Robert Eucher (et non René, comme j’ai eu le tort, un temps, de l’appeler – mais les annuaires fédéraux des années 1970-80 ne l’appelaient-ils pas Marcel ?) est né le 14 juin 1884 à Paris a débuté au modeste club de la SA Montrouge, dont il était même le secrétaire en 1903, et qui évoluait en deuxième série du championnat parisien.
Mais, en 1905, avec un autre futur international, Julien Du Rhéart (dont il a déjà été question, et dont il ne sera pas reparlé dans le cadre de cette série consacrée aux premiers Bleus), Eucher hisse son club en première série, tout en se hissant lui-même aux portes de l’équipe de France.
Il manque le match contre la Suisse en 1905
Il est en effet choisi comme remplaçant contre la Suisse en février 1905, et il est précisé qu’au cas où Royet (sous les drapeaux) ne pourrait se libérer, Mesnier, prévu à l’aile droite, glisserait « à l’inter » et Eucher prendrait sa place à l’aile. Mais Royet joua : donc Eucher resta sur le banc de touche. Cependant il joue le classique Paris-Nord en avril 1905 aux côtés de Mesnier, car cette fois-ci, Royet n’est pas de la partie !
Vient alors le moment de constituer l’équipe nationale pour aller jouer en Belgique la seconde manche de la Coupe Evence-Coppée, et, mauvaise surprise, Eucher est écarté, au motif suivant : « Gigot prend la place de Eucher, auquel on reproche de trop avoir souci de marquer lui-même des buts, contrairement au rôle de l’extrême ». Cette critique est révélatrice des préjugés de l’époque sur les rôles assignés aux joueurs.
L’AS Française en 1909. Robert Eucher est le premier joueur debout, à gauche (Agence Rol, BNF Gallica)
Le reproche individualiste
Dans le système du 2-3-5 et avec une règle du hors-jeu imposant trois joueurs entre le porteur du ballon et le but (donc deux arrières et le gardien), l’attaque ne se joue pas en profondeur, mais en ligne. L’ailier a pour tâche de déborder et de centrer, le soin de convertir ces balles en but étant confié à la « triplette » centrale composée des deux intérieurs et de l’avant-centre. C’est un véritable refrain que de voir reprocher à Eucher d’être « trop personnel », comprendre par là qu’il tente sa chance au but au terme de ses « descentes ».
Il ne mesure qu’1,57 mètre, mais il est très rapide, il a pratiqué le sprint à Montrouge, et n’hésite même pas à tenter sa chance… de la tête, devant les cages ! Cela se produit en 1910, lors d’une finale de la Coupe Ingram, opposant Paris à la Champagne (7-2), où Eucher, par ailleurs décrété « le meilleur », marque deux buts dont un de la tête.
Robert Eucher est en réalité en avance sur son temps, dans les années 1920, un ailier comme Jules Devaquez (autrement plus puissant) passera son temps à se rabattre et à tirer au but, sans que personne ne le lui reproche. Pour le moment, en 1905, « Eucher n’est point de valeur indiscutable et reconnue », écrit sévèrement L’Auto, il est laissé de côté et n’aurait sans doute jamais eu l’honneur de revêtir le maillot bleu, si le titulaire du poste, le Roubaisien Sartorius, n’avait déclaré forfait en mai 1908 pour aller à Rotterdam affronter les Hollandais, si l’on en juge ce qu’écrivait encore avec une certaine férocité L’Auto : « Eucher, tout en étant un bon joueur, est un homme d’une classe inférieure (sous-entendu à Sartorius, sélectionné dans un premier temps) et sa présence détruira l’homogénéité de l’attaque nationale ». On se demande pourquoi, puisqu’il a évolué aux côtés de Mesnier, qu’il connaissait bien. Lors du Paris-Nord de 1909, la comparaison avec Sartorius est encore défavorable : « Le petit ailier droit de l’ASF (Eucher est passé à l’AS Française en 1906) est fort habile, mais il est bien léger. »
Sa seule sélection à Rotterdam en 1908, puis deux officieuses
Eucher joue le match Hollande-France du 10 mai 1908 (4-1), et c’est plutôt à la triplette centrale que le sélectionneur André Billy adresse des reproches pour la faiblesse et la maladresse dans les tirs, et Eucher est resélectionné pour jouer dans l’équipe B de France au tournoi olympique de Londres. Mais, comme beaucoup de Parisiens, il se désiste à la dernière minute, ce qui lui évitera de participer au fiasco (0-9) face aux Danois.
Il ne lui en sera pas tenu rigueur, et il jouera encore deux matchs avec l’équipe de France en 1909 et 1910 contre l’Angleterre (0-8 et 0-20), mais il ne s’agit plus de l’équipe de France officielle, l’USFSA ayant démissionné de la FIFA et perdu sa représentativité internationale au profit du CFI, et qu’il s’agit d’une fédération anglaise dissidente, celle de l’AFA (tout aussi efficace que celle de la FA, les scores sans appel en témoignent !).
Dynamiteur de couloir, comme René Camard
Robert Eucher compte donc trois sélections, mais une seule officielle. Par ailleurs, en 1909 et 1910, il est systématiquement retenu dans les équipes de Paris (notamment pour affronter celle de Londres) et il y brille : il semble avoir compris ce qu’on attend prioritairement de lui et multiplie les centres au terme de ses nombreuses descentes sur l’aile. Avec son coéquipier de club René Camard, qui a le même profil, mais joue à gauche, l’ASF détient deux dynamiteurs qui sprintent à cœur joie dans leur couloir et se font redouter.
Eucher, qui est caissier à l’agence Havas, se marie alors et abandonne progressivement le football en 1911, un cas fréquent à cette époque d’amateurisme total où le mariage et la paternité se contrarient avec les exigences de la pratique sportive.
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L’Auto du 2 octobre 1905 (BNF Gallica)
Pour terminer, et à propos justement de l’amateurisme, il est amusant d’évoquer un incident qui fit couler un peu d’encre. Et notamment celle d’Eucher lui-même, qui se donna la peine d’écrire un démenti à L’Auto en octobre 1905. Il avait été mis en cause avec quelques autres, à l’occasion d’une tournée d’un club intitulé Club Athlétique Professionnel Parisien (CAPP), affilié à une Fédération Athlétique Professionnelle curieusement adoubée par l’USFSA, qui s’est pourtant proclamée en 1908 défenseur de l’amateurisme pur et dur, allez-y comprendre quelque chose dans de telles contradictions !
Une équipe amateur parisienne rémunérée pour jouer contre des clubs anglais
Cette équipe du CAPP, montée de bric et de broc avec des joueurs amateurs parisiens, qui évoluaient tous dans d’autres clubs et portaient des pseudonymes (!) avaient rencontré des équipes professionnelles anglaises (de second ordre : Norwich City, 0-11 quand même, et Reading City, 0-4), contre rémunération, évidemment. Et elle avait été dénoncée à L’Auto, qui en fit des gorges chaudes et se risqua à dévoiler quelques pseudonymes : Massip, Letailleur, et Eucher se cachant derrière les noms de Leroy ou Dubois...
Eucher protesta en ces termes : « Je suis très étonné de voir dans votre journal de ce jour mon nom mêlé à cette fameuse histoire de l’équipe fantôme de retour d’Angleterre, n’ayant jamais quitté Paris du mois dernier. » L’affaire fit pschitt, l’USFSA se refusant à enquêter, ce qui valait mieux pour les joueurs en question qui risquaient tout simplement la radiation ou le classement professionnel. Ce qui les auraient éloignés des championnats et Coupes diverses contrôlées par l’USFSA ainsi que de l’équipe de France, car en 1905, l’USFSA était toujours dans la FIFA, qu’elle venait de créer l’année précédente !
Il disparaît à 55 ans dans les derniers jours avant l’Armistice
Robert Eucher disparaît donc des terrains en 1912, mais curieusement, un entrefilet de 1921 dans Sporting, informe les lecteurs qu’Eucher vient de reprendre l’entraînement dans les rangs du Gallia Club. Il a alors 37 ans ! Mais il n’en sera plus jamais question ensuite. Robert Eucher est décédé le 23 mai 1940 à Paris, sans rapport avec la guerre car à cette date, si les Allemands avaient entamé leur percée en France, ils n’étaient pas encore arrivés à Paris. Laquelle sera déclarée ville ouverte le 14 juin.
Le match de Robert Eucher avec l’équipe de France A
Sel. | Genre | Date | Lieu | Adversaire | Score | Tps Jeu | Notes |
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1 | Amical | 10/05/1908 | Rotterdam | Pays-Bas | 1-4 | 90 |