Lire sur le site de Soccer Nostalgia The Soccernostalgia Interview-Part 57
Cet article fait partie de la série Dialogue avec Soccer Nostalgia
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Soccernostalgia : Henri Michel a commencé sa deuxième saison en charge avec une certaine pression après que la saison précédente se soit terminée sur une mauvaise note après la défaite contre la Bulgarie. Comment était-il considéré par la presse après une année complète ?
Bruno Colombari : Quelques doutes se faisaient entendre, notamment parce que les Bleus, qui n’avaient encaissé aucun but après l’Euro, avait cédé à Sofia et s’étaient montrés maladroits en ne marquant pas lors des deux derniers déplacements. La dynamique d’après l’Euro et les JO de Los Angeles semblait ralentie, et les Bleus qui se voyaient un peu trop vite au Mexique commençaient à se poser des questions.
La saison démarre très tôt le 14 juillet 1985, avec un match amical symbolique à Bordeaux face au champion en titre de la Ligue, Girondins de Bordeaux pour célébrer le Jubilé de Marius Trésor. La France s’est inclinée (2-3) dans un match amical estival dénué de sens. Vous souvenez-vous d’avoir regardé ce match ?
Il me semble que oui, mais je n’en ai pas retenu grand chose, si vous ne m’en aviez pas parlé, je l’aurais complètement oublié. Effectivement, ça n’avait aucun intérêt sinon de fêter Marius Trésor, qui avait mis un terme à sa carrière en club un an plus tôt. D’ailleurs, les Bleus avaient démarré ce match en mode touriste puisqu’ils étaient menés 0-3 au bout de vingt minutes. C’était aussi l’occasion de revoir Didier Six, qui avait quitté les Bleus après l’Euro.
La France a bien débuté sa saison par un match contre l’Uruguay champion d’Amérique du Sud, le 21 août 1985, à Paris. Il s’agissait de la première Coupe Intercontinentale (appelée Trophée Artemio Franchi). La France s’est imposée (2-0). Dominique Rocheteau et Yvon Le Roux ont été rappelés pour la première fois depuis l’Euro 1984 et Rocheteau a célébré avec un but. Comment le retour en forme de Rocheteau a-t-il été perçu par la presse ?
C’était un beau retour à 30 ans, et aussi un aveu d’échec pour Stopyra et Bellone, que Henri Michel avait retenus lors des matchs précédents. Rocheteau allait faire une très belle saison au PSG, avec un titre de champion au bout, le tout premier pour le club de la capitale. Il marquera aussi 19 buts en pointe, et c’est à ce poste qu’il revient en sélection, où après le départ de Lacombe, aucun avant-centre ne s’est imposé. Mais ce qu’on retient de ce match, c’est la superbe prestation du Nantais José Touré. Ce qui laisse beaucoup de regrets : peut-être qu’avec lui, les Bleus auraient été champions du monde au Mexique. Son but, celui du 2-0, est une merveille de jeu collectif (dix passes entre huit joueurs) et de talent individuel (amorti de la poitrine et frappe enchaînée).
Le 11 septembre 1985, la France dispute son premier match de qualification pour la Coupe du monde de la saison contre l’Allemagne de l’Est à Leipzig. Une fois de plus, la France a eu du mal à l’extérieur et a perdu (0-2). Comment cette défaite a-t-elle été vécue et a-t-on craint que la France ne passe à côté ?
C’est un gros retour en arrière, à ce qui se passait avant 1982 où chaque déplacement, et notamment dans les pays d’Europe de l’Est, tournait au calvaire. Là, les Bleus semblaient suffisamment forts pour gagner, et ils ont beaucoup attaqué, avec une tête de Touré sur la barre en début de match, mais ils ont mal défendu et se sont fait contrer en deuxième mi-temps, alors que Platini a été inexistant. Autrement dit, lors des trois matchs à l’extérieur contre les trois adversaires direct de son groupe, l’équipe de France en a perdu deux, fait un nul, encaissé quatre buts et marqué aucun. Ce n’est pas digne d’un champion d’Europe en titre !
Dans ce match contre l’Allemagne de l’Est, Maxime Bossis est devenu le recordman des selections en équipe nationale en dépassant Marius Trésor. Comme geste symbolique, il a été capitaine de l’équipe à la place de Platini. A l’intersaison, il avait rejoint le Racing Club Paris de deuxième division de Jean-Luc Lagardère. Y avait-il des craintes qu’il ne soit écarté pour avoir joué pour une équipe de deuxième division ?
La crainte portait plus sur son niveau de jeu qui risquait de baisser, la deuxième division étant beaucoup moins technique et beaucoup plus physique que la première, et cette équipe qui allait devenir le Matra Racing était un assemblage hétéroclite de joueurs attirés par des salaires très élevés pour l’époque. Mais Bossis allait prouver qu’il avait largement sa place en sélection. On s’en rendra encore plus nettement compte un an plus tard, quand il ne sera plus là, et que les Bleus joueront avec Boli et Jeannol en défense centrale contre l’URSS…
Le prochain match de qualification de la France pour la Coupe du monde a eu lieu le 30 octobre 1985, à Paris contre le Luxembourg. C’est une victoire confortable (6-0) avec Rocheteau confirmant son retour en forme avec un triplé. Des souvenirs de ce match ?
Non, c’était une rencontre facile, comme celle de l’aller, et très vite expédiée puisqu’il y avait déjà 4-0 à la 29e minute. Platini était placé très haut, quasiment entre Touré et Rocheteau, et bizarrement, il n’a pas marqué de but. Mais il fait deux passes décisives pour Rocheteau et Giresse.
Le match décisif pour la qualification à la Coupe du monde a eu lieu le 16 novembre 1985 à Paris contre la Yougoslavie. Il y avait des similitudes avec les éliminatoires contre la Bulgarie en 1977 et les Pays-Bas en 1981. Michel Platini a marqué deux fois pour aider la France à se qualifier avec une victoire (2-0) avec un coup franc et une volée brillante. La France s’est qualifiée pour sa troisième Coupe du monde consécutive et Platini a de nouveau été élu Ballon d’Or, peut-être en partie à cause de ce match. Décrivez ce match et ses conséquences ?
C’est un match étrange. Si on s’en tient au score, 2-0, c’est une victoire nette qui permet aux Bleus de se qualifier. Mais dans son déroulement, c’est un match que les Bleus auraient pu perdre. Heureusement que Platini a obtenu très tôt un coup franc à distance idéale, qu’il transforme après 2 minutes et 20 secondes de jeu. C’est d’ailleurs son onzième et dernier en équipe de France. Mais après, tout se complique, et la Yougoslavie aurait dû obtenir au moins un pénalty pour une grosse faute de Le Roux dans la surface juste après, alors que Amoros s’en sort très bien avec un avertissement alors qu’il avait fauché Bursac en position de dernier défenseur. On est beaucoup plus près du 1-1 que du 2-0, mais Platini marque du gauche à 20 minutes de la fin, puis deux joueurs, Radanovic et Le Roux sont expulsés coup sur coup. Mais ça a été très dur.
Je ne sais pas si Platini a obtenu son troisième Ballon d’or sur ce match, plutôt grâce à sa victoire en Coupe d’Europe contre Liverpool, même si ça reste un souvenir horrible avec le drame du Heysel.
Tout comme la finale de l’Euro 1984, Yvon Le Roux est à nouveau expulsé et sera suspendu pour le début de la Coupe du monde. Décrivez les ramifications de cela pour la formation défensive de la France à la Coupe du monde ?
Henri Michel va s’appuyer sur une charnière centrale Bossis-Battiston, mais on ne sait pas vraiment si elle est complémentaire car les deux jouent en libero en club (au Matra Racing et à Bordeaux) avec un stoppeur à leur côté. Ils ont joué ensemble en défense centrale lors de l’Euro 1984, justement après la blessure de Le Roux contre le Danemark, mais une seule fois depuis, contre le Luxembourg, pendant une demi-heure avant la blessure de Bossis. Contre le Canada, les Bleus vont concéder quelques occasions à l’adversaire, mais ensuite les automatismes vont se mettre en place et la défense sera bien meilleure que celle de 1982 (Janvion-Trésor).
Les préparations de la Coupe du monde ont commencé la nouvelle année avec un match amical le 26 février 1986 contre l’Irlande du Nord à Paris. Le match s’est terminé sur un nul sans but, mais le match est resté dans les mémoires pour les débuts de Jean-Pierre Papin. Comment s’est-il fait remarquer par Henri Michel à ce moment-là ?
Par ses performances avec le FC Bruges. Il a une carrière très atypique, un peu comme celle d’Olivier Giroud ou de N’Golo Kanté. A 21 ans, il est encore en deuxième division à Valenciennes. Il se retrouve à Bruges un peu par hasard mais il fait une saison brillante, inscrit 20 buts et manque le titre de champion de Belgique qu’après un barrage contre Anderlecht. il gagne quand même la Coupe de Belgique en marquant en finale. Mais avant, Henri Michel l’a repéré et le teste contre l’Irlande du Nord, sur une pelouse gelée. Papin ne marque pas mais fait un bon match, et ce sera suffisant pour aller au Mexique. C’est le seul pari tenté par Henri Michel, mais si Touré n’avait pas été forfait, sans doute que Papin n’aurait pas été retenu.
Le dernier match de la France avant la Coupe du monde était contre l’Argentine de Diego Maradona le 26 mars 1986 à Paris. La France, privée de Platini et Giresse, s’est imposée (2-0) avec Ferreri et Vercruysse marquant les buts. Comment cette victoire était-elle perçue à l’époque ?
Un peu comme celles contre le Brésil en avril 1978 ou face à l’Italie en février 1982 : comme une victoire de prestige face à un champion du monde, mais ce n’était qu’un match amical, même si les Argentins ont donné beaucoup de coups (avec un expulsé, Borghi) et en ont reçu pas mal aussi. C’est la seule fois où Maradona a joué contre l’équipe de France, du moins sur le terrain. Il prendra sa revanche en tant que sélectionneur à Marseille en 2009.
La France a dévoilé son nouveau maillot lors de ce match contre l’Argentine. Ils porteront ces maillots jusqu’en septembre 1989. Comment ce nouveau maillot était-il perçu par le public à l’époque ?
Il était moins réussi que celui de 1984, et trente-sept ans plus tard, il est rarement cité parmi les plus beaux des Bleus. Mais ça n’avait pas beaucoup d’importance, et le marché des maillots de football n’avait rien à voir à ce qu’il est devenu aujourd’hui. Personnellement j’aimais beaucoup celui du Danemark, notamment parce qu’il se déclinait très bien en rouge ou en blanc. Une vraie réussite.
À la fin de la saison régulière, dans quelle mesure la France était-elle confiante quant à ses chances en Coupe du monde ?
Après une année 1985 plutôt inquiétante, les signaux envoyés début 1986 sont encourageants, la victoire sur l’Argentine de Maradona sans Platini et Giresse laissent penser que la relève est prête. il y a quand même quelques interrogations sur le fait de jouer à midi en altitude, et sur le niveau de forme de Platini, qui arrive avec une inflammation au talon qui va le faire souffrir pendant toute la compétition. Comme en 1982, il va jouer diminué physiquement, et là, il a quatre ans de plus…
Mais il n’y a aucun favori qui se détache nettement. Le Brésil semble redoutable, mais il a perdu 3-0 en amical contre la Hongrie. L’Argentine de Maradona joue un jeu plus défensif qu’en 1982, l’Italie semble sur le déclin. L’URSS pourrait créer la surprise, comme le Danemark ou l’Espagne. C’est un tournoi très ouvert.
Dans le Final 22 français, il n’y a pas eu beaucoup de surprises car Henri Michel a fait confiance aux habitués. Papin a peut-être été le choix surprise que personne n’aurait prédit en début de saison. Comment jugez-vous les choix ?
Le seul grand absent est évidemment José Touré, blessé avec Nantes en mars et forfait. Jean-François Domergue, proche de Michel Platini et héros de l’Euro 84, n’est pas retenu, au profit de l’ancien Nantais Michel Bibard. Le reste est classique et logique, même si on ne connait pas le niveau réel de Vercruysse, Ferreri ou Xuereb, qui ne seront pas titulaires mais qui pourraient faire la différence en cours de match. Il y a quand même sept trentenaires (dont les deux gardiens remplaçants) et une moyenne d’âge plutôt haute (près de 28 ans), alors que Papin est le plus jeune, à 22 ans et 8 mois.
La Coupe du monde de la France au Mexique a débuté le 1er juin 1986 à León contre le Canada. La France a gagné (1-0) avec Papin marquant le but vainqueur. Cependant, il a raté tellement d’occasions, remarqua-t-il plus tard en plaisantant dans Onze-Mondial, qu’il aurait pu terminer meilleur buteur de la Coupe du monde ce jour-là. Ce n’était certainement pas le meilleur début pour la Coupe du monde ?
On peut le voir de deux manières différentes. La première, c’est qu’il fallait absolument gagner ce match contre la plus faible équipe du tournoi (en tout cas la moins expérimentée, avec des joueurs qui n’avaient plus de club). Mission accomplie, l’essentiel est fait, et il faut remonter à 1958 pour trouver la trace d’une victoire française pour commencer une Coupe du monde. La deuxième, c’est qu’effectivement la manière est inquiétante, avec un déchet énorme en attaque (Papin n’est pas le seul à rater des occasions franches, même s’il les collectionne) et une fébrilité inexplicable en défense : les Canadiens se créent une belle occasion à la 10e minute, et gagnent les duels au milieu de terrain en fin de première mi-temps. Le but tardif de Papin est un gros soulagement, mais visiblement, l’équipe de France n’est pas encore prête à jouer en altitude, avec des ballons aux trajectoires flottantes.
La France s’est améliorée lors de son prochain match le 5 juin 1986, à León contre l’Union soviétique (ou devrions-nous dire le Dinamo Kiev). La France a pris du retard sur un impressionnant tir à longue distance de Vasily Rats. Quelques minutes plus tard (le nouveau joueur de Racing Club) Luis Fernandez a égalisé le match (1-1). Ce résultat satisfait les deux parties. Comment avez-vous vécu cette performance ?
Ce match n’était pas décisif, puisqu’en cas de défaite, la qualification se jouerait contre la Hongrie. Mais pour finir à la première place du groupe, et avoir un tableau plus facile, les Bleus doivent impérativement gagner car l’URSS terminera contre le Canada. Mais le 6-0 des Soviétiques contre la Hongrie fait peur, d’autant qu’en effet cette équipe est quasiment celle de Kiev, qui a impressionné en finale de la C2 contre l’Atlético de Madrid, renforcée par Dasaev, Larionov et Aleinikov.
Ce 1-1 est évidemment une bonne performance avec des Bleus qui jouent bas et cherchent la profondeur, et des Soviétiques dont la défense monte jusqu’au rond central. Platini manque d’un rien d’ouvrir le score sur un coup franc qui tape la barre de Dasaev. Dommage que Michel se trompe dans son coaching en faisant entrer Bellone à la place de Papin, plutôt que Rocheteau, qui sera décisif lors des trois matchs suivants.
L’URSS consolide sa première place qui lui ouvre un tableau plus favorable que celui des Bleus, avec la Belgique, l’Espagne ou le Danemark et l’Argentine ou l’Angleterre. Mais elle coincera dès les huitièmes. Comme quoi, il ne sert à rien de démarrer un tournoi à toute vitesse !
Les Bleus retrouveront l’URSS en octobre au Parc des Princes, et là, malgré une belle opposition, ils seront battus nettement (0-2).
La France est apparue en pleine forme lors du troisième et dernier match de groupe le 9 juin 1986 contre la Hongrie à León. La France a gagné (3-0) avec Stopyra, Tigana (marquant son seul but pour la France) et Rocheteau marquant les buts. Avez-vous eu l’impression que la France s’améliorait match après match ?
Oui, elle montait en puissance, même si la Hongrie était relativement faible et avait explosé en vol contre l’URSS pour son entrée dans la compétition. Un nul aurait suffi pour se qualifier, mais les Bleus avaient besoin d’une victoire nette pour se rassurer après deux matchs où ils avaient manqué d’efficacité en attaque. Il aura fallu une demi-heure pour ouvrir le score, mais après les occasions se multiplient devant la cage hongroise. Et c’est après l’entrée de Rocheteau (à la place de Papin) que la différence est faite, avec une passe décisive pour Tigana et un but sur un contre qui part de Bats, qui arrive sur Platini et qui est terminé par Rocheteau. C’est son dernier but en sélection, mais on ne le sait pas encore.
Au deuxième tour, la France a affronté l’Italie, championne en titre de la Coupe du monde, le 17 juin 1986, à Mexico City. Platini affrontait certains de ses coéquipiers de la Juventus. Dès lors, Henri Michel avait décidé de titulariser Rocheteau au lieu de Papin. La France a battu une équipe italienne décevante (2-0) avec les buts de Platini et Stopyra. Que pensez-vous de ce match ?
Ce n’est pas un match spectaculaire, mais il a été parfaitement maîtrisé par les Bleus, comme le sera celui contre l’Uruguay en 2018 par exemple. L’Italie a mal joué le coup, mais elle n’avait pas les moyens de faire beaucoup mieux, et les Français ne lui ont laissé aucune chance. Le 2-0 est même flatteur pour les Italiens qui ont vite baissé les bras après le but de Stopyra. Très grand match de Bossis derrière et de Rocheteau devant, qui est à l’origine des deux buts. Effectivement, Papin n’avait pas le niveau à ce moment-là, et le sortir était logique.
En quart de finale, la France affronte le Brésil le 21 juin 1986 à Guadalajara. Ce match est devenu un classique de l’histoire de la Coupe du monde. Le Brésil a marqué le premier grâce à Careca avec Platini égalisant avant le mi-temps (son dernier but pour la France). Joel Bats a sauvé le penalty de Zico dans le temps réglementaire et le match s’est terminé par une séance de tirs au but avec Fernandez marquant le penalty décisif. Quels sont vos souvenirs personnels de ce match ?
Un émerveillement de tous les instants. Autant la demi-finale de Séville avait été très tendue et violente, autant ce match-là a sublimé le jeu des deux équipes, et le score ne dit rien de toutes les occasions qui arrivaient par vagues. Le Brésil s’en est créé plus et aurait sans doute mérité de gagner, mais les Bleus ont été admirables de sang-froid et de talent, et auraient pu l’emporter avant les tirs au but.
Evidemment, ça n’allait pas aussi vite qu’aujourd’hui, et le pressing était beaucoup plus relâché, mais c’était magnifique, sans doute le plus beau match des Bleus que j’ai vu dans ma vie. Il y avait tellement de bons joueurs des deux côtés ! Junior, Socrates et Zico avaient du mal à accélérer, comme Giresse et Platini d’ailleurs, mais Careca, Muller, Josimar, Alemao, c’était du très haut niveau. Et en face, Amoros, Fernandez, Tigana, Rocheteau et Stopyra n’étaient pas mal non plus. Et Bats fait le match de sa vie : on avait l’impression qu’il était imbattable ce jour-là. C’est toute la différence avec 1982 : sans un très bon gardien, impossible d’aller au bout.
Quand ça s’est terminé, je suis sorti dans les rues de ma ville, près de Marseille, avec mon frère qui avait neuf ans et qui était stupéfait de voir les gens klaxonner comme des fous, certains étaient assis sur les toits des voitures, c’était n’importe quoi. On ne reverra ça qu’après le titre de 1998. C’était presque déjà une victoire en Coupe du monde !
Rétrospectivement, était-ce le dernier grand match de cette Génération ?
Oui, de toute évidence. C’est un sommet qui est arrivé trop tôt, ça aurait pu être la finale si ces deux équipes ne s’étaient pas retrouvées dans la même partie du tableau. Mais, comme c’est souvent le cas en Coupe du monde, les meilleurs matchs ne sont pas les finales. Evidemment, on espérait très fort après cette qualification que les Bleus iraient au bout, mais ce n’était plus possible.
Ce match était le dernier match de Rocheteau pour la France. Que pouvez-vous dire de sa carrière avec l’équipe nationale de « L’Ange Vert » ?
Avec le recul, on voit tout ce qu’il a apporté aux Bleus, alors que ses stats ne sont pas vraiment spectaculaires (49 sélections, 15 buts, 11 passes décisives). S’il est passé à côté de l’Euro 1984, ses trois Coupes du monde sont très bonnes. Son évolution en tant qu’attaquant est aussi intéressante : il a commencé comme avant-centre avant de devenir un pur ailier droit à Saint-Etienne, avec une technique de dribbleur à la George Best (ou Kevin Keegan), puis il est revenu dans l’axe en allant au PSG. En équipe de France, il a su s’adapter à une configuration différente avec Stopyra, et son rôle a été déterminant au Mexique. Il était aussi très élégant sur le terrain, et d’une correction absolue.
Pour les demi-finales, la France affronte à nouveau l’Allemagne de l’Ouest (comme en 1982), le 25 juin 1986, à Guadalajara. La France était épuisée après le match contre le Brésil et a perdu (0-2) contre une équipe ouest-allemande peu impressionnante. Était-ce l’impression générale ?
C’est un match qui s’est aussi joué sur les nerfs, un peu comme la finale de Coupe du monde perdue contre l’Italie en 2006. Les Allemands ne s’attendaient pas à se retrouver là après un parcours médiocre au premier tour et un tableau très favorable en huitièmes et en quarts, mais ils n’avaient aucune pression. Beckenbauer a très bien compris comment prendre les Bleus, en mettant beaucoup d’impact et en jouant les contres à fond. Stopyra a été agressé après dix secondes de jeu par Brehme, comme Henry le sera par Cannavaro en 2006.
Et après, tout part de travers : Bats fait une erreur technique sur le coup franc de Brehme, Bossis tire au-dessus de la cage vide, Platini est dans un mauvais jour, et l’absence de Rocheteau se fait durement sentir. Dommage, car cette RFA-là était moins forte techniquement que celle de 1982, mais elle était plus disciplinée.
Alain Giresse a joué pour la dernière fois pour la France dans ce match contre l’Allemagne de l’Ouest. Que pouvez-vous dire de sa carrière avec l’équipe nationale qui a vraiment décollé assez tard dans sa carrière ?
J’en avais déjà parlé quand nous avions évoqué la saison 1976-1977. C’est probablement une erreur de Michel Hidalgo de n’avoir vu en lui qu’un remplaçant de Platini et de ne pas avoir fait appel à lui pour la Coupe du monde en Argentine. Mais il est aussi la preuve qu’on peut se révéler au plus haut niveau international à partir de 30 ans. Il en avait près de 34 au Mexique, et vu les conditions de jeu (chaleur, altitude), c’était clairement trop dur pour lui.
Tout comme en 1982, pour le match pour la troisième place face à la Belgique le 28 juin 1986 à Puebla, Henri Michel sélectionne de nombreux joueurs qui n’avaient pas pris part à la Coupe du monde, comme Bibard et Albert Rust disputant son unique match pour la France. La France s’est imposée (4-2) avec de jeunes joueurs comme Ferreri et Papin parmi les buteurs. Tout comme en 1982 contre la Pologne, j’imagine que personne n’avait beaucoup d’intérêt pour ce match ?
Oui, c’est sûr. Amoros, Tigana et Bellone, qui avaient déjà joué contre la Pologne en 1982, ont aussi disputé ce match alors qu’ils avaient eu beaucoup de temps de jeu précédemment. En plus il a fallu jouer une prolongation après l’égalisation de Claesen. Ce match de classement n’a aucun sens. Il n’existe plus pour l’Euro depuis 1984, et la FIFA gagnerait à le supprimer en Coupe du monde.
Thierry Tusseau, Michel Bibard et Albert Rust ont mis fin à leur carrière en équipe nationale lors de ce match contre la Belgique. Plus important encore, c’était le dernier match de Maxime Bossis pour la France. Pouvez-vous parler de sa carrière avec la France ?
Il a débuté, comme Didier Six et Michel Platini, en mars 1976 lors du premier match dirigé par Michel Hidalgo. A la fin de sa carrière internationale, il était sûrement, avec Marius Trésor et sans doute Etienne Mattler et Roger Marche, l’un des plus grands défenseurs de l’histoire des Bleus, peut-être le meilleur. Et il a battu le record de sélections de Marius Trésor (comme Michel Platini d’ailleurs) avant de le porter à 76 et de le détenir jusqu’en 1992. Depuis, Laurent Blanc, Marcel Desailly, Lilian Thuram et Raphaël Varane ont fait mieux que lui, mais il reste dans le top 10 des défenseurs selon moi.
Des vétérans comme Giresse, Rocheteau et Bossis ont mis fin à leur carrière en équipe nationale, tandis que Platini, Battiston et Tigana n’étaient pas loin derrière. Était-il évident que c’était la fin d’une époque et que des difficultés les attendaient ?
Oui, même si on ne savait pas encore ce qu’allait donner la génération suivante. Le tirage au sort des éliminatoires pour l’Euro 1988 avait placé les Bleus avec l’URSS, en plus de la Norvège et de l’Islande, et il n’y avait qu’un seul qualifié, donc ce serait compliqué de défendre le titre de champion d’Europe en Allemagne.
Ferreri et Vercruysse étaient préparés pour remplacer Platini et Giresse. Pourquoi pensez-vous qu’ils n’ont pas atteint les mêmes niveaux ?
Je pense qu’ils étaient de bons joueurs de clubs, incontestablement doués, mais trop juste pour le niveau international. On en a dans chaque période. Récemment, c’était le cas de Fekir ou Lemar. Auparavant, de Ben Arfa, Nasri ou Menez. En 1986, ils n’ont pas su saisir leur chance quand elle s’est présentée, mais l’écart était trop grand entre les titulaires et les remplaçants. Et, à leur décharge, devoir se comparer sans cesse à Tigana, Giresse ou Platini, ce n’est pas un cadeau. Camel Meriem ou Marvin Martin l’ont appris, quand ils sont passés après Zidane…
A la fin de la saison, quel était le sentiment général sur le travail d’Henri Michel ?
Une troisième place au Mexique n’était pas un mauvais résultat, mais ce n’était pas non plus un progrès par rapport à 1982 ou à 1984, même si le parcours avait été plus relevé. Michel a joué la compétition avec neuf joueurs d’Hidalgo plus Ayache et Stopyra, encore que ces derniers avaient débuté avec Hidalgo, en 1983 pour le premier, en 1980 pour le deuxième.
Donc, ce n’est qu’à partir de l’automne 1986 qu’on pourrait vraiment juger de quoi Michel était capable avec un groupe qu’il avait modelé.