Les premiers Bleus : Henri Mouton et Auguste Tousset

Publié le 23 février 2024 - Pierre Cazal

L’un était trapu, gueulard et spécialiste de la charge sur le gardien adverse. L’autre, pas vraiment habile, a quand même été le premier buteur français contre l’Angleterre, où il avait fait le onzième au dernier moment.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
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Henri Léon Mouton et Auguste Tousset comptent parmi les moins doués des internationaux français : deux joueurs de devoir, apportant leur bonne volonté et leur énergie à un onze bien dénué de talents, il faut en convenir, en 1909 et 1910. Le CFI fait avec ce qu’il a sous la main, puise essentiellement dans le seul club de valeur, et de bonne volonté aussi (rappelons que le Patronage Olier, l’autre club de valeur de la FGSPF, refuse de mettre ses joueurs à disposition du CFI), l’Etoile des deux Lacs (EDL), dont sont équipiers Mouton et Tousset.

Le résultat, on le sait, n’est pas flatteur : cinq défaites en cinq matchs avant de recevoir le renfort des éléments de la LFA, dès le début de l’année 1911 : aucun sélectionneur aujourd’hui ne résisterait à un tel bilan d’échec, mais les enjeux, alors, sont très différents. Pas d’argent à la clé, pas de harcèlement médiatique : l’amateurisme, et sa philosophie coubertinienne selon laquelle l’important est de participer, et non le résultat, imprègne les esprits.

Henri Léon Mouton, né le 20 avril 1881 à Morsain, petit village de l’Aisne, est un vétéran des Patronages, et évolue dans les rangs de l’EDL depuis ses débuts, en 1898. A l’époque, il n’existait que 3 clubs associés à des paroisses à Paris ! Nulle formation, bien entendu, improvisation à tous les étages, les joueurs s’ébattent sur le terrain de façon anarchique, tapent dans le ballon… quand ils parviennent à le toucher (on ne parlera pas de le contrôler !). Le football n’est qu’un jeu, peu importe de rater des contrôles, des passes, et même de prendre dix buts : c’est l’esprit des origines, dont on n’a cessé de s’écarter !

Henri Léon Mouton (assis, au milieu) le 20 janvier 1907 au stade Buffalo (Agence Rol, BNF Gallica)

Un bison nommé Mouton

Les qualités de Mouton, 1,71 m, mais trapu, voire enveloppé, sont essentiellement l’énergie (on le qualifie à l’occasion de « bison »), la fougue, même : « quand donc se taira-t-il », peut-on lire dans un journal, Mouton est un « gueulard », qui entraîne ses équipiers. Il a aussi un bon jeu de tête, ce qui à l’époque est assez rare, surtout en attaque. En effet, le modèle « corinthien » (proposé par les Corinthians, cette fameuse constellation d’ex-stars des universités anglaises, parcourant l’Europe et même l’Amérique du Sud dans ses tournées) privilégie la passe courte et le jeu à terre.

Mais, dans les patronages, foin du jeu académique, on joue à l’emporte-pièce et le ballon passe son temps en l’air : un attaquant comme Mouton, qui n’hésite pas à prendre le ballon de la tête (beaucoup y répugnent, il faut dire que les ballons en cuir d’antan, avec leurs coutures apparentes, faisaient mal), et qui, de surcroît, n’hésite pas non plus à charger le gardien de but et à le projeter dans les filets, est un homme précieux. Comme tous les joueurs des patronages, Mouton pratique l’athlétisme, et se distingue au saut en longueur… comme au lancer du poids ! Il a de la force et de l’énergie à revendre.

Cela lui permettra de marquer un but, face aux Belges, en 1909 (le tout premier du CFI !), et de la tête, justement, sur un centre de Meunier, redressé par Bellocq. Et il sera partie prenante d’un second but, en 1910, inscrit face aux Anglais, avec son coéquipier Tousset : mais on reviendra sur le détail un peu plus loin. Il sera des cinq premiers matchs, mais dès le sixième, quand Eugène Maës, son grand rival du P.O, passé au Red Star, fera enfin son apparition en équipe de France, il n’y aura pas photo et Mouton disparaîtra du jour au lendemain. Il ne sera même plus retenu comme remplaçant.

A ceci, une raison supplémentaire : en octobre 1911, Mouton est de retour sur ses terres natales, dans l’Aisne, où il s’est marié en 1909 avec une « payse », et on le verra jouer dans l’équipe du Gallia de Soissons par la suite. On sait qu’il reviendra dans la région parisienne après la Guerre, car un entrefilet nous informe qu’en 1927, il est venu voir son fils jouer… au Patronage Olier (un comble pour un ancien de l’EDL, le club rival…). Il s’est établi à Savigny-sur-Orge et y est décédé le 10 mars 1962.

  • Les Jeunes du 8 avril 1962 (BNF Gallica

Tousset, carrossier en aéronautique

Auguste Tousset, pour sa part, est né le 23 décembre 1889 à Paris, dans le 16e arrondissement, d’où le choix de l’EDL, où il apparaît dès 1897, avant Mouton même ! Tous deux sont des pionniers et des piliers du club, où Tousset est l’homme à tout faire, polyvalent. C’est un joueur sans talent, dont la qualité est d’être « travailleur », et accrocheur. Il est brouillon, mal à l’aise avec le ballon, mesure 1,72 m mais n’est pas athlétique, plutôt efflanqué même, mais il est quand même sur toutes les balles, se rend utile. Personne ne se fait d’illusion sur ses capacités, de sorte qu’il n’a que deux sélections, toutes deux de « raccroc ».

Voici le récit de la première contre l’Angleterre, tel que rapporté dans « Football » (de Barnoll) en 1910 : « Vendredi matin 7 heures et demie, gare Saint Lazare, apparition du manager, maître Henri Chailloux, à 7h50 de Simon, le grand manitou du CFI, à 8 heures le gros de la troupe, flanqué de l’interprète, Mac Cabe. Appel, un manquant, Delvecchio J, on apprend qu’il ne viendra pas, désarroi général. On téléphone à tout hasard à Tousset, qui travaille à l’Etoile. Allô, allô, il accepte, annonçant son départ pour 10 heures, et toute le monde à Dieppe se trouve pour embarquer à Newhaven ».

On a bien compris : Tousset n’était pas sélectionné pour ce match, mais il est disponible immédiatement pour dépanner et on est tout heureux de se trouver à onze ! Bien lui en a pris : il va même marquer le seul but de l’équipe de France (qui en encaisse 10…), le premier qu’une sélection française ait jamais inscrit depuis 1906 contre l’Angleterre ! En voici le récit, de la même source : « Tout à coup, silence absolu, le ballon bien shooté par Ducret arrive à Tousset , qui passe à Mouton. Celui-ci, gêné par un arrière anglais, le repasse à Tousset qui shoote à ras de terre ; le goal anglais saute sur le ballon, se relève et rentre dans ses filets avec le ballon, Tousset et le petit Mouton, c’est du délire. » Rappelons que la charge du gardien AVEC le ballon est permise, il n’y a donc pas faute. Ce n’est pas un « beau » but, c’est un but de raccroc, comme la sélection de Tousset, qui doit en être crédité, même si certains l’attribuent à Mouton, et avait beaucoup de mérite, car c’était un arrière, parfois un demi, mais au grand jamais un ailier, alors qu’il a dû suppléer Joseph Del Vecchio, qui était l’ailier gauche prévu.

Quant à la seconde sélection, elle fut très polémique. Tousset a joué, demi cette fois-ci, en janvier 1913 contre l’Italie (1-0), et il a reçu une volée de bois vert des journalistes : « Tousset, qui fut bien faible, fit tache à côté de ces deux hommes de classe », à savoir Ducret et Barreau, dans la ligne de demis. Mais les mêmes journalistes s’étaient déjà acharnés sur lui au moment de sa sélection : « On s’étonnera du choix de Tousset, préféré à Lhermitte, ce qui constitue, je crois, le record de l’invraisemblance ».

Explications : l’USFSA venait enfin, après de longs pourparlers, d’affiler sa section football au CFI (sous la pression de ses clubs), de façon à ce que ses joueurs, tenus à l’écart de la sélection nationale officielle depuis 4 années, puissent enfin y prétendre de nouveau. Aussitôt, ce fut l’hallali, et chacun de supputer combien de sélectionnés l’USFSA pourrait placer dans l’équipe qui allait rencontrer l’Italie quelques jours plus tard.

Mais les trois fédérations qui composaient alors le CFI entendaient bien défendre leur part de pré carré… La FGSPF et la FCAF n’entendaient pas s’effacer, les patronages placèrent 3 joueurs, la FCAF deux. Les journalistes, émoustillés, avaient fabriqué leur propre sélection idéale, faisant la part belle aux joueurs de l’USFSA, eux, d’où leur attitude critique, qui visa tout particulièrement Tousset, Lafouge et Rochet, lesquels ne remirent plus les pieds en sélection.

Auguste Tousset, parfait amateur, carrossier et menuisier en aéronautique, fut sapeur (pompier) aérostier à Versailles en 1911, puis membre éminent de l’escadrille « Spad » pendant la Guerre, où il se couvrit de gloire. Il resta fidèle à L’EDL et y joua jusqu’en 1921. Il est décédé le 18 mars 1937 à Paris et est inhumé à Bagneux.

Auguste Tousset, le troisième debout en partant de la gauche, avec l’Etoile des Deux-Lacs le 31 décembre 1911 (Agence Rol, BNF Gallica

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Les cinq matchs de Henri Mouton avec l’équipe de France

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 09/05/1909 Bruxelles Belgique 2-5 90 1 but
2 Amical 22/05/1909 Gentilly Angleterre 0-11 90
3 Amical 03/04/1910 Gentilly Belgique 0-4 90
4 Amical 16/04/1910 Brighton Angleterre 1-10 90
5 Amical 15/05/1910 Milan Italie 2-6 90

Les deux matchs de Auguste Tousset avec l’équipe de France

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 16/04/1910 Brighton Angleterre 1-10 90 1 but
2 Amical 12/01/1913 Saint-Ouen Italie 1-0 90

Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

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