Franck Raviot : « le gardien de but moderne est aussi un joueur de tête »

Publié le 21 juin 2019 - Bruno Colombari

Il entraîne les gardiens de l’équipe de France A depuis 2010 après s’être occupé des espoirs et des féminines. Franck Raviot nous parle d’Hugo Lloris, l’échauffement, l’évolution du poste, la formation et l’observation d’avant-match. Deuxième entretien d’une série de trois sur le staff de Didier Deschamps.

7 minutes de lecture
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Le 8 septembre 2018, veille de France-Pays-Bas à Saint-Denis
Le 8 septembre 2018, veille de France-Pays-Bas à Saint-Denis
Crédits : photo Aurélien Durand/FFF
Entretien réalisé le 31 mai 2019 à Clairefontaine, deux jours avant France-Bolivie.
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Vous avez en permanence trois gardiens à gérer lors des regroupements. Comment travaillez-vous les entraînements entre le titulaire et les deux remplaçants ? Les exercices sont-ils les mêmes ?

J’individualise beaucoup le travail suivant le niveau de forme, leur état de fatigue, l’avancée de la préparation par rapport au match. Il y a un socle commun, mais il faut veiller à ce que les trois gardiens soient dans les meilleures dispositions possibles pour répondre aux demandes et aux exigences du sélectionneur.


 

Juste avant le match, le temps de préparation et d’échauffement est-il différencié ?

Lors de l’échauffement, mon attention est naturellement portée sur le gardien titulaire, celui qui est en conditionnement de préparation pour le match. Les autres sont présents et peuvent se mettre à disposition du titulaire suivant l’orientation de l’échauffement, par rapport au besoin du gardien. C’est le titulaire qui doit se préparer pour répondre aux exigences du match, dès les premières minutes de celui-ci.

Chaque gardien a-t-il des demandes particulières en terme d’échauffement, ou avez-vous un protocole standard qui s’applique à tous ?

Les gardiens ont leurs habitudes, parfois ils me laissent toute latitude pour rythmer leur échauffement. Je suis à leur écoute, il est important qu’il expriment ce qu’ils veulent : un nombre de ballons souhaités, une séquence bien précise… Avec Hugo, il y a un vécu commun depuis neuf ans maintenant. Il y a une routine d’échauffement d’avant-match qui est connue, identifiée et quasiment immuable. Pour les autres, ça peut varier. Je me mets à leur disposition car c’est un moment qui leur appartient et où ils doivent être le plus serein possible.

En cours de match, si un gardien remplaçant doit entrer en jeu, comment faire pour le rendre opérationnel tout de suite sans risquer la blessure à froid ?

Il faut être très réactif. Je touche du bois, ça n’a jamais été le cas en ce qui nous concerne. Ça demande à l’entraîneur spécifique d’être très vigilant, très attentif à une attitude du gardien titulaire qui peut être gêné par un petit souci musculaire, ou qui peut avoir eu un choc. Là, il faut être très réactif car il y a très peu de temps. Il faut un temps suffisant d’échauffement pour que l’ensemble du corps soit capable de répondre aux exigences du match, à des impulsions, des plongeons, des sorties dans les pieds, des impacts physiques, il faut que la mobilisation musculaire et articulaire se fasse très rapidement. Mais parfois c’est dans l’urgence, et donc insuffisant. Le gardien rentrant doit donc s’activer et se mobiliser pendant les premières minutes sur le terrain.

Le 2 juin 2019 à Nantes après France-Bolivie, avec Alphonse Areola.
Le 2 juin 2019 à Nantes après France-Bolivie, avec Alphonse Areola.
Crédits : Aurélien Durand/FFF
Il y a eu le cas où Hugo Lloris, mais c’était avant vous, avait été expulsé contre la Serbie en 2009, il y avait eu pénalty et Steve Mandanda était rentré pour le pénalty.

C’était Bruno Martini qui était entraîneur des gardiens à l’époque. C’est un fait de jeu qui est très particulier, qui arrive très rarement. Il ne faut pas perdre de temps à se préparer, à s’équiper, au plus vite on sera sur pied en tenue, au plus vite on pourra débuter son très court échauffement. Un gardien remplaçant doit se conditionner psychologiquement à entrer à tout moment. Ce n’est pas quelqu’un qui est spectateur passif du match, il doit être spectateur actif ou acteur passif. Il doit être physiquement prêt et mentalement prêt, que ce soit après trois minutes de jeu, ou quatre-vingt minutes.

Le jeu moderne, et notamment depuis l’interdiction de jouer à la main sur une passe en retrait, nécessite un jeu au pied de plus en plus performant. Comment travaillez-vous ça ?

En tout cas, il y a une approche forcément différente depuis un certain nombre d’années, oui. Le gardien de but joueur de main a disparu depuis longtemps. Le gardien moderne se veut harmonieux, complet, autant un joueur de main que de pied mais aussi un joueur de tête parce qu’il doit avoir une capacité d’analyse, de réflexion très affinée. Le jeu au pied, on le travaille de différentes manières, spécifiquement à travers la répétition de gammes ou de situations analytiques tirées de situations de jeu.

« Le gardien doit voir vite, voir tôt, pour pouvoir s’organiser le mieux possible »

Le gardien se doit aussi de participer aux séances d’entraînement collectives, lors de phases de conservation, lors de jeux proposés par l’entraîneur où il sera confronté à des situations où il devra prendre les informations, voir vite, voir tôt, pour pouvoir s’adapter et s’organiser techniquement le mieux possible. Aujourd’hui, le jeu du gardien de but requiert une qualité de jeu au pied, et pas seulement du pied fort. Le très haut niveau appelle à ça. L’entraînement proposé, spécifiquement et collectivement, doit l’amener à être plus affirmé et plus serein dans ce registre-là.

Le 15 juillet 2018 à Moscou, quelques minutes avant France-Croatie.
Le 15 juillet 2018 à Moscou, quelques minutes avant France-Croatie.
Crédits : Photo Aurélien Durand/FFF
En tant qu’ancien entraîneur des gardiens de l’équipe de France Espoirs, vous suivez Hugo Lloris depuis ses débuts en sélection. En 2006, quand il avait 19 ans, pensiez-vous qu’il avait le potentiel pour devenir l’un des meilleurs gardiens de l’histoire des Bleus ?

Il avait incontestablement des aptitudes, un potentiel, c’était un garçon qui faisait déjà preuve d’un grand professionnalisme, qui était très exigeant, très à l’écoute, très réceptif. Il a progressé, mûri, gagné en expérience aussi. Mais il avait déjà des prédispositions, le potentiel et la panoplie d’un très grand.

« Hugo a fait des choix de carrière très pertinents »

Après, on sait que les carrières ne sont pas linéaires. On ne les vit pas toujours comme on le souhaiterait. Lui a fait des choix de carrière très pertinents, très intelligents, il a su s’affirmer à Nice, à Lyon et depuis quelques années à Tottenham. La confiance qu’il a toujours reçue de ses entraîneurs, il la doit à son niveau de performance, mais aussi à ses qualités humaines qui font de lui un grand gardien et aussi un homme très apprécié et très respecté.

Jusqu’où le voyez-vous aller en sélection ?

Là où il souhaitera aller, là où il devra aller. Sa carrière impose le plus grand des respects. Il a montré au monde entier l’été dernier qu’il faisait partie des plus grands et qu’il était entré au panthéon des meilleurs gardiens de l’histoire du football. Le reste, ça lui appartient. Aujourd’hui, tout sportif, tout athlète de haut niveau, se fixe des objectifs. En même temps, il faut vivre le moment présent, c’est ce que fait très bien Hugo.


 

En quoi le fait d’être capitaine pour un gardien de but est-il différent d’un joueur de champ ?

De par nature, un gardien est un joueur à responsabilités, il doit faire preuve de conscience et de connaissance du jeu, il doit avoir une culture tactique. C’est naturellement, de par sa place sur le terrain, un leader. Pas forcément un leader par la voix et un aboyeur. C’est un leader par l’exemple et par la constance à un haut niveau.

Comment expliquez-vous le fait qu’à part Lloris à Tottenham et dans une moindre mesure Barthez à Manchester, les gardiens des Bleus soient si rares à l’étranger ? Ce sont les gardiens français, ou les gardiens en général qui ont du mal à s’exporter ?

C’est vrai. Le marché est relativement fermé. Dans le championnat anglais, il y a des gardiens anglais, il y a un Polonais, un Espagnol, un Français… Il y a peut-être une certaine frilosité de la part des clubs à ouvrir les portes à un gardien étranger. Après, on peut s’enorgueillir d’avoir des gardiens de but de valeur en France, dont la réputation progresse et qui font que la formation des gardiens français est respectée et considérée.

Le 30 mai 2019 à Clairefontaine avec Alphonse Areola, Mike Maignan et Benjamin Lecomte.
Le 30 mai 2019 à Clairefontaine avec Alphonse Areola, Mike Maignan et Benjamin Lecomte.
Crédits : photo Aurélien Durand/FFF
Jusqu’au début des années 80, l’équipe de France avait du mal à sortir de grands gardiens, même s’il y a eu Darui, Vignal ou Carnus. Depuis Bats, la continuité est assurée au plus haut niveau. C’est dû à une amélioration de la formation des jeunes ? Quel a été le déclic ?

Il y a eu depuis quelques décennies une vraie considération portée à ce poste, alors qu’avant le gardien s’échauffait seul ou avec un autre gardien. C’était l’entraîneur principal qui, en fin de séance, prenait quelques ballons et qui faisait des exercices avec lui. Et puis il y a eu l’émergence d’entraîneurs spécifiques qui sont venus compléter les staffs. Il y a eu une vraie prise de conscience qu’il était indispensable d’apporter un travail spécifique aux gardien. Ça allait être une plus-value inestimable.

« Pour qu’un gardien gagne en expérience, il faut qu’il puisse jouer, quitte à faire des erreurs. »

Ensuite, il y a eu une déclinaison sur tous les éducateurs en formation, en préformation et chez les plus jeunes en initiation. Depuis quelques années, il y a la volonté au sein de la DTN de proposer des formations pour permettre d’avoir une approche juste, cohérente et pertinente auprès des gardiens, du plus petit au plus grand.

Certains commencent jeunes en Ligue 1, maintenant. Je pense à Alban Lafont à Toulouse, qui a débuté à 16 ans…

Oui. Il y a quelques temps, donner les clés à un jeune gardien de but, ça faisait un peu tiquer, c’était difficile, on mettait quelques freins. Aujourd’hui c’est beaucoup moins le cas, il y a des exemples en Ligue 1 et en Ligue 2. C’est appréciable. Pour qu’un gardien gagne en expérience, il faut qu’il puisse jouer, quitte à faire des erreurs. Mais l’erreur est aussi formatrice. C’est bien qu’il y ait cette volonté de s’appuyer sur de jeunes gardiens de valeur.


 

Quand vous allez observer un gardien en club, quels sont les points auxquels vous êtes particulièrement attentifs ?

J’arrive tôt au stade pour voir le gardien de but sortir à l’échauffement, comment il s’y prend, s’il dégage de la sérénité, de la confiance ou si c’est plus difficile qu’à l’accoutumée, pour voir aussi comment il s’avance vers l’heure de match. Ce sont des signaux qui sont parfois révélateurs. J’aime être dans le contexte et l’atmosphère liée au match pour mieux percevoir, mieux analyser et mieux comprendre.

« Un entraîneur doit être en éveil permanent, être attentif à tout ce qui peut se passer autour du gardien »

Pendant le match, il n’y a pas que les moments où le gardien est en possession du ballon. Il y a aussi la manière dont il se comporte quand le jeu est à l’opposé. C’est l’avantage d’être sur place : on n’a pas un focus sur le jeu, mais on peut tout voir. Cette observation à l’œil nu est très importante. La vidéo, c’est restreint, c’est réducteur. Un entraîneur doit être en éveil permanent, être attentif à tout ce qui peut se passer autour du gardien.

Le 29 mai 2019 à Clairefontaine avec la gardienne Sarah Bouhaddi.
Le 29 mai 2019 à Clairefontaine avec la gardienne Sarah Bouhaddi.
Crédits : Photo archives FFF
Vous vous êtes occupé des gardiennes du pôle féminin de l’INF pendant de longues années. Le poste de gardienne est-il celui où la marge de progression est la plus grande ?

Depuis quelques années au sein des clubs féminins qui se structurent, on voit une vraie volonté d’accompagner les jeunes gardiennes de but. Ce n’a pas toujours été le cas dans le passé. L’ouverture du pôle France féminin ici à Clairefontaine en 1998 sous l’impulsion d’Aimé Jacquet, a dynamisé ce football féminin, à éveiller certaines sensibilités. Un travail important a été mis en place auprès des gardiennes. Il y a une vraie volonté d’accompagner, de former, d’éduquer les jeunes pour que ce poste soit respecté par tous et nul doute que Sarah Bouhaddi mettra en lumière ce poste à la Coupe du monde et fera une très belle compétition comme Hugo Lloris l’an dernier.

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