Le contexte de son arrivée
En club, après une carrière de joueur pro et six sélections à la fin des années 60, il s’occupe du Red Star, du Paris FC, de Strasbourg et de Lens. S’il est l’adjoint d’Aimé Jacquet lors de la Coupe du monde 1998, ce dernier ne l’appelle que cinq mois plus tôt, en janvier. Suffisant pour que l’ancien entraîneur de l’équipe de France militaire (avec laquelle il obtient un titre de champion du monde en 1995) devienne le sélectionneur des Bleus quelques jours après le triomphe du 12 juillet, alors que Jean Tigana était pressenti. Dans une interview accordée à L’Equipe en 2012, il reconnaissait : « Vous savez, je ne suis pas un type compliqué. Je n’aurais jamais pensé que j’allais avoir la responsabilité de l’équipe de France. » [1]
Son apport
Succéder à un sélectionneur champion du monde est à la fois très simple (Lemerre hérite de la meilleure équipe de France de l’histoire, en tout cas au palmarès) et très compliqué (comment faire aussi bien, voire mieux ?). Comme aucun joueur n’est en fin de carrière parmi les 23, Lemerre décide de garder la plupart d’entre eux, renvoyant néanmoins Thierry Henry et David Trezeguet chez les Espoirs, leur préférant Nicolas Anelka qui avait été testé en avril.
Son souhait est aussi de rééquilibrer vers l’avant une équipe très prudente sous Aimé Jacquet. L’émergence de Patrick Vieira au milieu, l’arrivée de Sylvain Wiltord en attaque et le retour de Thierry Henry au printemps 2000 lui permettent de franchir un palier par rapport à 1998. Si elle est moins imperméable, son équipe est capable de tous les scénarios : mener au score (trois fois au premier tour et contre l’Espagne en quarts), prendre le dessus après une égalisation (six fois) et renverser le score après avoir été menée (contre le Portugal en demi et l’Italie en finale). Finis les 0-0 stériles dans les matchs couperet, finis les scores débloqués par les défenseurs [2].
Surtout, le coaching de Lemerre est d’une efficacité redoutable : but de Wiltord contre le Danemark, pénalty contre le Portugal provoqué par le duo Wiltord-Trezeguet, but égalisateur à la dernière minute de la finale d’une déviation de Trezeguet pour Wiltord, but en or en finale d’un centre de Pirès pour une volée historique de Trezeguet. Difficile de faire mieux…
Avec dix-huit mois de matchs amicaux pour préparer la Coupe du monde en Corée et au Japon [3], Roger Lemerre a tout son temps pour gérer la succession de Laurent Blanc et Didier Deschamps, et surtout de trouver un plan B en cas d’indisponibilité de Zidane. La victoire anecdotique en Coupe des confédérations en 2001 permet une large revue d’effectifs, sans conséquence puisque la plupart des nouveaux appelés ne seront pas conservés.
L’année 2001 montre pourtant des signes de relâchement dans un groupe capable de faire voler en éclats un Portugal revanchard (4-0 en avril) mais de chuter trois fois en Espagne (1-2), contre l’Australie (0-1) et au Chili (1-2). Et au printemps 2002, les tuiles et les mauvais choix se succèdent : blessure au genou de Robert Pirès en mars avec Arsenal, non-sélection de l’excellent Eric Carrière au milieu, blessure stupide de Zidane en amical contre la Corée du Sud à cinq jours du match d’ouverture.
Le flair qui avait accompagné Roger Lemerre depuis deux ans s’est évaporé : le sélectionneur des Bleus laisse beaucoup trop de marge de manœuvre à son groupe dans son hôtel coréen transformé en barnum, il donne les clés du jeu à un Djorkaeff dépassé et la poisse colle aux semelles des champions du monde (cinq tirs sur les poteaux). La bonne étoile l’a quitté.
Le tournant
Le 9 octobre 1999, l’équipe de France est en grande difficulté. Après neuf matchs disputés dans le groupe 4, elle compte 18 points, dont 12 acquis face à l’Arménie et Andorre. Elle a fait jeu égal avec la Russie (3-2 à Moscou, 2-3 à Saint-Denis) et l’Ukraine (deux fois 0-0). Avant d’affronter l’Islande au Stade de France (1-1 à l’aller), elle est troisième et donc virtuellement éliminée. Mais une victoire contre l’Islande conjuguée à un nul entre la Russie et l’Ukraine la qualifierait sans passer par les barrages.