Avec la Ligue des Nations, les matchs amicaux se raréfient avant sans doute de disparaître à terme ; et le poids des rencontres en compétition va s’accroître. Alors qu’elles ne représentent que 43 % du total des matchs joués depuis 1904, il ne faudra pas deux décennies pour les voir devenir majoritaires.
Pour l’heure, je vous propose de regarder à quoi ressemble le bilan des Bleus en compétition. On pourrait penser logiquement qu’il est moins bon que le bilan général, la France ayant acquis il y a quarante ans le titre en carton-pâte de championne du monde des matchs amicaux, à l’époque où elle collectionnait les scalps de la RFA, du Brésil ou de l’Italie.
Eh bien pas du tout. Alors qu’elle a atteint le seuil de la moitié de victoires sur le total des matchs au début de l’Euro 2020, elle l’a largement dépassé en compétition (578%). Et ses 21% de défaites dans les matchs qui comptent sont bien plus honorables que ses 29% de matchs perdus au bilan général. En partie grâce à des phases qualificatives bien négociées depuis 25 ans, mais aussi par la qualité de ses phases finales : depuis 2014, l’équipe de France a joué 36 matchs de ce type, et elle en a perdu seulement 4 (Allemagne 2014, Portugal 2016, Tunisie 2022 et Espagne 2024), pour 22 victoires et 10 nuls.
L’explication est évidente quand on prend la peine de découper les 120 ans d’histoire en grandes périodes. Les voici.
Les années pour du beurre
L’histoire des Bleus s’est longtemps jouée sur un mode amical : entre 1904 et 1958, l’équipe de France n’a disputé que 33 matches de compétition sur 246 (13% du total). Quinze de ces matches ont été joués en Coupe du monde dont quatorze en phase finale en Uruguay (1930), en Italie (1934), en France (1938) en Suisse (1954) et en Suède (1958). Il faut en ajouter un en qualification (1934) et sept lors des Jeux olympiques de Londres (1908), Anvers (1920), Paris (1924) et Amsterdam (1928). Au total, 17 victoires, 3 nuls et 13 défaites, avec en point d’orgue la demi-finale mondiale contre le Brésil, à l’extrémité de la période.
Le bilan de ce premier demi-siècle est d’ailleurs largement valorisé par ses huit dernières années. C’est en effet à partir de la Coupe du monde 1950 que les choses changent. Entre septembre 1949 et l’été 1958, en moins de neuf ans donc, les Bleus jouent 19 matches de compétition sur 69. Les résultats progressent nettement, avec 12 victoires pour 3 nuls et 4 défaites dus essentiellement à l’épopée suédoise.
La création en 1960 d’une Coupe d’Europe des Nations intercalée entre deux Coupes du monde va donner un second coup d’accélérateur aux matches de compétition. Jusqu’en 1978, les Bleus jouent désormais 139 matches, dont 62 en compétition (44,6% du total). Le bilan se détériore par rapport au précédent : 27 victoires, 12 nuls et 23 défaites et rien de mieux qu’une demi-finale perdue en 1960.
Tout pour la compétition
A partir de 1980 se met en place un Euro à 8 participants, tandis que la Coupe du monde passe de 16 à 24 pays. Entre l’été 1978 et la fin 1993, les Bleus jouent 78 fois en compétition sur 131 matches (59,5 % du total). Le bilan est brillant avec 45 victoires, 16 nuls et 18 défaites. Et au passage, un titre de champion d’Europe et deux demi-finales mondiales.
Enfin, l’Euro 1996 marque le passage à 16 équipes, tandis que la Coupe du monde accueille 32 nations deux ans plus tard. Entre 1994 et 2006, les Bleus vont jouer 80 fois en compétition sur 162 matches (49,4%). Sur cette période, l’équipe de France est souveraine : 52 victoires, 22 nuls et seulement 6 défaites. Et un titre de champion du monde, un autre de champion d’Europe, deux coupes des confédérations et une finale mondiale.
L’avant-dernière période, qui débute après la finale de Berlin et s’achève après le deuxième titre mondial, est presqu’aussi bonne. Sur un nombre de matchs en compétition comparable (83 au lieu de 80), elle est seulement plombée par neuf défaites de plus. Mais celles-ci sont dues pour la plupart aux années 2006-2012 avec 10 matchs perdus sur 44 en compétition. Depuis l’arrivée de Deschamps et jusqu’à la finale de Moscou, les Bleus en ont perdu 5 sur 39...
Une sixième période sur courant alternatif
Arbitrairement, je fais démarrer une nouvelle période en septembre 2018, même s’il y a continuité évidente avec au moins les quatre années précédentes. L’idée est de faire des périodes homogènes en nombre de matchs (162 pour 1994-2006, 161 pour 2006-2018) et de rencontres en compétition (80 et 83). Et comme les deux dernières périodes achevées ont duré 12 ans, celle qui a commencé après la dernière Coupe du monde devrait aller jusqu’en 2030, soit environ la fin de la carrière internationale de Mbappé.
Cette dernière tranche, depuis septembre 2018 donc, a connu trois phases. Une première assez difficile tout au long de la saison 2018-2019, avec deux nuls et deux défaites pour cinq victoires. Une deuxième beaucoup plus brillante entre septembre 2019 et novembre 2021 avec 13 victoires, aucune défaite et sept nuls, donc cinq consécutifs en juin et septembre 2021. Et une nouvelle phase sur courant alternatif avec un gros passage à vide entre juin et septembre 2022 (trois défaites et deux nuls en six matchs), suivi d’une Coupe du monde brillante (5 victoires, un nul et une défaite), d’une phase qualificative statistiquement très bonne (7 victoires, 1 nul) d’un d’Euro décevant (2 victoires, 3 nuls et une défaite) et d’une nouvelle phase qualificative très mal démarrée mais mieux poursuivie (3 victoires, une défaite).
Le bilan d’ensemble de cette période post-Coupe du monde est d’ailleurs très proche de celle des six premières saisons de Deschamps, avec 41 victoires, 16 nuls et 8 défaites.
En 2002-2004, 14 victoires consécutives. Qui dit mieux ?
Venons-en maintenant aux séries de victoires consécutives. La plus impressionnante est celle qui va de septembre 2002 à juin 2004. Jacques Santini enchaîne ainsi huit rencontres qualificatives pour l’Euro, les cinq matches de la coupe des confédérations (à domicile, il est vrai) et le premier match de l’Euro au Portugal. Quatorze victoires de rang, un total qui sera très difficile à égaler.
Michel Platini avait pour sa part enchaîné dix victoires de rang en tant que sélectionneur entre octobre 1989 et novembre 1991, avec deux succès en qualification pour le Mondial 1990 (mais les Bleus étaient déjà éliminés) et huit autres en qualification pour l’Euro 1992.
En 1984, il avait fait presque aussi bien en tant que joueur, avec huit victoires d’affilée lors de l’Euro (cinq) et des qualifications pour le Mundial 1986 (trois).
Entre 1994 et 1999, quatre ans et demi sans défaite
Enfin, si on élargit cette étude aux périodes sans défaite, la plus longue s’étale sur quatre ans et demi, entre septembre 1994 et mars 1999 avec 27 matches dont 16 victoires. A noter toutefois que, les matches terminés aux tirs au but étant enregistrés comme des nuls, les Bleus en ont perdu un en 1996 contre la République tchèque et remportés deux contre les Pays-Bas (1996) et l’Italie (1998).
La défaite contre le Danemark en juin 2022 a brisé la superbe série de 27 matchs de compétition sans défaite (record de 1999-2004 égalé, donc) depuis juin 2019 et le 0-2 encaissé à Konya face à la Turquie. Dans l’intervalle, les Bleus de Deschamps ont enchaîné 19 victoires et 8 nuls, Euro 2020 compris. Ils ont fait donc mieux que ceux de Lemerre et Santini, même s’ils ont été éliminés une fois au tirs au but (Suisse, 2021).
Raymond Domenech avait approché ce total avec une série d’invincibilité de 19 matches entre septembre 2004 et septembre 2006, tout comme Jacques Santini, puisque la série de 14 victoires de rang a été complétée par un nul (Croatie 2004) et une autre victoire (Suisse 2004).