Lire sur le site de Soccer Nostalgia The Soccernostalgia Interview-Part 63
Cet article fait partie de la série Dialogue avec Soccer Nostalgia
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Soccernostalgia : Henri Michel a débuté sa troisième saison aux commandes avec une troisième place à la Coupe du monde mais avec de nombreux retraités comme Giresse, Bossis et Rocheteau. Était-il évident que ce serait une année difficile ?
Bruno Colombari : Oui, car le groupe qualificatif pour l’Euro 1988 était relevé avec l’URSS, qui venait de faire une très bonne Coupe du monde et qui serait l’adversaire numéro 1 des Bleus, puisque seule la première place était qualificative. Il fallait donc prendre le maximum de points contre la RDA, l’Islande et la Norvège et au moins les partager avec les Soviétiques. Ce n’était pas évident du tout, même si c’était jouable sur le papier.
La saison débute par un match amical le 19 août 1986 à Lausanne contre la Suisse. La France sans beaucoup de titulaires a perdu (0-2), avec Basile Boli et Gérard Buscher qui font leurs débuts. Y avait-il des inquiétudes à ce stade ?
Pas vraiment, c’était un match estival, qui a heureusement disparu aujourd’hui parce qu’il arrivait vraiment trop tôt dans la saison, alors que les championnats nationaux reprenaient à peine (ou n’avaient pas encore repris, comme la Série A). C’est une équipe très expérimentale avec seulement trois joueurs aguerris (Bats, Battiston et Amoros) et deux autres qui étaient au Mexique (Ferreri et Stopyra). Boli et Buscher font leurs débuts, Poullain, Thouvenel et Bijotat n’ont eu qu’une seule sélection avant. C’est une équipe de France B.
La France a commencé sa saison avec un match de qualification pour l’Euro à Reykjavik contre l’Islande, le 10 septembre 1986. La France évoluait sans Platini et est repartie avec un match nul décevant contre une faible opposition. Stéphane Paille a fait ses débuts dans ce match. Comment cette performance a-t-elle été perçue par la presse ?
En 1975 déjà, les Bleus de Stefan Kovacs avaient fait match nul en Islande (0-0), et ça leur avait coûté en partie la qualification à l’Euro. Dans un groupe difficile, c’est mauvais signe de perdre des points contre les adversaires a priori les plus faibles. Ce n’était pas non plus une catastrophe, mais les Bleus avaient déjà la pression avant de recevoir l’URSS, avec une victoire impérative.
Dans ce match à Reykjavik, Bernard Genghini a disputé son dernier match pour la France. Il était clairement un joueur talentueux, mais a-t-il peut-être été victime de « carré magique » à son apogée et de la nécessité de l’inclusion de Luis Fernandez ?
C’est un grand regret, car il avait été brillant à l’Euro 1984 contre la Belgique, où on a vu une sorte de pentagone magique (puisque Fernandez évoluait comme arrière droit) et au Mexique, toujours contre la Belgique lors du match pour la troisième place. Quand on a vu les carrières internationales de Vercruysse, Ferreri ou même Touré, il est évident de Genghini n’était pas inférieur, loin de là. Mais visiblement Henri Michel ne le tenait pas en grande estime. C’est dommage, car il n’avait que 28 ans et il aurait pu apporter son expérience dans une équipe qui en manquait beaucoup.
Le prochain match de qualification de la France pour l’Euro a eu lieu le 11 octobre 1986, à Paris contre l’Union soviétique, avec Platini de retour dans l’équipe. Ils avaient affronté les mêmes adversaires lors de la Coupe du monde quelques mois plus tôt, mais cette fois, la difference était apparente dans les équipes et l’équipe de Lobanovsky avec plusieurs de ses joueurs du Dinamo Kiev l’a emporté (2-0). Ce match résumait-il la réalité des problèmes de la France ?
Jouer cette équipe-là avec une défense centrale Boli-Jeannol était suicidaire, surtout avec Belanov et Zavarov en face. Pourtant, la première mi-temps a été d’un très bon niveau, et les Bleus ont répondu au défi technique des Soviétiques, comme ils l’avaient fait à Leon. Mais ils ont complètement craqué en deuxième mi-temps, tout est devenu beaucoup trop difficile et la défense a lâché. Le score aurait même pu être plus large. Au passage, c’est la première défaite en compétition de l’équipe de France à domicile depuis 1971, et la toute première dans le nouveau Parc des Princes. On savait les Bleus en difficulté à l’extérieur, mais les voir perdre à Paris en étant surclassé par un adversaire beaucoup plus fort, c’était vraiment dur.
La France a terminé l’année avec un autre qualificatif pour l’Euro le 19 novembre 1986, à Leipzig contre l’Allemagne de l’Est. La France y avait perdu l’année précédente, ce match nul était-il peut-être le seul bon résultat pour la France cette saison ?
Il l’aurait été si la France avait battu l’URSS un mois plus tôt. Mais désormais, après des débuts aussi faibles, les Bleus devaient gagner quasiment tous leurs matchs restants pour avoir une chance de se qualifier. A Leipzig, effectivement, ils font jeu égal avec la RDA, ils dominent même, mais pour la quatrième fois consécutive ils sont incapables de marquer le moindre but. Ça n’était arrivé qu’une fois dans leur histoire, en 1924-1925 ! Et ça n’arrivera qu’une seule fois depuis, en 2013 (5 matchs sans but).
Le prochain match de la France était un match de qualification pour l’Euro à Paris le 29 avril 1987 contre l’Islande. Gerald Passi a fait ses débuts dans ce match avec Carmelo Miccihe. Micciche a marqué l’un des buts dans une victoire (2-0). Y avait-il un faux optimisme que de nouveaux joueurs se lèveraient après la performance de Micciche ?
Non, pas vraiment. C’était la première victoire des Bleus depuis le Mexique, mais elle arrive beaucoup trop tard, et contre une équipe vraiment faible. Carmelo Micciche brillait avec le FC Metz, mais lui aussi était un bon joueur de club, sans plus. Et on ne le reverra qu’une fois en sélection contre la Norvège le match suivant. Il n’a fait que passer, sans laisser de trace.
Ce match contre l’Islande était le dernier match de Michel Platini pour la France. Comment sa retraite était-elle perçue par le public et la presse française à l’époque ?
Au moment du match contre l’Islande, on ne savait pas encore qu’il allait terminer sa carrière avec la Juventus (le 17 mai, trois semaines plus tard). mais on s’en doutait un peu, tant sa dernière saison à Turin avait été laborieuse (41 matchs, 5 buts). C’est un très grand regret de ne pas l’avoir vu quitter les Bleus au Mexique sur une finale contre l’Argentine de Maradona. En sélection, il a clairement fait la saison de trop. C’est tout à son honneur d’avoir voulu continuer après la Coupe du monde, il n’était pas obligé, mais ça n’a servi à rien. En France, on n’attendait plus rien de lui en 1987, on voyait bien qu’il était usé, et que mentalement quelque chose avait lâché depuis la finale du Heysel en 1985.
Le dernier match de la saison de la France et le premier match de l’ère post-Platini était un match de qualification d’Euro à Oslo contre la Norvège le 16 juin 1987. La France a perdu (0-2) dans une performance décevante. Était-ce l’un des points les plus bas de l’histoire de l’équipe nationale ?
Je ne dirais pas ça, pour moi les défaites contre Israël et la Bulgarie en 1993 ou celles contre le Mexique et l’Afrique du Sud en 2010 sont bien pires. En juin 1987, les Bleus étaient démunis, démotivés, sans ressource, sans idée, ils n’y croyaient déjà plus. C’est le terme d’une saison complètement ratée mais la défaite à Oslo n’est pas une rupture, plutôt le prolongement d’une glissade qui continuera jusqu’en 1989, voire jusqu’en 1993. J’ai quand même un regret, même si ça n’aurait pas changé grand chose : Platini et Cantona se sont manqués de peu, puisque le deuxième a fait ses débuts en août à Berlin. J’aurais bien aimé les voir jouer ensemble.
Michel Platini a déclaré que le résultat était une bénédiction déguisée car il pensait que l’équipe de France pouvait correctement commencer à se reconstruire, était-ce l’opinion générale ?
Ce n’est pas faux, sauf que c’est oublier un peu vite que les Bleus avaient encore un statut (champions d’Europe en titre, troisième à la Coupe du monde) et que ne pas participer à l’Euro 1988 était considéré comme un échec. En fait, le problème vient surtout que le départ de Michel Hidalgo s’est sans doute fait deux ans trop tôt, et que Henri Michel n’a pas pu justement organiser cette transition comme il aurait pu le faire s’il était arrivé à l’été 1986.
La plus grande inquiétude de la France semblait être de marquer des buts, car les buts contre l’Islande étaient les seuls cette saison. Pourquoi y avait-il un problème dans ce domaine ?
Parce que les grands pourvoyeurs d’occasions de but qui étaient Giresse et Rocheteau avaient quitté la sélection, et que Platini a fait la saison de trop. Il n’y avait plus de liant au milieu, les attaquants étaient livrés à eux-mêmes et les buts devenaient de plus en plus rares. En fait, l’équipe de France jouait encore comme avant 1986 mais n’en avait plus les moyens. Platini s’en souviendra un an plus tard quand il deviendra sélectionneur, en construisant une équipe de contre.
Gerald Passi a été présenté comme le successeur de Platini en tant que numéro 10 avant le match à Oslo. Était-ce trop de pression pour une nouvelle Internationale ?
Je me souviens l’avoir interviewé un an plus tard, à l’été 1987, quand je préparais le concours d’entrée à l’école de journalisme. Je lui avais écrit une lettre et il m’avait gentiment répondu, sur une page de cahier. Je n’ai plus en tête le détail de ses réponses, mais d’évidence c’était un fardeau trop lourd à porter pour lui. C’était un très bon joueur de club, mais il n’avait pas le niveau international, tout comme après lui Camel Meriem ou Marvin Martin, entre autres.
En ce qui concerne les débutants cette saison, seul Basile Boli aurait une carrière significative au niveau international. Alors que Gérard Buscher, Stéphane Paille, Philippe Jeannol, Carmelo Micche, Philippe Fargeon et dans une moindre mesure Gérald Passi ont largement déçu. Comment jugez-vous leurs performances ?
Ça n’a rien d’étonnant, c’étaient de bons joueurs, mais ils n’avaient pas le niveau pour une équipe de France qui jouait désormais pour gagner des titres. Ils auraient pu faire illusion dans les années 1960 ou 1970, mais pas après la période 1982-1986. Stéphane Paille était pourtant vu comme quasiment l’égal d’un Cantona à cette époque, comme quoi être un joueur prometteur à 21 ou 22 ans n’offre aucune garantie d’avenir.
Henri Michel a été critiqué pour avoir retardé le processus de reconstruction. Était-ce une critique juste ?
Non, je ne crois pas. Comme je l’ai dit plus haut, il s’est retrouvé en charge d’une équipe déjà quasiment complète à l’été 1984, et n’a pas eu le temps d’essayer grand chose avant 1986, hormis Papin. En fait il s’est trouvé un peu dans la même situation que Domenech en 2005, à la différence près que ce dernier avait eu une saison pour faire des essais, d’ailleurs pas concluants. Michel s’est retrouvé dans une période creuse comme il y en a régulièrement, et ses choix étaient limités. Les leaders qu’auraient pu être Bats, Amoros, Stopyra ou Fernandez n’ont pas vraiment pris le relais, et Papin ne s’est affirmé que plus tard.
A la fin de la saison, quel était le sentiment général sur le travail d’Henri Michel après trois ans ?
Beaucoup d’inquiétude. L’enthousiasme des deux premières saisons est retombé, la génération Platini disparait, les matchs sont décevants autant dans le fond (une seule victoire contre l’Islande, pour la troisième équipe mondiale !) que dans la forme. La qualification à l’Euro 1988 était quasiment perdue.
Vos commentaires
# Le 28 août 2023 à 22:41, par Nhi Tran Quang En réponse à : Dialogue avec Soccer Nostalgia : Michel, saison 3 (1986-87)
il est vrai qu’à court terme à 27-28 ans en 1986 Genghini aurait pu succéder à Giresse & Platini au poste de demi offensif cependant n’est il pas aussi victime d’une mauvaise saison 86-87 et de la baisse de son niveau dans les 2-3 ans qui suivent au point de prendre sa retraite à la saison 88-89 alors qu’il n’a que 30-31 ans. (entre 1986-89, il joue 45 matches de championnat france + suisse pour 5 buts alors qu’il avait un bilan de plus 100 buts en +ou- 300 matches de championnat avant de partir en Suisse)
Il ne faut pas oublier aussi que Vercruysse, Ferreri voire Touré n’étaient pas non plus des jeuneots sans pour autant être des anciens quand ils doivent prendre la succession de Platini & Giresse, ils avaient 24, 23 & 25 ans. Parmi les autres qui n’ont pas pu prendre la suite malgré leur expérience juste après la coupe du monde 86, on peut citer Bellone qui ne s’est jamais imposé à long terme pour une place de titulaire en attaque alors qu’il fait partie du groupe depuis 1981. Battiston qui a le même age que Bats a essayé d’accompagner le groupe jusqu’à l’euro 88 mais comme Platini il a abandonné la selection en 87 avant de revenir pour 3 matches en 89 tout comme tigana