Sadi Dastarac n’a connu qu’une seule et unique sélection en Bleu, le 19 novembre 1908, contre le Danemark (0-9) lors des jeux Olympiques de Londres, dans l’équipe B, mais qui compte cependant pour une sélection A, et non pour une sélection B !
Eclaircissons d’abord ce petit mystère, à l’intention de ceux qui ne connaîtraient pas le fin mot de cette histoire quasi croquignolesque. L’USFSA a inscrit DEUX équipes au tournoi olympique ; le règlement le permettait, mais personne d’autre que l’USFSA ne l’a fait. De sorte qu’en la matière, la France détient un record : jamais, au cours d’une compétition, depuis 140 ans, aucune autre fédération n’a inscrit deux équipes représentatives à part égale. D’abord, parce que c’est interdit, depuis 1920 (c’était encore permis en 1912, mais personne ne s’est risqué à le faire) ; et ensuite, parce que ça revient à diviser par deux ses forces.
Douze éphémères au casse-pipe
L’USFSA n’a pas, en effet, choisi de hiérarchiser ses équipes : la meilleure, baptisée A, et celle des doublures, baptisée B. Elle a préféré mettre sur pied deux équipes d’égale force, ou plutôt d’égale faiblesse, comme l’ont prouvé les scores, 0-9 et 1-17, face à… la même équipe, ironie du sort, le Danemark ! Elle a opté pour la tactique du saupoudrage : cinq internationaux déjà (un peu) expérimentés dans chacune des deux équipes, et six néophytes en complément dans chacune également. Aucun de ces douze éphémères n’a connu une deuxième sélection plus tard, ce qui veut dire que, s’il n’y avait eu qu’une seule équipe de France pour participer au tournoi olympique, un seul d’entre les deux demis droits aurait été sélectionné, et cela n’aurait pas été Dastarac.
Sadi Dastarac, deuxième accroupi en partant de la gauche, avec le Gallia Club en 1908 (BNF Gallica)
Comment peut-on en être sûr, allez-vous me demander ? Tout simplement parce que l’autre demi droit, celui qui a joué avec l’équipe A, était Georges Bayrou, auquel un article a déjà été consacré dans cette série consacrée aux premiers Bleus, ceux de l’USFSA. Or, si vous avez lu cet article, vous savez déjà que Bayrou avait été préselectionné en équipe de France dès 1904, qu’il était le capitaine du même club où opérait Dastarac, le Gallia, qu’il était polyvalent, et bénéficiait d’une réputation bien supérieure à celle de son coéquipier, étant un meneur d’hommes.
Sadi Dastarac n’aurait pas dû être international
On peut d’ailleurs s’amuser à composer cette équipe, qui aurait dû, seule, jouer le tournoi olympique de 1908 : Tilliette – Verlet, Bilot – Bayrou, Renaux, Schubart – Sartorius, Jenicot, François, Mathaux, Filez. Elle n’aurait évidemment pas battu le Danemark, qui était très fort et a tenu la dragée haute aux « maîtres » anglais en finale, mais elle ne se serait certainement pas ridiculisée…
Autant dire que Sadi Dastarac n’aurait pas dû être international, comme dix autres des néophytes, dont il sera reparlé dans le cadre de cette série, le moment venu. A-t-il été honoré par cette « demi-sélection », on en doute, au vu du résultat humiliant du match. Il devait défendre contre l’ailier Marius Andersen, qui, certes, n’a pas marqué, mais qui a arrosé de ses centres ses coéquipiers de l’attaque. Et il n’est pas parvenu à fournir de bonnes balles à ses propres attaquants.
Ce fut une partie à sens unique, où les Danois interceptaient la quasi-totalité des balles de relance et monopolisaient le ballon. Notez que Bayrou fit pire au second match : 17 buts encaissés au lieu de 9, ça fait une différence ! Elle s’explique par le fait que, dans le premier cas, les Bleus n’ont pas (totalement) baissé les bras devant la supériorité écrasante des Danois… mais pas dans le second !
Prénommé comme le président de la République Sadi Carnot
Il y a donc gros à parier que, sa sélection, Dastarac ne tenait pas à ce qu’on lui en reparle…
Dastarac portait une brochette de prénoms assez improbable : Centulle, Marie, Louis, Sadi ! Le prénom usuel, Sadi, lui avait été donné en l’honneur du président de la République Sadi Carnot, élu en 1887. Sadi Dastarac est né le 14 juin 1888 à Saint Vincent de Paul, près de Dax, dans une famille nombreuse : dix enfants ! Son père était le directeur des Forges de Buglose, une localité connue pour être le « Lourdes des Landes » en raison de la découverte, en 1620, d’une statue de la Vierge dans un marais par un bœuf ! Mais, pour le football, on le retrouve à Paris dans les rangs de l’équipe du Lycée Charlemagne (l’Union Carolingienne), en 1905, avant-centre (il est déjà bien charpenté, et d’une bonne taille).
Il signe au Gallia (de Bayrou) en 1906, et s’y impose en reculant dans la ligne de demis ; mais c’est en 1908 qu’il perce vraiment. Il est retenu dans l’équipe de Paris qui doit jouer contre le Nord, et présenté ainsi dans L’Auto : « un jeune doté d’une grande vitesse et d’un shoot puissant. » C’est-à-dire doté de qualités essentiellement athlétiques. Il sera resélectionné pour jouer le match Paris-Nord en 1909, ainsi que Paris-Londres en janvier 1910, avec le commentaire suivant : « Dastarac fut le meilleur, il ne gêna pas sa défense (?) et servit assez intelligemment Verbrugge et Cyprès. »
En équipe de France, il est le quatrième choix à son poste
Bref, il a digéré le fiasco de Londres. Mais il n’est pas pour autant retenu en équipe de France ; en 1908, il passe après Vandendriessche, Wilkes, Du Rhéart, il est donc au mieux n°4, et encore ! En mars 1910, pour jouer à Ipswich le fameux match contre l’Angleterre, qui se terminera par une défaite historique de 0 à 20 dont il a déjà été parlé, Dastarac n’est que remplaçant, devancé par Montagne (forfait) et Six, qui jouera. C’est dire s’il est très loin d’être incontournable. Bon joueur de club, sans plus.
Le dernier match où il apparaît, c’est le 24 avril 1910, à l’occasion de la demi-finale de Coupe Dewar, où le Gallia se qualifie en battant le CA du 14ème arrondissement. Il ne jouera pas la finale, et son absence est déplorée, elle a affaibli la ligne de demis du Gallia, dit L’Auto. On ne le sait pas, mais on ne reverra pas Sadi Dastarac sur un terrain de football. Le 5 février 1911, un minuscule entrefilet de bas de page nous informe que : « Nous avons appris avec peine la mort de Sadi Dastarac, ex-international de football-association et équipier premier du Gallia Club. » Le lendemain, 6 février, paraît un petit article nécrologique, mais qui ne donne aucun renseignement sur les causes de la mort subite d’un joueur aussi jeune – il a 22 ans — et qui, si on en juge d’après les photos, semblait solidement bâti.
Sadi Dastarac, quatrième joueur en partant de la gauche, avec le Gallia Club en janvier 1910 (BNF Gallica)
Emporté par la tuberculose à vingt-deux ans
La réponse, on la trouvera en consultant sa fiche militaire. Elle précise qu’en 1909 déjà, Sadi Dastarac avait été ajourné, ce qui était le signe d’un problème. Un peu plus loin, on y apprend que, le 4 octobre 1910, Dastarac a été réformé, avec le commentaire suivant, absolument glaçant : « Bacillose pulmonaire, avec amaigrissement considérable et faiblesse générale. » En clair, Dastarac a contracté la tuberculose, qui ne se guérit pas, à l’époque. Il est entré dans la phase terminale en octobre, au moment où il se présente devant le conseil de révision, et est condamné. Il n’a plus que trois mois à vivre…
Il est décédé le 2 octobre 1911 au Sanatorium des Pins, à Lamotte-Beuvron (et certainement pas au cours d’un match de rugby, comme on peut parfois le lire, il en aurait été bien incapable, le malheureux, et on le confond avec un autre Dastarac, rugbyman). Sadi Dastarac est enterré au Père Lachaise. Il est le tout premier international français décédé, et l’un des plus jeunes.
Le seul match de Sadi Dastarac avec l’équipe de France A
Sel. | Genre | Date | Lieu | Adversaire | Score | Tps Jeu | Notes |
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1 | JO | 19/10/1908 | Londres | Danemark | 0-9 | 90 | premier match de compétition |