Trois raisons pour expliquer un traitement conjoint de Raymond Gigot et André Puget : une, tous deux sont des ailiers droits ; deux, ce sont des Bleus éphémères (une seule sélection), et surtout trois : tous deux sont morts à la Guerre, tous deux en 1915, et en outre tous deux au même endroit, à savoir Neuville Saint-Vaast, quoiqu’à quatre mois d’écart.
André Puget était l’aîné des deux, né le 12 janvier 1882 à Paris, Raymond Gigot étant son cadet de trois années, né le 11 mai 1885 à Perpignan. Mais c’est Gigot qui a été le premier sélectionné, en 1905 contre la Belgique (0-7), par un jeu de chaises musicales : Pierre Allemane n’ayant pas de permission pour se rendre à Bruxelles, c’est Marius Royet qui s’y colle au poste-clé de demi-centre, du coup Louis Mesnier abandonne sa place à l’aile pour jouer inter, et Gigot entre à droite ! Il n’a pas dû donner satisfaction, parce qu’en 1906, toujours pour affronter les Belges, il n’est que remplaçant, et c’est un autre Raymond, Jouve, qui est aligné à droite, bien qu’il ne soit pas du tout un ailier (lire l’article Les premiers Bleus : Raymond Jouve et la consigne oubliée). Par la suite, Gigot sort des plans des sélectionneurs.
Une sélection chacun, et toujours à Bruxelles contre les Belges
Puget, pour sa part, n’est titularisé qu’en 1907 (encore face aux Belges, adversaires annuels), et il ne se débrouille pas si mal, puisque c’est sur un de ses nombreux centres que le trio Bon-Camard-François parvient à marquer en bousculant le gardien belge dans ses cages, ce que le règlement permettait alors à la condition qu’il ait le ballon dans les mains (2-1). Pour autant, et en dépit de cette victoire (rare !), on ne fera plus appel à lui ensuite.
Raymond Gigot (le premier assis à gauche) avec la sélection de Paris le 7 janvier 1906 (BNF, Gallica)
Ni Gigot, ni Puget, donc, n’ont vraiment convaincu. Pourquoi ? D’abord, il y a la concurrence d’Emile Sartorius, qui a la classe et qui, s’il est disponible (ce qui n’a pas toujours été le cas, mais rappelons que les joueurs sont amateurs et ont donc d’autres obligations), est indiscutable à l’aile droite. Ensuite, le profil de Gigot et de Puget est le même : tous deux sont des sprinters, dont le jeu se borne à « descendre » le terrain, comme on disait alors, à toute vitesse le long de la ligne de touche, et à centrer en bout de course. Ces déboulés sont impressionnants, mais rarement effectifs, car les centres sont délivrés à l’aveugle. Il arrive que tous deux se rabattent et tentent leur chance au but, mais à ce jeu, Gigot est plutôt maladroit, davantage que Puget, d’autant que ce dernier est plus puissant (1,75 m, l’équivalent d’1,85 m aujourd’hui) que Gigot (1,65 m).
André Puget, fils de magistrat, écrivain de théâtre
En fait, Puget, qui dispose d’un beau gabarit, avait tout pour s’imposer, sauf… la volonté de s’imposer. C’est un dilettante, en tout : fils d’un magistrat, conseiller à la Cour d’Appel de Paris et chevalier de la Légion d’Honneur, un notable, André Puget est un éternel étudiant en droit pas pressé de devenir magistrat comme Papa, qui finance son séjour à Londres, où André Puget se mariera puis divorcera, avant de se remarier moins de six mois plus tard à Paris !
A ses heures perdues, il écrit, et publiera (aux éditions Conard, ça ne s’invente pas) une pièce de théâtre en vers, s’il vous plaît, et en deux actes, intitulée La Nuit Blanche, préfacée par Rémy de Gourmont, une des figures du Tout-Paris intellectuel, pièce qui figure dans l’Anthologie des Ecrivains morts à la Guerre, l’article étant signé Claude Farrère. Je précise ceci pour montrer que Puget était pris au sérieux dans le monde littéraire. Plus que dans celui du football ?
André Puget avait débuté au Racing en 1898 et y pratiquait beaucoup de sports, se dispersant. On lui reproche sa « mollesse », de n’avoir pas « l’esprit ouvrier », c’est-à-dire de ne pas participer au jeu et à sa construction ; une autre fois, on peut relever cette formule, qui semble le définir : « Puget, qui jusque-là s’était montré bien paresseux, se réveille… » et marque un but après s’être « emparé » du ballon et avoir « descendu » tout le terrain. Dans les rangs du Racing, il a joué 4 finales du championnat de France, en perdant 3 (1902, 08 et 11), mais en gagnant quand même une, en 1907, face à l’éternel rival, Roubaix, et à …Sartorius ! Bref, Puget n’exploite pas à fond son potentiel.
André Puget (le premier à gauche) avec le Racing le 27 janvier 1907 (BNF, Gallica)
Raymond Gigot, de l’escrime à l’athlétisme en passant par le football
Raymond Gigot, plus limité, pour sa part, est employé de banque et fils d’un militaire, muté de Perpignan et devenu moniteur d’escrime au Cercle d’escrime de Sèvres. Il sera bien entendu initié à l’escrime, tout en pratiquant l’athlétisme : il est très éclectique, comme c’est souvent le cas dans les années 1900, où l’on ne se spécialise pas, comme aujourd’hui. On tâte de tout, sans être obnubilé par le haut niveau, par l’ambition d’exceller, tout simplement parce qu’il n’y a pas d’argent à gagner dans le sport alors, et pas non plus de prestige social. Gigot a même renoncé à une sélection dans l’équipe de Paris pour affronter Londres, une affiche, donc, pour… aller jouer une obscure partie à Reims avec le Club Français !
Les deux hommes se connaissaient bien, pour s’être affrontés à de nombreuse reprises dans le championnat de Paris, entre 1900 et 1914, et ils se sont retrouvés au front en 1915 dans le même secteur, celui de Neuville Saint-Vaast, tristement célèbre par le carnage de l’assaut mené par les Français pour prendre le « Labyrinthe » construit par l’armée allemande. On appelait Labyrinthe l’enchevêtrement de boyaux, de souterrains et de casemates, garni de canons et des mitrailleuses que l’état-major français s’est obstiné à conquérir au prix de pertes considérables, de mai à octobre 1915.
Carte du secteur de Neuville Saint-Vaast. Le Labyrinthe est en bas à droite. (BNF Gallica)
Dans le piège mortel du Labyrinthe
Gigot et Puget n’appartenaient pas au même régiment, mais rien n’interdit de penser qu’ils aient pu se croiser dans les tranchées. André Puget est mort le premier, lors de l’assaut initial du Labyrinthe, le 9 mai 1915, qui se solda par un échec et plus de 700 morts, hachés par les mitrailleuses. Atteint de deux balles dans la tête, Puget est mort sur le coup. Il relevait d’une blessure à la tête, déjà, un éclat d’obus reçu alors qu’il était le chauffeur d’un officier dans la région d’Ypres. Sporting mentionne cette blessure et ajoute : « La blessure paraissait grave, mais les sportifs ont une santé tellement solide que Puget a triomphé du danger. On peut affirmer que sa guérison n’est qu’une question de jours », et l’article paraît le 29 avril… Dix jours plus tard, André Puget est tué.
Raymond Gigot, lui, en bon fils de militaire, était sergent instructeur à Bernay, et il est signalé le 6 juillet qu’il va monter au front avec les recrues qu’il a formées, et qui sont lancées dans le dernier assaut, victorieux celui-là, mené contre le fameux Labyrinthe. Il est tué le 25 septembre 1915 dans le bois de la Folie (qui jouxte le Labyrinthe). Son corps ne sera pas retrouvé (ce qui signifie qu’il a été atteint de plein fouet par un obus), et le décès n’a été officiellement enregistré à Sèvres qu’en octobre 1918.
Une même destinée tragique a donc uni ces deux Bleus éphémères.
Le seul match de Raymond Gigot avec l’équipe de France A
Sel. | Genre | Date | Lieu | Adversaire | Score | Tps Jeu | Notes |
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1 | Amical | 07/05/1905 | Bruxelles | Belgique | 0-7 | 90 | première défaite |
Le seul match d’André Puget avec l’équipe de France A
Sel. | Genre | Date | Lieu | Adversaire | Score | Tps Jeu | Notes |
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1 | Amical | 21/04/1907 | Bruxelles | Belgique | 2-1 | 90 | passeur décisif sur le but de François |