Antoine Grognet : « Quoiqu’il arrive, je reste en Russie jusqu’à la finale »

Publié le 6 mai 2018 - Bruno Colombari

Journaliste sportif à RFI, où il est chargé depuis quelques mois de suivre les Bleus, Antoine Grognet nous parle de son métier, de la Coupe du monde, de la Russie, de la radio, et même de George Weah, à qui il a consacré un livre.

7 minutes de lecture
A son retour de Russie, il nous a raconté son mois de Coupe du monde au plus près des Bleus. Lire l’article Antoine Grognet : « à la sortie des vestiaires après France-Croatie, c’était le grand n’importe quoi »
Quel est ton premier souvenir des Bleus ?

Mon premier vrai contact avec l’équipe de France s’est fait pendant l’Euro 96 en Angleterre. J’étais en vacances avec mon petit frère en Ardèche, sans télévision. On allait chez un voisin qui, lui, avait la télé et on passait l’après-midi à regarder les matches, notamment ceux des Bleus. J’ai souvenir de la victoire 3-1 sur la Bulgarie en phase de groupes, du quart de finale contre les Pays-Bas et de cette séance de tirs aux buts où Lama repousse la tentative de Seedorf (c’était d’ailleurs la photo de L’Equipe pour illustrer l’article le lendemain).

Cet arrêt m’avait donné une confiance inébranlable pour la séance suivante, contre la République tchèque. Mais Petr Kouba avait sorti le tournoi de sa vie et le penalty de Pedros. En plus, il le repousse de la jambe... Pour un gamin de 11 ans comme moi, ces souvenirs-là sont ancrés. Et plus que la défaite, c’est ce qui s’est passé autour qui m’a marqué.

Les discussions interminables avec mon petit frère sur la manière dont les penalties auraient dû être frappés, sur le match, sur le tournoi de l’équipe. Des discussions que l’on retrouvait aussi dans les médias ! Sur France Inter le soir de la défaite ou le lendemain, l’émission Le téléphone sonne était consacrée ça. Bref ce qui fait aussi le sel du foot et qui en fait un sport à part. 

Comment situes-tu l’équipe actuelle par rapport à ses devancières ? La génération Griezmann est-elle au niveau de la génération Zidane ?

Cette équipe compte des talents offensifs phénoménaux. A chaque match des Bleus, Kylian Mbappé me stupéfie par sa justesse technique, sa vitesse, sa vision du jeu. Il est entouré de joueurs fantastiques sur toute la ligne d’attaque (Lemar s’il était plus régulier pourrait être incontournable, Coman, Martial...). Ce potentiel-là est sûrement équivalent à ce que furent à leur époque Kopa, Fontaine et Piantoni. Ce qui fait de cette génération la plus prometteuse de l’histoire à mon sens.

« La génération Zidane était sûrement plus homogène que l’actuelle »

Reste que les promesses, si elles ne sont pas tenues, sont source de déception, il n’y a qu’à voir le sort d’une génération dorée comme celle de Ginola-Papin-Cantona. La génération Zidane était sûrement plus homogène que l’actuelle, avec des défenseurs extraordinaires,ce qui manque à la génération Griezmann. Koscielny, Varane, Umtiti, Mendy ou Digne manquent encore de vécu voire de vice. Et finalement, la génération Zidane était très déconsidérée avant le Mondial 1998, et portée aux nues ensuite. On espère juger celle-là à sa juste valeur.

Tu vas suivre les Bleus pour RFI en Russie. En quoi va consister ton travail ? Décris-nous un jour sans match et un jour de match (ou de lendemain).

Mon travail consistera à suivre l’équipe de France de football au Mondial, traiter de l’actualité des Bleus dans les journaux des sports de RFI et également à travers un module nommé le Journal des Bleus.

En gros, les dernières informations concernant l’équipe et sa préparation des matchs. Pour cela, je me rendrai au camp de base des Bleus, à Istra, assister aux entraînements, aux conférences de presse et réaliser quand ce sera possible des interviews des membres du staff ou des joueurs de l’équipe de France.

« La journée commence vers 10h et se termine aux alentours de 3-4h du matin »

Et puis les jours de match, en compagnie d’un autre journaliste, nous nous rendrons au stade pour y commenter les rencontres, en intégralité. En général, les portes ouvrent entre trois et quatre heures avant le coup d’envoi. J’aime me rendre tôt au stade, pour y vérifier les réglages de la ligne qui me servira à retransmettre le match. Je m’imprègne de l’ambiance, je peaufine mes fiches en tribune de presse, elles me seront bien utiles pour commenter la rencontre.

Ensuite, au coup de sifflet final, je cours vers la zone d’interview, nommée la zone mixte, où les joueurs sortant du vestiaire passent pour rejoindre leur bus. Certains s’arrêtent pour répondre aux questions des journalistes et leurs réponses seront utilisées dans les journaux des sports et le journal des Bleus.

Un match commenté à la radio, c’est beaucoup de travail avant, pendant et après le match. En général, la journée commence vers 10h et se termine aux alentours de 3-4h du matin. Mais on ne voit pas le temps passer !

Quels sont les auditeurs de tes émissions sur RFI ? Ton travail est-il différent de celui des suiveurs qui travaillent pour des stations diffusées en France ?

RFI a vocation à émettre partout dans le monde mais surtout en Afrique. Nous nous adressons donc en majorité à des auditeurs africains ou des Français vivant en Afrique. Les auditeurs sont passionnés de football (pour preuve, le succès de notre quotidienne Radio Foot Internationale). Mais nous ne sommes pas spécialisés dans le sport comme peut l’être RMC. L’important est donc de vulgariser au maximum, de ne pas trop rentrer dans les détails techniques mais au contraire rester le plus abordable possible dans notre approche des matches. 

« Le cas de Bouna Sarr, qui pourrait se retrouver en équipe de France, est intéressant »

Par exemple, il faut souvent présenter aux auditeurs les joueurs dont on leur parle, les resituer pour ceux qui ne s’intéressent pas au football quotidiennement mais seulement lors des grandes compétitions. Et mettre parfois l’accent sur les joueurs français ayant des origines africaines. Par exemple, à quelques semaines du début de la Coupe du monde, le cas de Bouna Sarr, que la Guinée et le Sénégal suivent assidûment mais qui pourrait se retrouver en équipe de France est intéressant.

Tout comme celui de Steven Nzonzi, que les Léopards de République Démocratique du Congo ont longtemps espéré avant qu’il ne dispute des matches (amicaux) avec les Bleus. Ceci dit, le sport est un tel vecteur d’émotion et la radio un média si vivant qu’on ne s’ennuie jamais.

L’accès aux joueurs est-il de plus en plus difficile ? Vu de l’extérieur, on a l’impression d’un discours très formaté, même si des médias comme So Foot essaient d’en sortir…

Je suis encore un peu jeune pour sombrer dans le « c’était mieux avant » ! Mais l’accès aux joueurs de niveau international est effectivement compliqué. Pour obtenir une interview, il faut quasi obligatoirement passer par leur agent ou leur conseiller d’images. Le contact direct est bien plus difficile à établir. Et il est impossible sur certaines compétitions comme l’Euro ou la Coupe du monde où tout est cadenassé.

« Benjamin Pavard m’a surpris après le match contre l’Allemagne »

Quant au discours des joueurs, c’est notre métier de journaliste, il faut savoir passer par-dessus les phrases convenues et saisir les nuances dans le discours. Car contrairement à ce qu’on peut entendre ici ou là, les joueurs expriment énormément de choses. Certains sont extrêmement professionnels et se présentent devant les journalistes même après des défaites, à un moment où ils n’ont absolument pas envie de parler. Blaise Matuidi est exemplaire sur ce plan-là.

Et parmi les joueurs actuels, il y a quelques bons clients comme on dit. Ainsi, Benjamin Pavard m’a surpris en zone mixte après le match de novembre contre l’Allemagne. Même pas 22 ans, première convocation en Bleus et après le match nul, il sort un « ça me fait chier » rafraîchissant.

Ton séjour en Russie est-il dépendant du parcours des Bleus ?

Non. Tant que les Bleus sont en course, je les suis, je commente leurs matchs, je fais mes journaux des Bleus. Mais quoiqu’il arrive, je reste jusqu’à la finale. C’est une mission très longue, une des plus longues que l’on fasse à RFI. Ce sera ma première Coupe du Monde.

La durée est assez similaire à celle des Coupes d’Afrique des nations, donc a priori j’ai l’habitude. Ce qui est sûr, c’est qu’à partir du 15 mai, date de l’officialisation de la liste des 23 et jusqu’au 16 juillet, date de mon retour de Russie, je vais me consacrer à l’équipe de France quasiment à 100%.

Comment te prépares-tu, un mois avant le début de l’épreuve ?

A un mois, la préparation s’intensifie vraiment. Je reprends d’abord les notes des matches éliminatoires auxquels j’ai assisté pour me remémorer un peu les épisodes précédents. Je fais des fiches sur les joueurs français susceptibles d’être sélectionnés (nombre de matches joués en club, buts, passes, etc), en attendant évidemment la liste définitive qui sera pour moi le vrai coup d’envoi du mondial.

Je me renseigne sur les endroits où j’irai, les villes, les stades... Je refais un peu l’historique des résultats français en Coupe du monde. Je consomme énormément de papier avant une compétition comme celle-là ! Et comme je vais commenter le match d’ouverture, je me mets aussi à travailler sur la Russie et l’Arabie saoudite.

Quelles qualités spécifiques demande un commentaire de match à la radio ? Du souffle, de l’éloquence, la capacité à décrire une action et un contexte ?

La qualité principale pour un commentateur radio, c’est je crois la spontanéité. Notre travail c’est de décrire à des gens qui ne les voient pas des actions relativement rapides. On doit faire en sorte en permanence que l’auditeur sache où se déroule l’action sur le terrain. 
Chacun commente le match selon son vécu et sa manière de voir le foot. 

« Nijni Novgorod est un nom qui me fait rêver depuis l’école primaire »

L’avantage au service des sports de RFI, c’est que d’un journaliste à l’autre, nos univers et donc nos manières de commenter sont différentes. Entre ceux qui ont un style assez direct, et ceux qui aiment en rajouter les tandems sont souvent assez complémentaires.

Es-tu déjà allé en Russie ? Quels sont les pays que tu as visités dans le cadre de ton métier ? Lesquels t’ont le plus marqué ?

Je ne suis jamais allé en Russie, ce sera ma première fois. Et je vais avoir l’occasion de voir plusieurs villes (Moscou, Ekaterinburg, Kazan, peut-être Nijni Novgorod qui est un nom qui me fait rêver depuis l’école primaire et la lecture de Michel Strogoff)…

On a la chance pour RFI de voyager beaucoup et dans des pays que l’on n’aurait pas forcément l’idée de visiter lorsqu’on est en vacances. Alors qu’ils peuvent s’avérer magnifiques.

Depuis 2011, dans le cadre professionnel, les pays européens que j’ai visités, c’était pour suivre l’équipe de France : la Bulgarie (Sofia) et l’Allemagne. Pour mes autres missions, je suis allé en Afrique du Sud, au Sénégal, au Gabon, au Congo Brazzaville.

J’ai été très marqué par l’Afrique du Sud et la beauté de certaines villes comme le Cap. C’est également un pays où le cadre quasiment occidental des grandes villes est très vite contrebalancé par la présence de bidonvilles dans la périphérie immédiate. J’ai aussi une affection particulière pour le Sénégal, où j’ai vécu une année entière.

Tu es l’auteur de Mister George, une biographie romancée de George Weah. Premier ballon d’or africain, premier footballeur président... Que t’inspire son parcours ?

George Weah a un parcours presque irréel. C’est l’aspect inédit également de cette formidable ascension qui la rend passionnante. Il a défié au cours de sa vie toutes les règles que l’on pourrait croire immuables. Et il a un côté Don Quichotte africain, si je peux dire. Il a affronté sa propre pauvreté et l’a vaincue à la force de ses pieds (et pas de son épée).

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Il a affronté le racisme, au PSG et à Milan. Weah, c’est un gagnant dans tous les domaines possibles. Même si ses résultats en tant que président doivent être jugés par l’Histoire, on peut déjà dire qu’il a réussi à susciter un espoir formidable partout dans le monde.

Mais Don Quichotte poursuivait une chimère, et sans doute Weah en a-t-il involontairement créé une, celle que son histoire puisse être reproduite un jour. C’est ce que j’essaie de décrypter dans mon roman.

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