Verbrugge ou Verbrugghe ? Jules ou Julien ? Benjamin des Bleus ? Mort pour la France ? Autant de questions soulevées autour de ce joueur, auxquelles il a déjà été répondu dans un article précédent, dont je me contenterai de résumer ici les réponses.
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Lire l’article A la recherche du benjamin des Bleus
Jules Verbrugge est né le 27 octobre 1886 à Paris, et avait donc 20 ans lors de sa première sélection, le 1er novembre 1906 : il n’est par conséquent nullement le benjamin des Bleus, loin de là, même. Il est décédé le 22 février 1921, toujours à Paris, et n’est pas mort au front, même s’il avait été blessé par balle à la cheville en septembre 1914, une blessure ankylosante qui le handicapa, mais ne présentait aucun caractère dangereux. La raison de sa mort prématurée est inconnue.
Aucun rapport avec Julien Verbrugghe
Pourquoi a-t-il été confondu avec un certain Julien Verbrugghe, inconnu dans le football français, né en 1889, mort en 1916 et déniché en fouillant les archives militaires ? Difficile à dire, mais il convient de signaler que, sur L’Auto, on trouve la version Verbrugghe en 1906, alternant avec la version Verbrugge d’un article à l’autre, et parfois dans le même article, à quelques lignes d’écart à peine, comme le 30 mars 1910, par exemple. Visiblement, le souci de la justesse dans l’orthographe des noms des joueurs n’est pas primordial chez les journalistes de l’époque !
Je n’ai pas d’autre explication, sachant toutefois qu’il existait, au CS Brugeois, un demi-aile appelé Verbrugghe, qui a joué contre une sélection du Nord en février 1907 : la confusion apparaît toutefois difficile. Notons enfin que le Miroir des Sports n’a pas aidé à dissiper cette confusion, puisqu’en novembre 1925 il n’hésite pas à affirmer que Verbrugge a été « tué à la guerre »…
Un père néerlandais, cordonnier et à la reconnaissance tardive
Jules Adrien Verbrugge est né de père inconnu, ce qui n’était pas rare en ce temps-là, et ne fut reconnu par son père que lors du mariage de celui-ci avec sa mère, survenu quatre ans plus tard, en 1891. Un père néerlandais, Cornelis Adriaan Verbrugge, né à Bergeijk (Brabant) en 1838, cordonnier de son état, la mère étant qualifiée de domestique, c’est-à-dire cuisinière. Un père pas naturalisé français, comme le prouve le fait qu’il faut produire au mariage, à 53 ans, une autorisation du consulat néerlandais : Jules Verbrugge aurait donc pu opter à sa majorité pour la nationalité de son père, mais il ne l’a pas fait, optant pour celle de sa mère et accomplissant son service militaire en France. Un père, soit dit en passant, mort après son fils unique, en juin 1924, à 86 ans.
Jules Verbrugge mesurait 1,61 m et ne pesait que 50 kg, un gabarit de poids mouche : rapide, remuant et perçant, c’était un ailier surtout soucieux de filer droit au but et de tirer, et non de centrer, contrairement à l’usage, et ce style lui fut reproché, comme étant trop « personnel ». Il n’hésitait pas à tirer de 25 mètres, et se chargeait d’exécuter les pénalties, ce qui était inhabituel pour un ailier.
Jules Verbrugge est le premier en partant de la droite, avec l’équipe de France face à l’Angleterre le 1er novembre 1906 (photo agence Rol, BNF Gallica)
Mais il ne fut jamais décisif en équipe de France. Il eut le difficile honneur de débuter face à l’Angleterre en novembre 1906 : l’écart de niveau était tel que le ballon parvenait bien rarement aux ailes. On n’a pas les pourcentages de possession de balle, ce genre de statistique n’existait pas, mais on peut sans craindre de se tromper affirmer qu’il devait approcher des 80% pour les Anglais ! Donc, Verbrugge trottina sur le terrain, désoeuvré…
Racolé par le Red Star en 1909
On le perd de vue pendant son service militaire, puis il réapparaît en signant au Red Star en 1909, qui pratique le « racolage ». Ce mot signifie que le club des frères Rimet (Jules présidera la FIFA pendant 34 ans, jusqu’en 1954) recrutait en proposant de l’argent, ou tout autre avantage matériel, à de bons joueurs des clubs rivaux, pour se renforcer à leurs dépens et en dépit de l’amateurisme officiel.
Verbrugge, qui est dessinateur de métier, cède, et, le Red Star adhérant au CFI, il retrouve la possibilité de revêtir à nouveau le maillot national, en 1911, par trois fois. Sans briller : l’attaque française reste muette contre les Hongrois, puis de nouveau contre les Anglais (le score, 0-3, n’a plus rien d’humiliant, comparé aux 0-15 de 1906 !), parvient néanmoins à marquer deux buts face aux Italiens, mais Verbrugge n’a rien à y voir, il ne délivre aucune passe décisive, déborde toujours aussi peu, son style étant toujours très individualiste. Du coup, il est sévèrement jugé : « s’entête de plus en plus à shooter direct au lieu de passer à ses partenaires mieux placés. » Et il est sorti de l’équipe pour le match suivant… et définitivement.
Jules Verbrugge accroupi, le premier en partant de la droite, avec le Red Star en janvier 1911 (photo agence Rol, BNF Gallica)
Un défenseur central de fortune
Curieusement, au cours de la saison 1911-1912, Verbrugge dépanne au Red Star… à l’arrière ! Il s’agit de suppléer les absences de Lucien Gamblin, quand il n’obtient pas de permission de l’Armée, et on voit donc le minuscule Verbrugge, 1,61 m, on le rappelle, faire la paire avec Gindrat ! Qui a déjà vu un arrière axial de 160 centimètres ? Certes, les ballons aériens sont nettement plus rares qu’aujourd’hui : le hors-jeu se joue à moins de trois joueurs entre le porteur du ballon et la ligne de but (c’est-à-dire, le gardien et DEUX arrières, contre le gardien et UN arrière seulement aujourd’hui, et ce depuis juillet 1925).
Les arrières de l’époque jouent en échelle, et non comme aujourd’hui côte à côte, avec un arrière dit « fixe », planté devant le gardien, et un arrière dit « volant », qui se déplace plus haut, et déclenche le hors-jeu en avançant. Verbrugge était bien évidemment l’arrière volant, dont la taille et le poids comptaient moins que pour son compère fixe ; mais, lors des phases arrêtées, dans la surface de réparation, on a du mal à voir Verbrugge le poids mouche charger un attaquant adverse à l’épaule…
Il disparaît ensuite des radars, pour réapparaître après de longues périodes d’absence, comme en décembre 1913, après 8 mois, sans qu’on sache s’il avait été blessé ou s’il prend ses distances par rapport au football. En tous cas, si le Red Star gagne le Trophée de France 1912 (le tournoi des champions des différentes fédérations composant le CFI), Verbrugge n’en est pas.
Une balle dans le tibia en septembre 1914
Mobilisé sur le front des Vosges, Jules Verbrugge est blessé lors de la terrible bataille de Mortagne, où il s’agit de défendre la ligne de front Rambervillers-Raon l’Etape. 4000 poilus y laisseront la vie, mais parviendront à bloquer les divisions allemandes, ce qui soulagera le front de la Marne. Pour sa part, Verbrugge s’en tire avec une balle dans le tibia, reçue en toute fin de combats, le 10 septembre 1914, juste au-dessus de la cheville : elle lui vaudra d’être réformé et de boîter. Faute d’informations supplémentaires, il est difficile de savoir si cette blessure, en apparence sans danger vital, a joué un rôle dans la mort prématurée du joueur, à 34 ans, qui n’a pas été chroniquée par les journaux.
L’oubli a recouvert sa mémoire… jusqu’à ce qu’on s’avise un siècle plus tard, mais de façon erronée, qu’il était peut-être le benjamin absolu des Bleus ; mais cette erreur désormais corrigée a eu au moins le mérite de l’en faire sortir !
Les 4 matchs de Jules Verbrugge avec l’équipe de France
Sel. | Genre | Date | Lieu | Adversaire | Score | Tps Jeu | Notes |
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1 | Amical | 01/11/1906 | Paris | Angleterre | 0-15 | 90 | plus large défaite à domicile |
2 | Amical | 01/01/1911 | Charentonneau | Hongrie | 0-3 | 90 | |
3 | Amical | 23/03/1911 | Saint-Ouen | Angleterre | 0-3 | 90 | |
4 | Amical | 09/04/1911 | Saint-Ouen | Italie | 2-2 | 90 |
Vos commentaires
# Le 28 octobre 2023 à 23:54, par Raphael NOUET En réponse à : Les premiers Bleus : Jules Verbrugge, vrai-faux benjamin
Des articles toujours passionnants, bien écrits et très bien documentés. Bravo !