissante. Henri Michel le prend dans la liste des 22 pour le Mexique mais ne l’utilise pas, alors que Giresse et Platini peinent à finir leurs matchs. C’est un des regrets de cette Coupe du monde côté français, d’autant que ni Ferreri, ni Vercruysse n’ont su hausser leur niveau de jeu.
Juste avant la mi-temps, il construit une attaque décisive, plein axe, servant d’abord Bellone sur sa gauche puis Papin sur sa droite pour le deuxième but français. Au retour des vestiaires, il tente une reprise du gauche à vingt mètres, pourquoi pas. Il faut attendre la 102e minute pour qu’il bénéficie d’un bon coup franc, à 25 mètres de Pfaff. Le même que contre l’Autriche en 1982 ? Non, le ballon part au-dessus de la transversale. Trois minutes plus tard, il est à la conclusion d’un corner de Bellone et bat Pfaff du gauche, de près. Son sixième but en Bleu, son troisième en Coupe du monde !
Il sera encore à l’origine du quatrième, après une série de dribbles à l’entrée de la surface et un service pour Amoros, taclé par Gerets sanctionné d’un pénalty. On ne le verra plus qu’une seule fois en sélection, en septembre 1986 à Reykjavik contre l’Islande, alors qu’il n’a que 28 ans. De retour du Mexique, il fera un bref crochet par le Servette Genève avant de rejoindre à l’automne Alain Giresse à l’OM.
L’adversaire à surveiller : Jan Ceulemans
A 29 ans, c’est un pilier des Diables rouges, capitaine depuis l’Euro 1984. L’attaquant du FC Bruges a reculé au milieu de terrain, mais il reste toujours un redoutable buteur. Au Mexique, c’est lui qui a égalisé à 2-2 contre l’URSS à Leon, poussant l’équipe de Lobanovski en prolongations. Et en quart, c’est encore lui qui ouvre le score d’une tête plongeante contre l’Espagne. Capitaine Courage, comme on l’appelle dans l’équipe, n’est peut-être pas le joueur belge le plus élégants, mais il reste un redoutable buteur. Il avait d’ailleurs marqué contre la France en avril 1981 au Parc des Princes.
Face aux Bleus, il lui faut une seule occasion pour ouvrir le score sur une remise de Renquin où il remporte un duel de déménageurs contre Yvon Le Roux. C’est son troisième but du Mondial. Il baisse ensuite de pied au plus fort de la domination française, mais son centre pour Demol est tout près de devenir une passe décisive (56e). Son tir du droit à la 65e n’est pas dangereux. Mais son centre pour Claesen oui, à la 84e, et il faut un sauvetage désespéré d’Amoros pour éviter le break. En prolongations, il est toujours là pour allumer une mine du gauche au-dessus (97e) et une du droit qui frôle la transversale de Rust (114e).
A 29 ans, il n’en a pas fini avec la sélection. On le retrouvera en Italie, quatre ans plus tard, où il marquera un but contre l’Uruguay au premier tour, le 23e et dernier en 96 apparitions sous le maillot de la Belgique : un record qui ne sera battu qu’en 2017.
La fin de l’histoire
La très belle décennie des années 80 touche à sa fin pour les deux équipes. La Belgique manquera l’Euro 88 (comme la France) mais participera à la Coupe du monde 1990, où elle sera éliminée contre le cours du jeu par l’Angleterre en huitièmes de finale, après les prolongations. Même résultat quatre ans plus tard aux Etats-Unis, contre l’Allemagne, et encore en 2002, contre le Brésil. C’est alors le début d’une longue traversée du désert qui prendra fin en 2014 et une qualification pour les quarts de finale où les Diables Rouges sont sortis par l’Argentine de Léo Messi. Même performance à l’Euro 2016, mais l’élimination par le Pays de Galles (1-3) est ressentie comme un échec pour une équipe devenue première au classement FIFA en novembre 2015.
Sa meilleure performance, la Belgique la réalisera en Russie, en battant le Brésil en quarts (2-1) et en tombant en demi contre la France (0-1). Mais cette fois, elle prend la médaille de bronze en battant l’Angleterre (2-0).
Les Bleus mettront de leur côté dix ans avant de redresser la barre, tant la fin de la génération Platini (ce dernier joue encore jusqu’en avril 1987, mais Giresse, Rocheteau et Bossis arrêtent après le Mexique) laissera un grand vide. Ni Stopyra, ni Fernandez, ni Bats, ni Amoros, ni même Papin ne parviendront à prendre le relais, et il faudra attendre l’arrivée de la génération Djorkaeff-Zidane, à l’horizon 1994, pour voir enfin revenir les beaux jours.