Le contexte
Qualifiés dans la douleur après une victoire 3-2 contre l’Islande en octobre 1999, les Bleus de Roger Lemerre semblent aller mieux quand arrive le mois de juin. L’équipe de France débute à l’Euro contre ce qui semble être l’adversaire le plus facile du groupe, le Danemark. Autant dire qu’il serait préférable de prendre les trois points d’entrée avant de jouer les Tchèques et les Néerlandais. Les Bleus n’oublient pas non plus qu’en 1984 et en 1998 ils avaient également rencontré (et battu) les Danois au premier tour, avant de remporter le tournoi. Ils se souviennent aussi qu’en 1992 ces mêmes Danois les avaient sortis sèchement de l’Euro suédois.
Pour rencontrer les quart-finalistes du dernier Mondial, Roger Lemerre a bâti une équipe plutôt offensive en 4-4-2 : la défense est classique (Barthez, Thuram, Blanc, Desailly, Lizarazu), au milieu Deschamps et Petit sont chargés de couvrir Zidane et Djorkaeff, tandis que devant Henry et Anelka sont associés pour faire parler leur pointe de vitesse. Encore faut-il qu’ils trouvent des espaces dans la défense adverse.
Côté Danois, pas de grand nom hormis le gardien Peter Schmeichel et une équipe orpheline des frères Laudrup plutôt prudente avec le duo Tomasson-Sand en pointe et le teigneux Stieg Töfting (surnommé la tondeuse à gazon) pour faire le ménage au milieu. On s’attend à un adversaire replié jouant le contre. On va être surpris. Il est 18 heures dans le stade Jan Breydel de Bruges baigné de soleil. Pour la première et dernière fois dans cet Euro, l’équipe de France joue en maillot bleu, short blanc et chaussettes rouges. Les Danois sont en blanc.
Le match
Il faut 42 secondes aux Danois pour obtenir un premier corner qui ne donne rien.
A la 2e, Desailly est trop court sur une balle piquée de Gronkjaer pour Tomasson qui se présente seul devant Barthez, Blanc n’étant pas revenu. Le gardien des Bleus ne bouge pas et dégage la frappe du pied. L’alerte a été brûlante, mais ne suffit pas pour réveiller les champions du monde qui sont pris à la gorge par des Danois survoltés. A la 5e, sur une ouverture danoise de 50 mètres, Barthez sort à l’aventure hors de sa surface et se heurte à Blanc, mais Tomasson n’en profite pas. Devant, Anelka et Henry ont des espaces dans la défense plutôt lourde, sans concrétiser.
A la recherche du KO d’entrée
Il n’y a pas de round d’observation et on se dit qu’à ce rythme, le score sera vite ouvert. Pas par Djorkaeff, qui met dans les nuages un coup-franc plein axe (8e). Pas par Sand qui au terme d’un une-deux avec Tomasson dans la surface voit son tir pas assez appuyé sorti par Barthez (11e), alors que Thuram et Blanc ont été trop facilement éliminés. Pas par Anelka non plus, qui parfaitement lancé dans l’espace par Zidane (mais sans doute hors-jeu), élimine Schmeichel mais ne redresse pas assez sa frappe qui finit dans le petit filet (12e) alors que Henry était tout seul au second poteau. Zidane commence à mettre le pied sur le ballon et le milieu des Bleus presse mieux sur les relances danoises.
Blanc a de la suite dans les idées
C’est Laurent Blanc qui débloque la situation à la 16e. Le libéro des Bleus récupère un ballon sur la ligne médiane, avance, sollicite un une-deux avec Deschamps, sert Henry qui dévie instantanément pour Anelka alors que les Danois sont en train de remonter. Anelka entre dans la surface, bute sur Schmeichel qui repousse dans les pieds de Blanc qui a suivi et se jette pour placer un intérieur du droit plein cadre (16e, 1-0). Moins de deux minutes plus tard, sur une action jumelle, Petit trouve Henry dans la profondeur qui sert Anelka d’une talonnade. L’avant-centre du Real est signalé hors-jeu à tort. En moins de vingt minutes, c’est déjà la troisième fois qu’il se présente seul devant Schmeichel...
Henry lance le sprint
On se dit alors que les Danois vont exploser en vol à ce rythme. Et que les Bleus seraient bien inspirés de convertir une autre occasion avant la mi-temps. Comme Zidane, par exemple, servi côté gauche par Lizarazu rentre vers l’intérieur et frappe de 25 mètres. Son tir flottant passe devant la cage de Schmeichel et sort près du poteau (32e). Hormis une frappe sans danger de Nielsen (37e), les Danois semblent incapables de réagir et multiplient les fautes loin de leurs cages. La mi-temps arrive après une dernière alerte quand Lizarazu lance Henry le long de la touche. Deux coups de rein suffisent pour mettre la défense danoise hors de position, mais Schmeichel ferme bien l’angle près de son poteau alors que Djorkaeff était seul (39e).
Les Danois remettent ça
Quand la partie reprend, les Bleus semblent avoir le match bien en mains, mais le Danemark revient dans les mêmes dispositions qu’au coup d’envoi. Après tout, la défense française n’est pas sereine, elle a concédé six corners et trois tirs cadrés. Et dans les premières minutes de la deuxième mi-temps, les corners se succèdent devant la cage de Barthez alors que les Bleus sont privés de ballons et sont dominés dans l’impact physique. Et quand ce n’est pas un corner, c’est sur coup-franc que Tofting chauffe les gants de Barthez à 25 mètres (51e).
Henry part sans laisser d’adresse
A la 58e, premier changement : Djorkaeff sort, Vieira entre. Les Bleus passent donc en 4-3-1-2 et se positionnent en équipe de contre. C’est l’occasion de noter l’extraordinaire banc de Lemerre : Dugarry, Wiltord, Pires, Trezeguet, Micoud, Lebœuf... On en reparlera dans les matches suivants. La dernière demi-heure voit les Bleus refaire surface et se créer une première occasion nette par Henry qui sert Anelka au second poteau. Le Madrilène ne trouve pas le cadre (63e). Ce n’est que partie remise. Sur une action parfaitement limpide partie de Lizarazu et relayée par Zidane, Henry part plein gaz et s’en va battre Schmeichel en quatre touches de balle (64e, 2-0). (1’13 sur la vidéo).
Anelka n’y arrive toujours pas
Cette fois, le match est plié et Bo Johansson tente le tout pour le tout en faisant trois changements en sept minutes (Jorgensen, Gravesen et Beck à la place de Tofting, Bisgaard et Tomasson). Evidemment, les espaces s’ouvrent. Anelka est encore signalé hors-jeu sur une déviation d’Henry (68e) puis est devancé par Schmeichel sur une balle en cloche de Zidane (71e). Les Bleus gèrent tranquillement, ils savent que ce Danemark-là ne leur remontera pas deux buts. A neuf minutes de la fin, Anelka sort, remplacé par Wiltord. Ce dernier se procure une première occasion quand, sur un dégagement de Barthez suivi d’un service de Zidane, il presse Schmeichel dans la surface (85e).
Wiltord dans le temps additionnel, déjà
Les Danois finissent sur la jante et peinent de plus en plus à récupérer le ballon alors que Zidane régale avec ses roulades. A la 90e, il teste Schmeichel d’une frappe tendue de 25 mètres du gauche. Puis c’est le coup de grâce : A la 92e, Deschamps sert Wiltord qui remet à Zidane, puis Henry lequel lance Vieira plein champ. Wiltord en nette position de hors-jeu depuis sa remise, conclut de près mais comme la passe de Vieira est sur la même ligne, M. Benko valide le but (3-0, 92e).
La séquence souvenir
Le but de Henry (64e). Sur une longue séquence danoise dans le camp français, Gronkjaer centre côté droit, trouve Sand de l’autre côté, qui dévisse sa frappe. Le ballon retombe en chandelle sur Lizarazu qui le remet de la tête sur Henry, lequel sert Zidane en retrait et part côté gauche. Zidane lui remet la balle d’un piqué de l’extérieur du droit. Henry part alors de son propre camp, cinq mètres avant la ligne médiane, et en quatre touches de balle parcourt quarante mètres, entre dans la surface et à douze mètres en biais ouvre le pied droit et place la balle au second poteau de Schmeichel. L’action aura duré dix secondes, impliqué quatre joueurs et nécessité sept touches de balle avant la frappe de Henry. Un modèle du genre, que l’on reverra en 2003 (contre de Henry et but de Trezeguet contre l’Allemagne) et en 2014 (contre de Giroud et but de Valbuena contre la Suisse).
Le Bleu du match
Laurent Blanc. En 1998, il n’avait pas été seulement impeccable en vigie d’une défense imprenable : il avait épargné aux Bleus une séance de tirs au but périlleuse contre le Paraguay en marquant un but en or plein de hargne. Contre le Danemark, c’est lui qui déclenche l’attaque qui prend à revers tout le bloc défensif adverse et qui a la présence d’esprit d’accompagner la percée d’Anelka pour ouvrir le score et marquer son 16e et dernier but en sélection. Même s’il est moins impressionnant derrière (comme le reste de la défense, d’ailleurs), il met les Bleus sur les rails d’un deuxième titre consécutif.
L’adversaire à surveiller
Jon Dahl Tomasson. L’avant-centre de Feyenoord a alors 23 ans et s’il n’est pas encore le redoutable attaquant qui comptera 112 sélections (pour 52 buts) et qui brillera au Milan AC entre 2002 et 2005, il incarne la nouvelle génération danoise d’après les frères Laudrup. Après une énorme occasion dès la 2e minute, il continue de peser sur la défense française mais baisse de pied en deuxième mi-temps avant d’être remplacé à la 79e. Il prendra sa revanche deux ans plus tard à Incheon en marquant le deuxième but qui éliminera définitivement la France.
La petite phrase
Laurent Blanc au micro de France 2 : « Il y a des jeunes joueurs qui sont bourrés de talent, j’ai pu leur dire, tout le monde leur dit, ça saute aux yeux. Ça pourra permettre à l’équipe nationale d’avoir beaucoup d’ambition pour ce championnat d’Europe et pour d’autres compétitions à venir. »
La fin de l’histoire
Ayant démarré l’Euro sur le même score que celui avec lequel ils avaient commencé (et fini) la Coupe du monde, les Bleus sont désormais rassurés : ils ont les moyens d’assumer leur statut de favoris de la compétition, et surtout ils peuvent désormais se qualifier pour les quarts de final avant d’affronter les Pays-Bas lors du troisième match de poule. C’est d’ailleurs ce qui se passera, puisque la République tchèque sera battue (2-1) cinq jours plus tard. Ce match contre le Danemark, au score flatteur, sera d’ailleurs le seul du tournoi où les Bleus n’encaisseront aucun but.
Les Danois, quarts-finalistes de la Coupe du monde 1998, pouvaient avoir des ambitions pour cet Euro. Mais le tirage au sort les a vite refroidis : placés dans le groupe du pays organisateur, du champion du monde en titre et de la République tchèques, ils savaient que ça allait être mission impossible. Ils se battront pourtant courageusement contre les Pays-Bas en tenant près d’une heure (0-3). Le dernier match face aux Tchèques n’avaient plus d’enjeu (0-2).
Deux ans plus tard, en Corée, Français et Danois se retrouveront au premier tour (pour la troisième fois en quatre ans !) et les Scandinaves prendront leur revanche : alors que les Bleus ont besoin de gagner par deux buts d’écart pour se qualifier, le Danemark l’emporte 2-0 et se qualifie pour les huitièmes de finale, où il tombera face à l’Angleterre. L’équipe de France, championne d’Europe et du monde, rentrait à la maison.