Les premiers Bleus : Joseph Del Vecchio, Marcel Pacot et Eugène Petel

Publié le 26 janvier 2024 - Pierre Cazal

Et voici trois éphémères de 1909 et 1910 sur lesquels les informations sont très rares. Qui étaient Del Vecchio, Pacot et Petel ? Quelle trace ont-ils laissée dans l’histoire de l’équipe de France d’avant-guerre ?

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
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Dans la subdivision les Inconnus de la série Les premiers Bleus, difficile de faire mieux que le trio Delvecchio-Pacot-Petel. A titre d’exemple, le premier dictionnaire connu des internationaux, paru dans le Cahier de l’Equipe 1954, dit ceci : Delvecchio, 1 sélection, AS Amicale, attaquant ; Pacot, 1 sélection, Pierrefitte, avant ; Petel, 1 sélection, demi de l’AS Amicale.

Rien de plus ! On savait qu’ils n’avaient été sélectionnés qu’une seule et unique fois (juste) et on connaissait leurs clubs ; mais aujourd’hui, 70 ans plus tard, que sait-on de plus ? Assez peu, à vrai dire.

  • L’Auto du 23 mai 1909 (BNF, Gallica)

Une fédération cycliste et athlétique

Mais tout d’abord, quelques mots sur la FCAF, la Fédération cycliste et athlétique de France, à laquelle le Club Athlétique de Pierrefitte, ainsi que l’AS Alfortvillaise, devenue en 1912 AS Amicale de Maisons-Alfort par fusion, étaient affiliées. Dissidente de l’UVF (fédération vélocipédique), puis rejetée par l’USFSA pour faits de professionnalisme (certains de ses adhérents, essentiellement dans le cadre du cross-country, recevaient des primes), la FCAF présidée par Louis Chailloux avait cherché appui auprès de Charles Simon et de la FGSPF, d’où la naissance du CFI, qui fédérait une myriade de petites fédérations dont le point commun était d’être dans le collimateur de la toute puissante USFSA. Très enthousiaste, la FCAF, sitôt l’affiliation à la FIFA acquise (13 décembre 1908) s’était empressée de procéder à un match de sélection, opposant classiquement des Probables à des Possibles, et ce… dès le 25 décembre 1908 ; bien avant la FGSPF elle-même !

Comptes d’apothicaires

Et, parmi les Probables, on trouvait déjà Delvecchio et Pacot. Ensuite, les tractations avec la FGSPF ont commencé : en janvier 1909, la FCAF réclame pas moins de cinq places dans la future équipe de France du CFI, et désigne Th. Buet, Bizzini, Engel, Marodon et Sollier… mais ni Delvecchio, ni Pacot, et encore moins Petel. Mais, face à la Belgique, aucun des cinq, bien que Sollier fût prévu titulaire : on a vu, dans l’article consacré à Tossier et Guerre, qu’il avait dû déclarer forfait, et quant à Pacot, il n’était que remplaçant, pas sûr qu’il ait fait le déplacement à Bruxelles. Quinze jours plus tard, à Gentilly, il faut affronter l’Angleterre, et cette fois-ci Sollier est là, ainsi que Pacot ; pas moins de trois joueurs de la FCAF parmi les remplaçants, histoire de faire un geste (Hottelart, Marodon et P. Richez).

Ce sera tout pour 1909, et en 1910, apparaissent donc Delvecchio et Petel contre la Belgique, avec Sollier et Jourde, de Vitry, rejoints par Vascout contre l’Angleterre. Au final, c’est donc contre la Belgique en 1910 que la FCAF a compté le plus grand nombre de représentants : quatre. Par la suite, ce chiffre ne cessera de baisser, et la FCAF ne parviendra plus à placer de joueur après janvier 1913, bien que forte de trois membres au comité de sélection. En tout, la FCAF aura fourni neuf joueurs à l’équipe du CFI.

  • L’Auto du 3 avril 1910 (BNF, Gallica)

Del Vecchio, pas Delvecchio

Venons-en aux cas individuels, et en premier, Delvecchio, ou plus exactement Del Vecchio à l’état-civil, nuance. Fils d’un maçon italien immigré, et naturalisé en 1894, Joseph Del Vecchio était né le 23 juin 1885 à Alfortville, qui abritait plusieurs clubs, lesquels ont tous fini par fusionner pour donner l’AS Amicale en 1912, Maisons-Alfort jouxtant Alfortville. Ce petit club a joué (et perdu) la finale du championnat FCAF en 1909, face au Star Club de Caudry (2-4) ainsi qu’en 1913 (face à la VGA du Médoc, 0-2). Très petit (1,57 m), Del Vecchio, ailier gauche, est décrit comme « vite et centre bien, mais trop petit, n’a pas de poids », ce qui est perçu comme rédhibitoire. Il était de la présélection de décembre 1908 mais n’avait pas été retenu en 1909 ; finalement on lui donne sa chance face aux Belges en avril 1910 (à la place de… Pacot), mais il ne peut la saisir : le match est outrageusement dominé par les Belges et Del Vecchio a bien peu de ballons à utiliser (0-5).

Il ne doit pas démériter, car il est repris pour affronter l’Angleterre, mais il ne peut se libérer pour le déplacement à Brighton (il est serrurier et a ses contraintes) et déclare forfait à la dernière minute, ce dont on lui tiendra rigueur : il ne sera jamais rappelé, même pour les matchs de sélection. Il joue jusqu’en 1914, fait la Guerre et en sort indemne, et on perd ensuite sa trace. Il est décédé à Conflans-Sainte Honorine le 20 mars 1971.

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Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?

Eugène Petel, pigeon voyageur

Passons maintenant à Petel, dont le cas est très différent. Né à Paris le 10 novembre 1888, Eugène Petel était d’un tout autre gabarit (1,71 m). Joueur brillant, au poste de demi ou d’arrière, il est qualifié d’« excellent ; peut tenir n’importe quelle place. Bon dribbleur et shooteur de grande classe », car il est capable de tirer de loin, ce qui est rare à l’époque. C’est aussi une forte tête, réputé parler haut et fort sur un terrain ; on l’accusera même, en 1913, d’avoir ordonné à ses coéquipiers de quitter le terrain, au motif que l’adversaire, l’US Clichy, jouait trop brutalement (et… menait alors 7-0 !). Sa sélection face à la Belgique en avril 1910 soulève des critiques : « Que viennent faire dans ce team les joueurs de la FCAF ? Nous avons ouï dire que Sollier, Petel, ex-étoiles de faible grandeur de l’Union (USFSA), ont aussitôt que transfuges, été reconnus excellents : le procédé est un peu leste ! »

Il est vrai que Petel était un véritable pigeon voyageur, changeant de club sans arrêt, à une époque où les transferts n’existaient pas et où les clubs étaient, officiellement du moins, amateurs. Formé au CA 14ème (Club Athlétique du 14 ème arrondissement de Paris), Petel passe au CASG, puis à l’ASA, au CSA (Club des Sports Athlétiques), pour finir en 1914 à l’Olympique de Pantin ! Son passage (éclair) à la FCAF s’explique par une accusation de professionnalisme lancée à l’USFSA (raison pour laquelle il est traité de tranfuge), comprendre qu’il touchait des primes occasionnelles dans tel ou tel club, pour mettre du beurre dans ses épinards (il était officiellement représentant de commerce). Il avait un frère, Gaston, de plus belle taille que lui (1m84), qui aurait pu être international : il fut préselectionné en octobre 1911, mais finalement pas retenu.

Les deux frères partagèrent le même sort au front : Eugène, blessé le 8 septembre 1914, mourut à l’hôpital d’Orléans le 22, tandis que son frère Gaston fut tué le 22 janvier 1915.

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Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?

Pacot, sûrement pas Jean

Il reste maintenant le cas de Pacot, qui n’est pas totalement éclairci. Ce n’est pas sa carrière qui pose problème : on sait qu’il n’a connu que le seul club du CA Pierrefitte, jusqu’à la Guerre, un club très modeste qui ne fait que de la figuration, même dans le très modeste championnat de la FCAF ! Pacot devait vraiment trancher sur ses coéquipiers, pour être remarqué, au point de figurer dans la présélection à laquelle la FCAF s’empresse de procéder dès la fin décembre 1908.

Seulement retenu comme remplaçant contre la Belgique en mai 1909, il est titularisé contre l’Angleterre quinze jours plus tard. Il n’y brille pas, car il ne sera jamais plus reconvoqué par le CFI ; par contre, il est de presque toutes les sélections de la FCAF, car cette fédération, soucieuse d’exister à côté de la FGSPF plus puissante, persiste à monter des sélections chaque année, et à leur faire disputer des matchs, qui ne sont pas internationaux. Par exemple, en 1913, la sélection FCAF joue contre la LFA (Ligue de Football-Association, adhérente du CFI), avec Pacot et Petel ; puis contre une sélection de Seine-et-Marne, etc…Pacot est donc toujours considéré comme un des meilleurs joueurs de la FCAF… mais pas du CFI, et ça ne s’améliore pas, au fur et à mesure que le CFI englobe la LFA, puis l’USFSA. Il y a désormais trop de concurrence pour Pacot, de même que pour Del Vecchio, du reste.

Le problème qui se pose est celui de son identification. Qu’on en juge : pour Wikipedia, il est Jean Pacot, né en 1890 à Paris ; pour la FFF, Jean Pacot également, né en 1898 à Pantin ; pour l’equipe, Jean Pacot né en 1889 à Pierrefitte, pour le Dico des Bleus, Jean Pacot toujours, né en 1890 à Pantin, pour Database Marcel Pacot, né en 1889 à Pierrefitte !

Marcel Pacot, hypothèse probable

Comment s’y retrouver ? Tout d’abord, en éliminant Jean Pacot : il n’y en a pas trace, où que ce soit, ni à Pantin, ni à Paris, ni à Pierrefitte. Alors, Marcel ? Le seul indice qui puisse nous y mener se trouve le 20 avril 1909 sur l’Auto, où figure la composition des différentes commissions du Club Athlétique de Pierrefitte. Les membres des commissions sont désignés par leur nom, précédé de l’initiale de leur prénom : dans la commission d’athlétisme, figurent M. Pacot, Ad. Morice, F. Cousin ; dans celle de football, M. Pacot encore, L. Ledoux,Ed. Morice. On voit donc que M. Pacot ne veut pas dire Monsieur Pacot, mais désigne un prénom commençant par un M…comme Marcel. Autre indice : en 1908 Pacot participe aux championnats d’athlétisme de la FCAF, il se classe 5ème du 100 mètres, et 2ème en longueur.

Fort de ces indices, on trouve aisément à l’état-civil et militaire parisien Marcel Louis Pacot, né dans le 18ème arrondissement de Paris le 21 janvier 1890, mais résidant à Pantin, exerçant la profession de chauffeur-livreur, mesurant 1,63 m ; il a été fait prisonnier de guerre dès août 1914 à Morhange, et libéré seulement en décembre 1918 ; réaffecté immédiatement dans un bataillon d’Infanterie (car l’Armée ne faisait pas de cadeaux aux prisonniers, toujours plus ou moins suspectés de s’être laissés capturer plutôt que de mourir sur place en tirant jusqu’à la dernière cartouche !) et rendu à la vie civile en août 1919. Marcel Pacot décède le 12 juillet 1962 à Provins.

Il constitue l’hypothèse la plus probante, celle qui semble correspondre le mieux au Pacot international de Pierrefitte… sauf que Marcel Pacot, selon sa fiche militaire, a toujours résidé à Pantin, et jamais à Pierrefitte. Pantin et Pierrefitte ne sont pas des localités voisines, 14 kilomètres les séparent, ce qui en 1900 n’est pas rien. Certes, Pierrefitte était desservie par un tramway dès 1900, et Pantin aussi, avant la ligne de métro ; mais cela supposait un déplacement de 40 bonnes minutes chaque fois qu’il s’agissait d’aller à l’entraînement ou de jouer un match. Tout à fait possible, mais on s’interroge sur la motivation : en effet, il existait un club à Pantin, à deux pas du domicile des Pacot, le SA Pantin, devenu en 1908 l’Olympique de Pantin (le club formateur de Devaquez, notamment), club d’une autre taille que le tout petit CA Pierrefitte ! Pourquoi aller chercher plus petit loin de chez soi, quand on a plus grand sans se déplacer ?

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Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?

Il m’est donc actuellement impossible de trancher, au vu de tous ces éléments. Jean Pacot, c’est sûr que non, et il n’existe aucun J. Pacot compatible : « à l’extrême-droite, un jeune appelé à progresser en peu de temps », écrit l’Auto le 27 décembre 1908 », cela signifie qu’il n’a pas 20 ans ; cela réduit le champ des investigations pour ce Pacot… Marcel correspond parfaitement, il n’a pas encore 19 ans. M.Pacot, cela semble assuré, mais si on cherche à Pierrefitte à l’état-civil, on n’en trouve pas. Tout repose donc sur la question : habitant à Pantin, est-il plausible d’aller jouer à Pierrefitte ?

Je laisse chacun répondre.

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Je laisse également les lecteurs de Chroniques bleues apprécier la photo ci-dessus, qui n’a été publiée que dans une revue allemande à laquelle je l’avais fournie il y a plus de 20 ans, d’où le texte de la légende en allemand ; l’identification des joueurs est reprise de l’original, qui figure dans la revue Le Plein Air en 1910. Cette photo est, à ma connaissance, la seule qui permette de voir des joueurs comme Tessier, le gardien auquel un article a déjà été consacré (on voit bien qu’il mesurait 1m79 !), mais aussi Sollier, Mercier, Petel et Del Vecchio.

Le seul match de Joseph Del Vecchio et Eugène Petel avec l’équipe de France

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps Jeu
1 Amical 03/04/1910 Gentilly Belgique 0-4 90

Le seul match de Marcel Pacot avec l’équipe de France

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps Jeu
1 Amical 22/05/1909 Gentilly Angleterre 0-11 90

Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

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