Le premier match officiel de l’équipe de France s’étant joué à Bruxelles, il n’a pas été couvert par la presse française, à l’exception d’un entrefilet paru dans l’Auto et signé d’Ernest Weber, communément admis encore aujourd’hui comme l’unique source de référence relative à ce match inaugural.
- Lire l’article 1er mai 1904, le jour où tout a commencé
Pourtant, en cherchant bien, on peut dénicher un autre compte-rendu que celui de Weber, dans un quotidien non sportif, La Presse, sous la signature de OFF-SIDE (hors-jeu). Qui se cache derrière ce nom de plume ? Un certain Clément Robert. Qui est Clément Robert ? C’est le vrai nom de Robert-Guérin (avec un tiret), sélectionneur de l’équipe de France en 1904, et fondateur bien connu de la FIFA !
Vous avez donc bien lu : il existe un compte-rendu (développé, en plus) du match du 1er mai 1904 à Bruxelles rédigé par le sélectionneur de l’équipe française lui-même, ignoré, et cette révélation a attendu 116 ans !
Au moment où paraît Sélectionneurs des Bleus, dont un chapitre est consacré à Robert-Guérin, bien entendu, l’occasion est belle de faire connaître cet article, que voici ci-dessous (l’image est cliquable et zoomable sur le site de Gallica), et de l’analyser.
La page 4 de La Presse du 4 mai 1904, avec l’article de Robert-Guérin (source : BNF Gallica).
1903 : l’Ecossais Jack Wood fait renaître l’équipe de France
On sait que l’équipe de France, telle le Phénix, renaquit en 1903 de ses cendres refroidies depuis la fin du tournoi de l’Exposition Universelle de 1900, validé comme tournoi olympique également par Pierre de Coubertin. Mais cette renaissance ne fut pas à l’initiative de l’USFSA, fédération omnisports qui régissait alors le football et qui avait géré le tournoi de 1900. C’est Jack Wood, un Ecossais pionnier du football à Paris avec son club des White Rovers qui y présida.
Wood eut l’idée d’inviter à Paris les célèbres Corinthians, un club spécialisé dans les tournées en Europe, et regroupant des ex-universitaires internationaux anglais, en leur opposant une équipe française dite « mixte ». Elle comportait des joueurs de Lille, Roubaix, du Havre, et de Paris, tous français à l’exception du Suisse Raoul Matthey.
L’équipe de l’USFSA contre les Corinthians le 16 avril 1904. Debout, de gauche à droite : Fontaine, Beau (Coulon), Davy*, Allemane, Verlet* et Canelle* ; accroupis : Mesnier*, Royet*, Garnier*, Cyprès*, Delolme. Les 7 joueurs qui ont rencontré la Belgique deux semaines plus tard sont indiqués avec une astérisque (source : BNF Gallica).
Ce n’était donc pas une véritable équipe de France, elle n’en portait d’ailleurs pas le nom, mais le succès de cette entreprise poussa Wood à récidiver, aidé d’une poignée de mécènes qui créèrent une Société d’Encouragement au football-association (SEFA), organisme extérieur et indépendant de l’USFSA.
C’est alors que Robert-Guérin comprit que l’USFSA, dont il présidait la Commission d’association (CA), devait reprendre la main sous peine d’abandonner le contrôle des matches internationaux et de l’équipe de France à un organisme parallèle. Comme la SEFA s’était assurée le concours financier du journal Le Vélo pour accueillir à Paris l’équipe professionnelle de Southampton, en mars 1904, Robert-Guérin réagit, ainsi qu’il en témoigne dans un autre article publié dans La Presse : « C’est alors que j’ai proposé au Conseil (de l’USFSA) de former lui-même l’équipe française ».
Pas de rupture avec Wood, toutefois : la CA (Robert-Guérin, donc) « confie le soin » de sélectionner les joueurs français « à notre ami Jack Wood », mais en dernier ressort, c’est la CA qui entérine ce choix, de sorte que, dans l’Auto, on peut lire que c’est « une équipe nationale de France formée par les soins de l’USFSA » qui rencontre celle de Southampton : Robert-Guérin a redressé la barre !
1904 : le Belge Louis Muhlinghaus prête un stade et trouve un trophée
Se profile alors le « match franco-belge » , comme on appelle alors le France-Belgique de mai 1904, premier match « officiel » prévu dans le cadre de la création de la FIFA.
Pour ce match, Robert-Guérin ne veut pas s’associer à la SEFA, ni à Wood, il veut traiter de fédération à fédération, et affermir encore son pouvoir. Puisque l’USFSA ne peut ni surtout ne veut financer ce match, Robert-Guérin se tourne vers son ami Louis Muhlinghaus, secrétaire de la fédération belge et du Racing Club de Bruxelles, propriéraire de son terrain à Uccle et qui met gracieusement à disposition le stade du Vivier d’Oie. Muhlinghaus trouve également un sponsor, le patron des charbonnages belges Evence Coppée, qui offre un trophée, et le tour est joué !
Pour choisir les joueurs, Robert-Guérin se passe aussi de Wood, mais valide ses choix antérieurs, à la différence près qu’il ne peut compter sur les Nordistes, qui préfèrent se concentrer sur leur championnat régional ! Il doit également gérer des forfaits de dernière minute, rafistoler l’équipe, mais elle apparaît si diminuée que, comme le dit Weber, au moment du départ en train de Paris le moral est bas et « l’espoir n’est guère grand ».
Equipe de France cherche ailier gauche, faire offre
La troupe part quasiment résignée à la défaite, d’autant qu’elle n’a même pas d’ailier gauche ; en désespoir de cause, Robert-Guérin a fait appel à son ami Léon Jourdain. Ce dernier s’engage à accompagner lui-même en train de Lille à Bruxelles l’ailier tourquennois Adrien Filez, qui a bien voulu accepter de jouer, et que personne à Paris ne connaît, ni ses futurs coéquipiers, ni Weber lui-même.
Et pourtant cette équipe faite de bric et de broc conquiert un match nul (3-3), perçu côté français comme une victoire, et côté belge comme un échec. Que s’est-il passé ? Robert-Guérin nous l’explique dans son article de La Presse du 4 mai 1904, en soulignant la « fougue » des Français. D’où provient une telle ardeur, pour une troupe fatiguée par un voyage de nuit en 3ème classe sur les banquettes en bois du train, qui a à peine eu le temps d’avaler une collation au buffet de la gare de Bruxelles, avant de s’engouffrer dans des fiacres la menant à Uccle ?
Robert-Guérin ne le dit pas, mais on le devine : c’est lui, aidé d’Ernest Weber, qui a regonflé le moral des joueurs, qui leur a insufflé le désir de sauver l’honneur national, car « nous avons, en effet, à défendre nos couleurs », disait-il dans un précédent article. La préparation morale a toujours joué un rôle primordial dans les victoires improbables ; en clair, les Français étaient moins talentueux et en moins bonne forme physique que les Belges trop sûrs d’eux, mais ils en voulaient plus, et ceci compense souvent cela, en football.
Robert-Guérin, coach à l’anglaise au bord du terrain
Cette fougue, Robert-Guérin l’illustre quand il parle de Verlet , notoirement faible techniquement, coutumier des « toiles » les plus lamentables, et aussi des frères Bilot, très limités, mais qui, aux ailes de la ligne de demis, défendirent avec acharnement et bloquèrent les ailiers belges. Par ailleurs, Robert-Guérin qui pour la première fois coachait l’équipe (dont il se proclama par la suite manager à l’anglaise) du bord du terrain, comprit l’importance de la cohésion née de l’habitude de jouer ensemble, en soulignant les combinaisons des attaquants et en admirant leur logique, tout en constatant que le dernier arrivé, Filez, faute de cette habitude, restait isolé et quasi inutile.
Une équipe nationale ne doit pas être une collection d’individualités, renouvelée à chaque match, mais doit fonctionner comme un club , avec les mêmes joueurs s’ils sont bons. Robert-Guérin saura s’en souvenir en 1905 quand il accueillera les Suisses pour le second match de l’équipe de France, le premier à domicile : il choisira de se passer des nordistes , les Sartorius, François, Dubly ou Renaux, qui avaient dédaigné l’équipe nationale, et gardera 9 mois plus tard les joueurs de Bruxelles, tout en récupérant ceux dont les forfaits avaient été involontaires (blessure régiment), comme Allemane et Wilkes, et maintiendra Filez, par gratitude. Et il aura raison : la France gagnera 1-0 !
On voit donc tout l’intérêt que repésente cet article oublié d’OFF-SIDE.