Lire sur le site de Soccer Nostalgia The Soccernostalgia Interview-Part 51
Cet article fait partie de la série Dialogue avec Soccer Nostalgia
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Soccernostalgia : Henri Michel est devenu le sélectionneur de l’équipe nationale après avoir mené la France à la victoire aux Jeux olympiques de Los Angeles en 1984. Il a hérité d’une équipe de Michel Hidalgo qui venait de remporter l’Euro et comprenait peut-être le meilleur joueur du monde à ce moment-là, Michel Platini. Comment sa nomination a-t-elle été considérée à l’époque ?
Bruno Colombari :Elle était calée depuis 1982, ce qui est très rare dans les transitions entre sélectionneurs. Henri Michel était très jeune, il avait arrêté sa carrière de joueur en 1982, à 34 ans, et en avait donc 36 quand il est devenu sélectionneur de l’équipe de France. Pour qu’il se forme, on lui a confié l’équipe de France olympique, après que le président de la FFF, Fernand Sastre, lui ait proposé de s’occuper de l’équipe de France féminine.
Mais Michel Hidalgo, qui n’avait que 51 ans, soit trois de moins que Deschamps aujourd’hui, aurait pu continuer. Il l’a d’ailleurs regretté par la suite, en disant qu’il avait pris sa décision de quitter son poste après l’Euro un peu trop tôt. Personnellement, je pense qu’il aurait été préférable pour les Bleus qu’il reste en poste jusqu’en 1986, en accompagnant jusqu’au bout la génération des Bossis, Rocheteau et Platini qu’il avait lancée. D’autant, on le verra, que l’apport d’Henri Michel pendant ses deux premières saisons a été minime. Il a été plus dans l’héritage que dans la réinvention.
La saison a commencé le 5 septembre 1984, avec un match amical à Paris contre le club italien de l’Inter avec Liam Brady et la nouvelle recrue Karl-Heinz Rummenigge, perdant (0-1). Henri Michel a choisi d’expérimenter et a inclus certains de ses olympiens comme Bibard et Bijotat. Comment cette défaite a-t-elle été perçue ?
C’est le seul match perdu de toute l’année 1984, mais par chance, c’est le seul aussi qui n’était pas officiel puisque c’était contre un club. C’est aussi la dernière fois qu’un tel match est organisé en ouverture de la saison, et ça n’a manqué à personne. Pendant la période Hidalgo, les Bleus se faisaient un devoir de remporter ce match-là, hormis en 1981 face à Stuttgart (1-3). Mais là, entre le titre de champion d’Europe et la médaille d’or aux JO de Los Angeles, cette défaite n’a pas laissé de traces. D’ailleurs, elle a été largement oubliée depuis.
La France a bien démarré sa saison avec un match de qualification pour la Coupe du monde, le 13 octobre 1984, à Luxembourg. La France s’est imposée confortablement (4-0). Stopyra a-t-il cimenté sa place pour Mexico 1986 à partir de ce match ?
Ce n’était pas une révélation, car il avait été lancé en 1980, quatre ans plus tôt, mais, malgré un très bon match contre le Portugal en février 1983 où il avait d’ailleurs signé un doublé, il n’avait jamais trouvé sa place en attaque. Bernard Lacombe ayant mis un terme à sa carrière internationale à l’Euro où Dominique Rocheteau avait été très décevant, Henri Michel cherchait un vrai avant-centre, capable de peser sur les défenses adverses et d’ouvrir des espaces pour Platini et Giresse. Et quand un nouveau sélectionneur rappelle un joueur qui avait été écarté, c’est très important de ne pas le décevoir.
On se souvient également de ce match pour le remplacement de Platini, afin qu’il puisse retourner en Italie et jouer en Serie A le lendemain. Que pouvez-vous dire de cette anecdote ?
C’est aberrant (et désormais impossible) qu’un joueur enchaîne deux matchs en 24h, même si Pelé l’a souvent fait dans sa carrière lorsque Santos faisait des tournées amicales dans le monde entier. Mais la Juve jouait en championnat contre Vérone le dimanche, et visiblement elle avait les arguments nécessaires pour négocier avec Henri Michel que Platini passe moins d’une heure sur la pelouse (il sort à la 57e). Dommage, parce qu’alors qu’elle menait 4-0 à la 32e minute, l’équipe de France n’a plus marqué dans la dernière demi-heure.
Le 21 novembre 1984, la France a disputé son prochain match de qualification pour la Coupe du monde face à la Bulgarie à Paris. La France s’est imposée avec beaucoup de difficulté, Platini faisant la différence sur penalty. Était-il évident à ce stade que la Bulgarie serait l’adversaire le plus coriace du groupe ?
C’était difficile à dire. La Bulgarie avait participé à quatre phases finales de Coupe du monde d’affilée entre 1962 et 1974, à l’époque justement où les Français se faisaient rares. Mais ce n’était pas encore la grande équipe de 1994, qui irait en demi-finale mondiale aux Etats-Unis. Et les Bleus ont copieusement dominé les Bulgares pendant une heure, mais, comme face au Luxembourg, ils ont manqué de réalisme devant. Le pénalty sifflé en faveur des Bleus est généreux (ballon sur le bras d’un défenseur dans la surface), mais aujourd’hui il est systématiquement sifflé. Victoire serrée, donc, mais victoire importante, la onzième de l’année.
Le troisième match de qualification de la France pour la Coupe du monde et le dernier match de 1984 a eu lieu le 8 décembre 1984, à Paris contre l’Allemagne de l’Est. La France a remporté son troisième match de qualification consécutif (2-0). Le public croyait-il à ce stade que la qualification était plus ou moins atteinte ?
Non, car il restait encore trois déplacements compliqués à venir en 1985, et on se souvenait qu’en 1976 et en 1980 de bons débuts avaient été suivis de matchs ratés à l’extérieur. Mais en tout cas, le début de mandat d’Henri Michel était parfait, avec trois victoires en trois matchs et aucun but encaissé, hormis celui de Collovati contre l’Inter. Pour la première fois, il pouvait aligner ensemble le carré magique de l’Euro, après les forfaits de Tigana puis de Giresse lors des matchs précédents. Et Platini va sortir un match immense : il ne marque pas, mais il offre des ballons de but à tout le monde, en rappelant qu’il est aussi un très grand joueur collectif.
La victoire de la France sur l’Allemagne de l’Est était sa 12e dans l’année civile. En fait, la France a remporté chacun de ses matches au cours de l’année civile. Jusqu’à présent, était-ce l’année la plus glorieuse pour l’équipe nationale ?
D’un point de vue statistique, certainement : douze victoires sur douze, 27 buts marqués (dont 13 pour le seul Platini), quatre buts encaissés, dix clean sheets pour Bats (et Bergeroo qui est entré contre l’Autriche), des victoires sur l’Angleterre, la RFA, la Belgique et l’Espagne, un premier titre pour les 80 ans de la sélection… Après, il faut modérer l’appréciation par le fait que les Bleus ont joué onze fois sur douze à domicile, et le seul match à l’extérieur était au Luxembourg. Et ils n’ont rencontré aucune équipe sud-américaine, ni l’Italie, ni l’URSS. En 1984, c’était évidemment la plus belle année des Bleus depuis 1904. Depuis, elle a sûrement été dépassée par 2000 et sans doute par 2018 et 1998, forcément.
Ce match contre l’Allemagne de l’Est était aussi le dernier du président de la Fédération française Fernand Sastre, bientôt remplacé par Jean Fournet-Fayard. Quel a été le rôle de Sastre dans le progrès de la France au cours de la dernière décennie ?
C’était un très grand dirigeant, que l’on retrouvera d’ailleurs en 1998 lorsqu’il coprésidait le comité d’organisation de la Coupe du monde, avec Michel Platini. Malheureusement, il est mort le 13 juin, au lendemain de la victoire des Bleus contre l’Afrique du Sud. Il aurait mérité d’assister à la finale, pour l’ensemble de son œuvre : pendant son mandat, entre 1972 et 1984, le nombre de licenciés en France double et l’équipe de France passe du statut d’équipe de seconde zone, à peu près au niveau de la Suisse, à celle de championne d’Europe et de favorite pour la Coupe du monde. C’est lui qui fait venir Stefan Kovacs en 1973, puis qui nomme Michel Hidalgo en 1976, une très riche idée assurément. Et c’est sous son mandat, en décembre 1981, que la France obtient l’organisation de l’Euro 1984 après avoir fait acte de candidature en 1979, et qu’elle est la seule à ce jour à avoir gagné à domicile depuis la refonte du tournoi en 1980.
Il y aurait plusieurs mois d’inactivité avant le prochain match. Le 3 avril 1985, la France se rendait en Yougoslavie pour son prochain match de qualification. Le match nul sans but a-t-il été perçu comme décevant ou un bon point gagné à l’extérieur ?
C’était une déception, car les Bleus avaient battu la Yougoslavie deux fois récemment, en 1983 en amical (4-0) et en 1984 à l’Euro (3-2). Mais c’était à l’extérieur, et comme d’habitude à cette époque, les Bleus voyageaient très mal : lors des 20 dernières années, ils avaient joué 26 fois en compétition sur terrain adverse (hors phases finales), pour seulement 9 victoires, dont 3 contre le Luxembourg, 3 contre la Norvège et une à Chypre… Avec Hidalgo, la seule victoire significative à l’extérieur a eu lieu en Suède en 1979 (3-1) mais elle n’aura servi à rien.
A l’instar de Stopyra lors des matches précédents, pensez-vous que William Ayache a gagné sa place dans le groupe français après ce match ?
Il a profité du passage de Battiston en défense centrale et des prestations décevantes de Michel Bibard au poste d’arrière droit, même s’il jouait comme lui au FC Nantes, en latéral gauche d’ailleurs. Ce n’est que sa deuxième sélection, après celle de l’automne 1983, et même s’il n’a pas fait une grande carrière en Bleu, il jouera en tout 20 fois jusqu’en 1988 et fera une bonne Coupe du monde. Il a même eu une occasion de but à Sarajevo, qu’il n’a pas convertie. Mais il a fait un bon match.
Le dernier match de la saison de la France, et son prochain match de qualification pour la Coupe du monde était à Sofia pour affronter la Bulgarie. Le match de 1976 a été mémorable pour toutes les mauvaises raisons. Pour ce match du 2 mai 1985, la France subit sa première défaite (0-2) depuis sa défaite face au Danemark en 1983. Une séquence de 15 matches. Comment cette perte était-elle perçue à l’époque ?
Je me souviens d’une anecdote qui m’a marquée, moi qui suis très mauvais en pronostics : je passais mon permis de conduire ce printemps-là (j’allais avoir 19 ans) et j’avais parié une leçon de conduite avec le moniteur de l’auto-école que la France allait perdre à Sofia. La France a perdu, et moi j’ai gagné une leçon gratuite ! Plus sérieusement, c’était la démonstration que, selon la formule de Lampedusa, « tout change pour que rien ne change » : l’équipe de France est meilleure que jamais, et elle perd encore à Sofia. Côté français, par contre, on ne doutait pas beaucoup, et il était question d’aller gagner en Bulgarie. Grave erreur. Après un bon début de match, les Bleus encaissent un but sur corner (autre point faible) et jouent à l’envers, manquent des occasions franches et encaissent un deuxième but sur corner, alors que Bats restait sur cinq clean-sheets. L’Equipe avait d’autre part pointé du doigt un Stopyra décevant, qui sera bien meilleur un an plus tard au Mexique.
A la fin du mois, Platini avec son club Juventus, a connu la catastrophe du Heysel. Était-ce en quelque sorte le point de référence après lequel Platini n’a plus jamais été le même joueur à cause de la tragédie ?
C’est ce qu’il a dit en tout cas. Il a été marqué par le drame, bien sûr, mais aussi sans doute par son attitude ce soir-là après son but sur pénalty notamment, qu’il a fêté de façon pas très correcte, au pied de la tribune où sont morts les supporters italiens. Mais il a connu une saison 1985-86 difficile et arrivera au Mexique blessé, on y reviendra. Il avait connu son pic de forme et d’efficacité en 1984. A partir de 1985, il va commencer à décliner.
Henri Michel n’a pas beaucoup expérimenté cette saison, faisant confiance à l’équipe qui avait remporté l’Euro. Les principales nouveautés étaient Bibard et Ayache en défense et le principal bénéficiaire de la saison, Stopyra en attaque. Alors que Specht, Brisson, Sénac et Anziani ont fait des apparitions éphémères. Que pensez-vous des expérimentations ?
Elles étaient certainement insuffisantes, et les Bleus le paieront cher en 1986 au Mexique. Mais, à la décharge d’Henri Michel, il n’a eu qu’un seul match amical dans le calendrier de cette saison 1984-85, et c’était début septembre contre l’Inter. Donc peu d’occasion de faire des expérimentations, sauf à la limite contre le Luxembourg en octobre. En fait, il s’est retrouvé un peu dans la position de Roger Lemerre entre 2000 et 2002, avec une certaine « sénatorisation » des cadres qui avaient leur place assurée sauf blessure. Le manque de concurrence et surtout d’alternative ne laissaient pas beaucoup de choix au sélectionneur, qui a préféré ne pas prendre de risques.
Quel bilan faites-vous de la première saison d’Henri Michel aux commandes ?
Pour compléter ce que je disais au début, il n’est pas évident qu’on ait gagné au change avec le départ de Michel Hidalgo. Henri Michel n’a pas la même légitimité que lui, il est très proche des cadres à la différence d’âge (huit ans d’écart avec Platini, qui a été son coéquipier en sélection) mais n’a pas connu 1982 et 1984 sur le terrain. Ce n’est pas un très bon orateur, il expliquait après coup que les conférences de presse le mettaient mal à l’aise, et il n’a pas d’expérience d’entraîneur de club. Autant de caractéristiques qu’on retrouvera chez Platini entre 1988 et 1992 d’ailleurs, avec le même résultat (mais pas les mêmes joueurs, hormis Amoros et Fernandez).