Georges-Eugène Nicolaï est né le 26 juin 1885 à Paris, fils d’un immigré italien, établi à Paris comme ébéniste, et intègre les rangs de l’United SC, un club d’immigrés anglais et suisses, allez savoir pourquoi. En 1904 l’United remporte le championnat de Paris, puis le championnat de France, contre le Racing de Roubaix (4-2) : Nicolaï, qui n’était pas titulaire, joue la finale et marque même un but. Il quittera ce club agité par des dissensions pour le Stade Français, puis, plus tard, cédera aux avances du Red Star, qui pratiquait l’amateurisme « marron », et avec lequel il jouera et perdra la finale du Trophée de France, play-off des championnats des fédérations composant le CFI, en 1912 (1-3 contre l’Etoile des Deux-Lacs). Q
Quoique petit (1,62 m, mais c’est dans la moyenne de la taille des Français à l’époque), Nicolaï est un demi fougueux (l’United des frères Wynn est connu pour jouer dur), réputé difficile à passer, un peu lent toutefois mais étiqueté « scientifique », ce qui veut dire qu’il est capable de relances en passes courtes vers ses attaquants.
Deux sélections officielles en A en 1905
Suite au succès de l’United en championnat de Paris, Nicolaï est sélectionné en équipe de France en 1905, en février (contre la Suisse, 1-0) puis en mai (contre la Belgique, 0-7). Entre ces deux parties, il a également joué en mars contre une équipe que la presse présente comme celle d’Angleterre (1-5), sauf qu’il s’agit seulement d’un match Paris-Londres, où l’équipe de France s’aligne en réalité au grand complet (avec les provinciaux Wiles et Filez) mais contre une équipe anglaise composée d’amateurs évoluant à Tottenham, Fulham, Arsenal, c’est-à-dire dans des clubs professionnels.
Est-ce pour cela que les annuaires de la FFF ont crédité Eugène Nicolaï de 3 sélections, jusqu’en 1991 ? Possible. La rectification a été faite en 1992, car une sélection officieuse, telle que celle contre Londres, ne peut être officiellement comptabilisée. Par contre, les annuaires fédéraux ont, jusqu’à la fin des années 1930, fait figurer le nom de Nicolaï dans l’équipe qui en 1904 est allée à Bruxelles tenir en échec la Belgique, pour le tout premier match officiel des Bleus ! Pourquoi ? Mystère, Nicolaï, qui n’était même pas alors titulaire indiscutable dans son club, l’United, n’a jamais figuré dans les présélections de ce match, ni, bien sûr, joué à Bruxelles. Cette erreur est donc incompréhensible.
Eugène Nicolaï avec le Stade Français le 20 décembre 1908, le quatrième en partant de la droite) (BNF, Gallica)
Complétons le palmarès de Nicolaï, en mentionnant qu’après la rupture USFSA-FIFA, qui retirait à l’USFSA le privilège de représenter le football français à l’international (au profit du CFI), Nicolaï a joué deux matchs pour la sélection de l’USFSA, en 1909 et 1910.En effet, l’USFSA avait voulu rivaliser avec la FIFA en créant sa propre fédération internationale (baptisée UIAFA), de sorte qu’en 1909, 1910 et 1911, le public français, qui n’y comprenait souvent que goutte, put assister à DEUX France-Angleterre chaque année, celui de l’USFSA (validé par l’UIAFA) et celui du CFI (validé par la FIFA, vous suivez ?). Et tous ces matchs perdus sur des scores humiliants, soit 0-8 et même 0-20 (oui, vous avez bien lu) pour Nicolaï… Telles étaient les absurdités entraînées par les querelles mesquines divisant (jusqu’en 1913) le football français !
Blessé au combat en 1914
On récapitule ? Eugène Nicolaï a donc deux sélections officielles pour l’USFSA, validées par la FIFA (et donc par la FFF depuis 1992), une sélection officieuse (validée par l’USFSA, mais non la FIFA, et pas, ou plus par la FFF aujourd’hui) et deux sélections officielles pour l’USFSA, mais non validées par la FIFA, qui ne reconnaissait plus, à partir de décembre 1908, que le CFI. Au choix, il a donc 2, 3 ou 5 sélections…
Venons-en maintenant à 14-18. Nicolaï, qui a fait tout à fait normalement son service militaire entre 1906 et 1908 est mobilisé en août 1914, comme trois millions d’autres soldats français (ils seront 8 millions à avoir porté l’uniforme bleu horizon sur la totalité du conflit…) . Il rejoint son unité et se bat : les combats de 1914 sont connus pour être les plus meurtriers, la guerre de tranchées n’a pas encore commencé. Obus, shrapnells qui se fragmentent et causent de terribles blessures, gaz toxiques (comme la fameuse Ypérine) sèment la terreur dans des troupes qui ne s’attendaient pas à cette violence des combats, qui ne ressemble nullement à ce à quoi elles ont été initiées lors des années de service militaire. Nicolaï est blessé au bras gauche en novembre 1914.
S’il advient que le lecteur de cet article a aussi lu le récit récemment retrouvé et publié de Louis-Ferdinand Céline, intitulé Guerre, où l’on voit un soldat, dénommé Cascade, qui s’est tiré une balle dans le pied, il sait que ce genre de blessure est suspect ; Nicolaï est donc évacué, soigné, longuement, mais la commission de réforme, qui l’avait d’abord reconnu inapte, en septembre 1915, revient sur sa décision et l’annule en novembre. Nicolaï doit retourner au front, en janvier 1916.
Eugène Nicolaï avec le Stade Français le 1er novembre 1908, debout le deuxième à droite (BNF, Gallica)
Première désertion en mars 1916
Mais le 23 mars 1916, il est déclaré déserteur. La gendarmerie, qui est chargée de les retrouver (en se présentant à la dernière adresse connue, ou bénéficiant de dénonciations) arrête Nicolaï le 24 avril 1916 : il passe devant le Conseil de Guerre, et écope, pour « désertion à l’intérieur » (à distinguer de la désertion devant l’ennemi) de 5 années de prison. C’est le tarif.
Prenons un peu de recul. Les statistiques de la gendarmerie nous informent que 66.678 déserteurs ont été arrêtés et sont passés devant le Conseil de Guerre, entre août 1914 et novembre 1918. Pour 8 millions de soldats, ce qui représente une proportion infime, moins de 1% (ne pas confondre avec les mutineries). Sur ce nombre, on sait qu’il y a eu 579 fusillés. Nicolaï ne fut pas fusillé.
Je reviens à Louis-Ferdinand Céline, qui a été rendu célèbre par son roman Voyage au bout de la nuit, dont la partie initiale concerne la Guerre de 14-18. Le lecteur de Chroniques bleues sera peut-être surpris de voir la littérature prendre place dans un article consacré à un footballeur, mais un parallèle peut être établi entre le sort du célèbre écrivain, la fiction qu’il en a tiré, et le sort d’Eugène Nicolaï, mutatis mutandis, bien entendu.
Il se trouve en effet que l’écrivain a lui aussi été blessé au bras (mais droit…) en octobre 1914. Une blessure grave, car il n’a échappé que de peu à l’amputation, et qui lui a valu d’être réformé, lui, par la Commission de Réforme, à la différence de Nicolaï. Céline n’a donc pas déserté, au contraire, sa fiche militaire est élogieuse, il a eu la Croix de Guerre. Mais dans le Voyage au bout de la nuit, il fait déserter deux de ses personnages, Bardamu et Robinson ; et dans Guerre, il évoque la volonté de désertion de son personnage, Cascade, qui sera finalement fusillé.
Bardamu, Robinson et Cascade sont des personnages imaginaires (plus ou moins inspirés de ce que Céline a connu), mais leur état d’esprit doit correspondre à ce que Eugène Nicolaï a ressenti, et peut nous aider à comprendre qui l’a poussé à refuser de repartir au « casse-pipes ». Dans Voyage au bout de la nuit, Bardamu assiste à la mort d’un officier et d’un messager, tués sous ses yeux par un obus, décrit le tremblement irrépressible de tout son corps sous le choc, et ajoute : « J’ai quitté ces lieux sans insister, joliment heureux d’avoir un aussi bon prétexte pour foutre le camp ».
Deuxième désertion en août 1916
Ce traumatisme, il est à supposer qu’Eugène Nicolaï l’a ressenti, et qu’il a provoqué chez lui une phobie qu’il n’a pu surmonter, entraînant sa désertion, qui n’est en fait que le désir de rentrer chez soi. Et en effet, Nicolaï, qui s’était vu accorder une seconde chance pour éviter la prison, avait alors accepté de repartir au front en juin 1916, croyant pouvoir tenir. Mais il n’a pas tenu longtemps dans l’horreur de Verdun, il n’en était pas psychologiquement et émotionnellement capable : dès le 1er août 1916, il est à nouveau porté déserteur, et dès le 29 août, il est à nouveau arrêté à Paris par les gendarmes (sans doute chez son père, rue Legendre, il n’a même pas cherché à se cacher) et condamné une seconde fois par le Conseil de Guerre, le 21 octobre, pour désertion face à l’ennemi, cette fois-ci, plus grave.
Il est passible du poteau… mais ne sera condamné qu’à 10 années de prison, et écroué à Clairvaux. Peine qu’il ne fera finalement pas entièrement, profitant des diverses amnisties accordées par le Gouvernement, soucieux de passer l’éponge le plus vite possible une fois la guerre finie. Eugène Nicolaï sort donc de prison en 1921 et bénéficiera de la loi d’amnistie générale de janvier 1925.
Il n’est alors plus question de football pour lui, d’ailleurs aucun club ne l’aurait accueilli, et le Red Star, devenu un club phare, encore moins que les autres. En novembre 1925, le Miroir des Sports nous informe simplement qu’il est « ébéniste dans le quartier des Ternes », situé dans le 17ème arrondissement de Paris, c’est-à-dire qu’Eugène Nicolaï a repris son métier aux côtés de son père. Il n’a plus bougé ensuite du 17ème arrondissement, puisque c’est là qu’il est mort le 18 février 1958.
Les 2 matchs d’Eugène Nicolaï avec l’équipe de France A
Sel. | Genre | Date | Lieu | Adversaire | Score | Tps Jeu | Notes |
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1 | Amical | 12/02/1905 | Paris (Parc) | Suisse | 1-0 | 90 | première victoire |
2 | Amical | 07/05/1905 | Bruxelles | Belgique | 0-7 | 90 | première défaite |