Le football des nations : bâtir des identités, forger des mythes

Publié le 18 septembre 2018 - Bruno Colombari

De quoi une équipe nationale est-elle le nom ? Dans un ouvrage collectif publié en juin aux éditions de la Sorbonne, une vingtaine d’historiens et de sociologues tentent de répondre à cette question passionnante.

3 minutes de lecture

Il n’est pas courant que les éditions de la Sorbonne publient des livres sur le football. Et c’est dommage, car celui-là est remarquable. En 368 pages, Le football des nations en dit plus que des dizaines d’autres, vite sortis et vite oubliés. Ecrit par une vingtaine d’auteurs, il tente de mesurer à quel point une équipe nationale représente tout un pays et incarne son identité car, comme l’a dit l’historien britannique Eric Hobsbawm, « la communauté imaginée de millions de gens semble plus réelle quand elle se trouve réduite à onze joueurs dont on connaît les noms ».

JPEG - 74.4 kio

Un processus historique, politique et social propre à chaque pays

On y évoque la naissance et le développement du football en Uruguay, en Argentine et au Brésil, avec un crochet pour le Chili du coup d’Etat de Pinochet et le refus de l’URSS d’aller jouer à Santiago, en novembre 1973. Car chaque chapitre inscrit le football dans un processus historique, politique et social à la fois spécifique à chaque pays mais avec de nombreux points de ressemblance, notamment la récupération du soutien populaire par les dirigeants politiques (le chapitre sur le Portugal de Salazar s’appropriant les succès du Brésil est particulièrement savoureux).

On revient en Europe avec l’Italie mussolinienne, l’Espagne qui s’ouvre au monde en 1982 après la mort de Franco, la Hongrie de la période Ferenc Puskas et du Onze d’or, la Russie de l’après-guerre froide avant de finir par l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique qui a renoué avec son public en 2011 via un jeu de défis et bien sûr, l’équipe de France.

Identité de jeu, identité nationale

Cette dernière a droit à deux chapitres. Le premier, signé Stéphane Beaud et Julien Sorez, est intitulé Les Bleus au long court, : indifférence, exaltation et crispations nationales. En une vingtaine de pages, c’est un siècle d’histoire des Bleus qui est retracé depuis les débuts de l’équipe nationale (1904) jusqu’au barrage victorieux contre l’Ukraine (2013) qui scelle la réconciliation entre l’équipe nationale et le public français. Comme dans le reste de l’ouvrage, il y est question d’identité du jeu, défini au début comme la furia francese, et d’identité nationale, avec les premières controverses devant l’intégration d’enfants d’étrangers dans la sélection, en 1952 (Polonais et Italiens).

Stéphane Beaud et Julien Sorez émettent ainsi l’hypothèse que, « dans le monde du football si puissamment médiatisé, les patronymes des footballeurs qui font au départ très « étrangers » deviennent peu à peu très familiers à l’oreille, et même parfois des intimes de la vie quotidienne. Il y a sans doute là un mécanisme beaucoup plus efficace que tous les discours antiracistes pour faire admettre les différences. »

Les auteurs reviennent aussi sur l’épisode de Knysna, en juin 2010 [1], « un événement sportif aussitôt transformé en affaire d’Etat et en véritable crise nationale ». La violence des propos des articles consacrés aux Bleus dans la presse a selon eux trois causes : l’hypermédiatisation du football, la détérioration des relations entre les journalistes et les joueurs et enfin la logique de bouc émissaire qui frappe les joueurs issus des cités de la banlieue parisienne, accusés au moindre problème d’être de mauvais Français : « en somme, de ne pas vouloir mourir symboliquement pour la patrie et de mal représenter la nation ».


 

Ces attentes démesurées dont les Bleus font l’objet

L’autre chapitre est écrit par Ludovic Lestrelin, qui a accepté de répondre à mes questions (dans une interview publiée bientôt). Dans Supporter une équipe nationale. De quelques enseignements tirés du cas de l’équipe de France, il reprend l’idée d’attentes démesurées dont les Bleus font l’objet, « celle notamment d’incarner sur un mode idéalisé et fantasmé le « nous » de la nation. Si un tel état de fait existe, c’est que le football nous parle de bien autre chose que de sport. » On ne saurait mieux résumer le propos de tout le livre.

Selon Ludovic Lestrelin, « L’espérance placée dans les résultats sportifs apparaît d’autant plus insensée et absurde que la production du collectif propre au football est fondamentalement fragile. » On a pu le constater l’été dernier : l’euphorie et la communion populaire dans les fanzones, les places et les rues n’a pas duré bien longtemps. Et même la fête différée du 10 septembre après le match France-Pays-Bas, toute réussie qu’elle ait été, n’a évidemment apporté aucune réponse à « une société fragmentée d’un point de vue politique, social, spatial et générationnel, angoissée par son déclin et soucieuse du devenir de son identité. »

La richesse du Football des Nations, c’est enfin la diversité et la qualité de ses contributeurs. Avec ses articles signés d’une vingtaine d’universitaires français, britanniques, espagnols, belges, portugais, brésiliens ou hongrois, il évite les pièges d’une étude franco-française. Le ton de l’ouvrage est parfaitement accessible et très riche en contenu, un peu dans l’esprit de ce qu’on peut lire sur l’excellent site The Conversation qui réussit la prouesse de concilier l’expertise des auteurs et la pédagogie des textes.

pour finir...

Le Football des nations
Édité par Fabien Archambault, Stéphane Beaud, William Gasparini
Editions de la Sorbonne
368 pages, 12 euros.

[1Stéphane Beaud est l’auteur de Traîtres à la nation ? [Seuil, 2011] consacré à la grève des joueurs suite à l’exclusion de Nicolas Anelka.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Hommage à Pierre Cazal