Matthieu Delahais : « avec les critères actuels, en 2000 Zidane aurait peut-être eu le Ballon d’or »

Publié le 21 mars 2022 - Bruno Colombari - 1

Les modifications importantes annoncées par France Football pour l’attribution du Ballon d’or changeront-elles la donne ? Les Bleus seront-ils pénalisés ? Auteur du site Trophées du foot, Matthieu Delahais analyse les mutations d’une récompense en recherche d’une nouvelle crédibilité.

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France Football a annoncé une importante réforme du Ballon d’or le 11 mars dernier. Elle prendra effet dès cette année et portera sur quatre points. Tout d’abord, avant de commencer, pourrais-tu revenir sur l’histoire de ce trophée et la place qu’il a pris aux côtés de ceux, collectifs, qui récompensent une équipe ?

Le trophée a été créé en 1956 par France football, année qui correspond à la première édition de la coupe d’Europe des clubs Champions. Dans un premier temps, il a été réservé aux joueurs européens, puis à ceux évoluant en Europe à partir de 1995 et enfin s’est ouvert au monde en 2007. Jusque il y a une grosse dizaine d’années, le vainqueur était souvent celui qui était le leader ou le joueur le plus en vue d’une des meilleures équipes du moment. Les années qui ont vu des nations européennes remporter la Coupe du monde sont un bon exemple. Bobby Charlton l’a eu en 1966, Paolo Rossi en 1982, Lothar Matthaus en 1990, Zinedine Zidane en 1998 et Fabio Cannavaro en 2006. Et 1974, c’est un finaliste mondial de l’épreuve qui l’a gagné (Johan Cruyff). Mais l’avènement du duo Messi/Ronaldo, deux joueurs hors du commun qui ont eu des statistiques impressionnantes pendant des années, a changé la donne. Le palmarès, qui était l’un des critères d’élection, est un peu passé au second plan.

Même si le football est un sport collectif, tous les plus grands joueurs rêvent du Ballon d’or. La donne a quel peu été faussée depuis l’avènement de Messi et Ronaldo qui ont trusté les titres. La question n’était plus de savoir qui gagnerait le Ballon d’or, mais qui de Messi ou Ronaldo en remporterait le plus. Mais quand on parle de cette récompense aux anciens lauréats, on sent leur fierté. Et la réaction de Lewandowski qui l’a raté cette année montre bien l’importance qu’il accorde à cette récompense. Il faut aussi reconnaître qu’être reconnu en tant qu’individualité dans un sport collectif doit donner une certaine satisfaction.

La première réforme porte sur la période. Au lieu de l’année civile, de janvier à décembre (mais en réalité plutôt fin octobre ou début novembre), c’est désormais la saison sportive qui est concernée. Est-ce logique ? Qu’est-ce que ça va changer ?

Les compétitions se terminent à la fin du printemps ou au début de l’été. C’est à ce moment que les équipes sont sacrées. Il me semble donc plus logique de décerner une récompense individuelle à cette période. Ce qui va changer, je pense, c’est que les derniers matches de la saison auront plus d’importance dans le vote des jurés. Il est arrivé que des joueurs réussissent d’excellentes performances à l’automne, alors qu’ils avaient été moins bons que d’autres sur les matches décisifs de la fin de saison précédente. Je pense par exemple à Marco Van Basten, qui n’avait pas joué de coupe d’Europe en 1991-92 (le Milan était suspendu) et qui avait précipité l’élimination des Pays-Bas à l’Euro en manquant son tir au but en demi-finale. Il a eu le trophée en partie grâce à son début de saison 1992-93 tonitruant avec entre autres un quadruplé en Ligue des Champions face à Göteborg. Avec le nouveau système, ce sont plutôt les matches de fin de saison, donc ceux qui mènent aux titres, qui pourront faire basculer les votes.

Le nombre de votants sera restreint, passant de 170 à 100, correspondant aux 100 premières nations au classement FIFA. Ce qui va éliminer les journalistes des plus petits pays…

C’est une décision qui va dans le bon sens. Si le football est un sport universel, il n’est pas le sport de référence partout dans le monde. Certains pays n’ont pas une grande culture footballistique et chaque année certains votes sont vraiment étranges, même si une récompense individuelle dans un sport collectif reste très subjective. Limiter les votants aux 100 pays les mieux classés par la FIFA devrait permettre d’avoir un collège de votants un peu plus fiable je pense.

Troisième modification, les performances individuelles primeront sur l’aspect collectif et les trophées remportés. Ce qui semble paradoxal compte tenu du changement de calendrier, et ce qui décroche un peu plus le lauréat du collectif qui l’entoure…

Je trouve aussi cette modification incongrue. Les victoires à répétition de Lionel Messi (lauréat à sept reprises entre 2009 et 2021) et Cristiano Ronaldo (cinq victoires entre 2008 et 2017) ont nui à l’intérêt du Ballon d’or. Mais il faut reconnaître qu’en valeur pure, leur succès (sauf peut-être les derniers) étaient mérités. A l’origine, le palmarès était un des critères de l’élection. Si ce critère avait été plus mis en avant en 2010 par exemple, Andres Inesta (champion du monde) ou Wesley Sneijder (vainqueur de la Ligue des Champions et vice-champion du monde) auraient pu remporter la récompense qu’a eue Messi qui n’avait gagné que la Liga. Si on décide de mettre en avant les performances individuelles, Kylian Mbappé ou Erling Haaland pourraient gagner beaucoup de Ballons d’or s’ils continuent à marquer autant de buts.

L’intérêt de cette modification est sans doute de donner plus de chance aux joueurs issus de petites nations, qui ont peu de possibilités de se faire remarquer avec leur sélection nationale. Haaland est bon exemple. Il a le potentiel pour être rapidement un candidat au Ballon d’or. Il aura juste un petit désavantage lors des années de phases finales de Coupe du monde ou d’Euro. Et si les titres remportés sont moins importants, ça l’aidera sans doute un peu.

Dernier critère, les spécialistes chargés d’élaborer les listes des prétendants compteront désormais Didier Drogba et le votant le plus perspicace de l’édition précédente. Sachant que les favoris sont toujours dans la liste retenue, ce changement en est-il vraiment un ?

Tu as raison. Je vais faire un parallèle avec une liste pour une phase finale. Lorsqu’elle est connue, il y a toujours une quinzaine des noms qui sont indiscutables. Les polémiques et discussions se jouent autour des coiffeurs comme on les appelle, les joueurs qui seront là pour faire le nombre... Pour la liste du Ballon d’or, c’est la même chose. Il doit y avoir une quinzaine de joueurs qui ne prêtent pas à discussion. Après, ça discute sur ceux qui ne sont pas nominés. Mais en aucun cas, on ne fait de ces joueurs des prétendants à la victoire finale. Donc, à mes yeux, ça ne change pas grand chose. France Football veut peut-être se redonner un peu de crédibilité avec cette mesure.

En quoi cette nouvelle formule pourrait-elle avantager ou pas les candidats français (Benzema, Mbappé et Griezmann, voire Kanté), sachant que la Coupe du monde ne sera prise en compte que pour l’édition 2023 ?

Si la France réalise une grande Coupe du monde, des joueurs français devraient se mettre en valeur. Mais vu que l’élection aura lieu six mois plus tard, je crois que ça aura moins d’impact que la finale de la Ligue des Champions 2023. Donc, pour 2023, ce seront les performances en club qui auront le plus d’impact, puisque ce sont les événements qu’auront le plus en mémoire les jurés au moment du vote. Pour le lauréat de l’édition 2022-23, la Coupe du monde ne sera pas forcément le critère le plus fort. Il faudra donc que nos Bleus brillent aussi et surtout avec leurs clubs s’ils veulent être sacrés en 2022 ou 2023. Si le Real remporte la Ligue des Champions cette année, Benzema sera un candidat logique à la victoire.

Si ces principes avaient été appliqués dès le début, est-ce que le palmarès final du Ballon d’or aurait été largement bouleversé ?

Impossible de réponde à cette question. Tout d’abord parce que le vote est subjectif. Chaque juré va interpréter les critères avec sa propre sensibilité, qui n’est pas la même que celle des autres. Si on se base sur les performances, Zidane ne l’aurait peut-être pas gagné en 1998. Sa prestation en finale de la Coupe du monde a énormément pesé dans le vote, alors que Ronaldo avait été excellent toute l’année, mais était passé à travers le 12 juillet. Par contre, en 2000, Zidane le méritait pour ses performances tant avec les Bleus qu’avec la Juventus, mais ses cartons rouges à répétitions à l’automne l’ont privé d’un deuxième sacre. Avec les critères actuels, il aurait peut-être obtenu le Ballon d’or.

Ceci dit, ces changements me tendent à récompenser le meilleur joueur au sens individuel du terme. Le collectif, et donc les titres, semblent moins importants. Donc, oui, le palmarès aurait probablement été bouleversé, mais impossible de dire dans quelle mesure.

Parmi les propositions de réforme émises par les journalistes, l’une d’elles (Laurent Favre, du journal suisse Le Temps) était originale : comme pour le prix Goncourt, un joueur ne peut être primé qu’une seule fois. Qu’en penses-tu ?

Ça n’a pas de sens dans le monde sportif. Beaucoup de vainqueurs manqueraient de crédit, puisque tout le monde seraient d’accord pour dire qu’un ancien lauréat serait le vrai meilleur joueur du monde. En 1984, par exemple, Tigana aurait été élu. Mais, sur cette année-là, avec l’Euro qu’il a réalisé (9 buts en 5 matches), il aurait été difficile de ne pas donner le trophée à Platini. Il doit y avoir de nombreux autres exemples allant dans ce sens... Et si on suit cette logique, on pourrait aussi interdire au Brésil, à la France et aux autres champions du monde de gagner à nouveau la Coupe du monde puisqu’ils ont déjà été sacrés.

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Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

Vos commentaires

  • Le 21 mars 2022 à 09:43, par Richard Coudrais En réponse à : Matthieu Delahais : « avec les critères actuels, en 2000 Zidane aurait peut-être eu le Ballon d’Or »

    Le Ballon d’Or tenait une grande partie de sa magie dans le fait qu’il n’y avait aucun critère. Chaque journaliste invité votait selon son ressenti. Ce n’était pas à proprement parler le meilleur joueur qui était élu, mais celui qui représentait le mieux l’année écoulée.
    Cette magie a disparu dès lors qu’on a demandé à des professionnels du foot (entraineurs, capitaines, etc.) de participer au vote, lesquels privilégient forcément la qualité intrinsèque du joueur, raison pour laquelle Lionel Ronaldo et Cristiano Messi ont raflé les suffrages.
    Aujourd’hui on instaure des « critères » aux votants. On estime que le vote sera plus « juste » au mépris de l’esprit originel du trophée. Prochaine étape : ce seront les ordinateurs qui voteront le Ballon d’Or. On parie ?

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