Les premiers Bleus : Six, Vialaret, Gressier et Fenouillère, destins communs

Publié le 8 juin 2023 - Pierre Cazal - 1

René Fenouillère, Raoul Gressier, Pierre Six et Justin Vialaret : ils sont quatre, comme les trois mousquetaires, dont le destin s’est rejoint au point de les réunir dans un seul et même article.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
6 minutes de lecture

René Fenouillère, Raoul Gressier, Pierre Six et Justin Vialaret ont glané leur unique sélection à l’occasion des Jeux olympiques de 1908, dont le participation (malheureuse) de la France au tournoi de football a déjà été abondamment commentée. Tous quatre ont d’ailleurs failli ne pas porter le maillot bleu, car ils n’étaient de prime abord que remplaçants, auxquels il a été fait appel en raison de nombreux forfaits.

Pourquoi tant de forfaits, au juste ? Essentiellement parce que le tournoi olympique se déroulait en tout début de saison (19 et 22 octobre, pour les deux matchs des équipes B, d’abord (0-9) puis A ensuite (1-17) opposées aux Danois. La saison de football commençait alors bien plus tard qu’aujourd’hui, et n’était pas préparée par un entraînement foncier collectif, le niveau de forme des joueurs dépendant donc des efforts physiques personnels consentis en été, variables du tout au tout selon les individus.

Certains, hors de forme, préféraient donc s’abstenir, et d’autres l’ont fait par convenance personnelle, un long déplacement par-delà la Manche n’étant pas forcément envisageable pour ces amateurs à 100% d’un autre temps…

Réunis par les JO de Londres et la Première guerre mondiale

Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que, sur les 26 joueurs ayant fait le déplacement de Londres, 17 aient été des Nordistes, le voyage étant moins long ! Gressier était de Calais, Six du Havre, Fenouillère, d’Avranches, et seul Vialaret était Parisien, quoique Aveyronnais de naissance ! Fenouillère, dans l’équipe A, prit la place d’Hanot, et dans l’équipe B, Gressier prit celle de Victor Denis, Six, celle de Schaff, et Vialaret celle de Morillon (qui, du coup, ne revêtit jamais le maillot bleu, bien qu’il ait longtemps figuré à tort dans tous les listings !).

L’autre coup du destin qui réunit nos quatre hommes, c’est qu’ils ont été tués lors de la Guerre de 14-18 : Gressier, le premier, disparu à Tahure (Marne) le 6 octobre 1915, et les trois autres en 1916 : Six, à Estrée le 8 juillet, Vialaret le 30 septembre à l’hôpital de Marcelave (Somme) vraisemblablement suite à l’infection de la blessure à l’épaule qui l’y avait conduit, et Fenouillère enfin le 4 novembre à Reims, « tombé glorieusement à la tête d’une patrouille exécutée dans la nuit du 4 au 5 novembre », dit la citation, son corps étant retrouvé le 5 décembre seulement.

Examinons maintenant au cas par cas chacun d’eux.

Le Red Star en 1913. René Fenouillère est en bas à droite, à genoux (photo Rol, BNF Gallica)

Fenouillère a joué pour l’Espanyol de Barcelone et pour le Barça en 1903

René-Victor Fenouillère est le plus âgé : il était né le 22 octobre 1882 à Portbail et avait débuté au modeste club de l’US Avranches dès sa fondation, en 1897. C’était un joueur de couloir avant l’heure, évoluant aussi bien ailier que demi-aile, postes qui convenaient à ses qualités de vitesse et d’énergie. Mais il avait également la bougeotte, puis qu’on le trouve en Angleterre, où il joua au rugby, puis, étonnamment, en Espagne. On sait qu’il joua sous le maillot de l’Espanyol de Barcelone en mars 1903 (2-2 contre le Barça de Juan Gamper) puis sous celui du Barça lui-même (3 matchs amicaux, 1 but, en mai et juillet 1903).

Ne pas s’en étonner : il n’y avait pas, à l’époque, de fédération espagnole, donc les clubs s’échangeaient les joueurs au gré de leurs besoins, et des matchs décidés, eux aussi, de gré à gré. Fenouillère revient en France accomplir son service militaire à partir de novembre 1903, il est dit employé de commerce sur sa fiche militaire. Il se fixe ensuite à Paris, où il joue pour le Racing Club de France et gagne même le championnat de France 1907 en battant Roubaix (3-2), avant de rejoindre les rangs du Red Star.

Ce club était alors en 2ème série du championnat de Paris seulement, mais son président Jules Rimet ne manquait pas d’ambition et attira (on disait racola) de nombreux joueurs de qualité pour faire progresser son équipe, Fenouillère fut l’un de ceux-là. On souligne, dans les journaux, sa bonne humeur, et sa capacité à entraîner ses coéquipiers, c’est un meneur d’hommes et il devient donc vite le capitaine de l’équipe, étant du reste le plus âgé.

En équipe de France, il est barré par Verbrugge, Triboulet et Raymond Dubly, mais il aura quand même l’honneur d’être retenu comme remplaçant en 1914, à 32 ans, contre l’Italie ; cependant, c’est Dubly, bien sûr, qui joua. Triste détail, René Fenouillère avait profité d’une permission, en janvier 1916, pour se marier, mais c’était sans compter sur le sort, qui fut contraire au jeune couple…

Les grands coups de botte de Raoul Gressier

Raoul Gressier est né le 19 novembre 1885 à Calais et c’est au Racing club de Calais, aux côtés de Julien Denis, qu’il a accompli l’essentiel de sa carrière. C’était un grand gaillard (1,75 mètre, soit l’équivalent d’1,88 mètre aujourd’hui), capable de jouer à l’arrière, où son jeu consistait à dégager à grands coups de botte, mais aussi en demi-centre, car il savait aussi, à l’occasion, dribbler et passer la balle.

On relève ce jugement en 1907 : « beaucoup d’entrain, dribble bien, possède un excellent shoot, mais perd parfois la tête et oublie ses coéquipiers », ce qui signifie que le jeu collectif n’est pas son fort. D’ailleurs, à l’occasion de sa sélection dans l’équipe du Nord, en janvier 1909, il est souligné que « son choix n’a pas été sans soulever des critiques. » Il a joué pour l’Olympique Lillois deux saisons (1906-1908), avant de revenir à Calais. Au total, un bon joueur de club, sans plus, qui n’a dû sa sélection qu’à sa disponibilité.

Le RC Calais en 1910. Raoul Gressier est le dernier debout à droite, les mains sur les hanches (photo Rol, BNF Gallica)

La parenthèse hambourgeoise de Pierre Six

Pierre Six [1] était le plus jeune : il est né le 18 janvier 1888 à Lille, mais ses parents étant partis s’installer au Havre, c’est sous les couleurs du HAC qu’il se fit remarquer. Dès mars 1906, il n’a donc que 18 ans, il joue un quart de finale du championnat de France contre Roubaix (2-6) ; puis, en 1907, il enlève le championnat scolaire du Nord, en battant avec son équipe du Lycée du Havre, celui de Tourcoing, où évolue Gabriel Hanot.

De taille moyenne (1,68 mètre pour 65 kg), Six est « un joueur fin, très bon dribbleur, distribuant parfaitement le jeu », car il est souvent l’avant-centre, bien qu’il ait dû dépanner à l’aile droite à Londres, lors du tournoi olympique, pour suppléer le titulaire Schaff, poste pour lequel il n’était absolument pas fait. De nos mousquetaires, Six est le seul à avoir été resélectionné après le fiasco londonien : mais ce fut pour en connaître un second, car il participa au tristement célèbre 0-20 subi à Ipswich par l’équipe représentative de l’USFSA (hors FIFA) en 1910.

Encore une fois, il s’en releva, puisque l’USFSA (qui avait rejoint le CFI au début de l’année 1913, mais conservait l’habitude de faire jouer sa sélection propre, pour des matchs sans caractère représentatif) lui donna sa chance pour affronter une sélection d’Anvers, en décembre 1913. Cette sélection de l’USFSA comportait huit internationaux (dont Hanot, Ducret, Bard, Chandelier) et celle d’Anvers, composée de joueurs du Beerschot et de l’Antwerp, pas moins de cinq internationaux belges, l’USFSA gagna 4 à 1, et Pierre Six, positionné à l’avant-centre, marqua son but. A noter que, à l’issue de son service militaire, en 1911, il était parti pour Hambourg, et l’on ignore s’il put intégrer une équipe allemande, avant de revenir s’établir au Havre en février 1913.

Justin Vialaret, président, trésorier, secrétaire, attaquant et défenseur

Justin Vialaret est né le 12 novembre 1883 à Millau, dans l’Aveyron, mais ses parents étaient « montés » à Paris et il n’a donc connu que des clubs parisiens, le premier étant l’Etoile sportive parisienne, en 1901, dont il a été à la fois le président, le secrétaire et même trésorier, tour à tour ou à la fois. Il est aussi capable de jouer à l’avant et à l’arrière, disposant d’un coup de pied solide, qui lui permet de dégager… n’importe où, quand il défend, de tirer les coups–francs et même de tirer au but, quand il est demi ou avant.

Ses dispositions sont plutôt offensives, et si, sur L’Auto, on reconnaît volontiers qu’il est « toujours dangereux », on décrète qu’« il shoote trop ». En 1907, il passe au CA XIV, un club du 14ème arrondissement de Paris, modeste mais qui comprend quelques futurs internationaux, comme Devic, Morel ou Petel. Avant les Jeux olympiques de 1908, le blond Vialaret, qui est fils unique de veuve et donc dispensé de service militaire, employé de commerce, n’a jamais retenu l’attention des sélectionneurs, que ce soient ceux de Paris ou de l’équipe de France, c’est dire qu’il n’est qu’un joueur de club limité.

Il faut donc à la fois une sélection élargie (44 joueurs pré-choisis pour constituer les deux équipes alignées à Londres) plus une cascade de forfaits, car il n’est d’abord couché que sur la liste des remplaçants, pour que Justin Vialaret soit finalement titularisé, à la suite du forfait de dernière minute du Redstarman Morillon. Il a la charge, en tant que demi-aile, de neutraliser l’ailier danois Oskar Nielsen-Norland, qui ne marquera pas un seul des 9 buts encaissés par les Bleus, ce qui le décharge en partie de la responsabilité de l’écrasante défaite.

Il semble que Vialaret abandonne la pratique du football peu après son mariage, en 1910, de sorte que la trace qu’il a laissée dans le football français se révèle assez mince. Un éclat d’obus le touche à l’épaule le 20 septembre 1914, dans la Somme, et il est transporté dans un hôpital d’évacuation à Marcelave où il meurt le 30, peut-être à la suite de l’infection de sa blessure initialement mal soignée (il n’est évacué que le 25).

Nos quatre mousquetaires n’auront donc pas connu la gloire sous le maillot bleu, mais sous l’uniforme, bleu lui aussi, mais de façon plus tragique.

Le seul match de Raoul Gressier, Pierre Six et Justin Vialaret avec l’équipe de France A

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps Jeu
1 JO 19/10/1908 Londres Danemark 0-9 90

Le seul match de René Fenouillère avec l’équipe de France A

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps Jeu
1 JO 22/10/1908 Londres Danemark 1-17 90

[1Aucun lien de parenté avec Didier Six, ni avec l’international belge Alphonse Six.

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