RFA-France 1982, c’est sans doute le match des Bleus le plus raconté, commenté, vu, revu, pour lequel des témoignages ont été recueillis, croisés, comparés, recueillis encore et encore, à tel point qu’il est entré dans l’imaginaire collectif, même pour ceux qui ne l’ont pas vécu ni même visionné.
Alors, pourquoi ne pas faire dévier le cours de l’histoire et imaginer ce qui se serait passé si…
Au matin de ce jeudi 8 juillet, Michel Hidalgo a un mauvais pressentiment. Il a lu les propos de Franz Beckenbauer dans le Bild Zeitung (Didier Six lui a traduit l’exemplaire chiffonné qu’un journaliste allemand lui a donné) disant que les Français détestaient le jeu physique et qu’il allait falloir jouer dur, très dur. Vu la différence de gabarit entre Kaltz, Karl-Heinz Forster, Dremmler et Briegel d’un côté, Tigana, Genghini, Rocheteau et Platini de l’autre, il risque d’y avoir de la casse. Il espère donc qu’Antonio Garrido, qui avait déjà arbitré les Bleus contre l’Angleterre à Bilbao (et plutôt bien) tiendra tout ce monde. Il a d’ailleurs failli être évincé au profit du Néerlandais Charles Corver, mais la requête du Français Roger Machin, membre de la commission d’arbitrage, a été rejetée.
Il reste donc René Girard
Michel Hidalgo n’a aucun doute sur les onze titulaires (même si le genou de Dominique Rocheteau, qui a tourné contre l’Irlande du Nord au moment de son deuxième but, inspire encore un peu d’inquiétude) : ce sera les onze qui ont joué le dernier match avec Didier Six à la place de Gérard Soler. Ce dernier sera remplaçant avec Bruno Bellone. Jean Castaneda sera le suppléant d’Ettori, reste à définir les deux derniers. Il faut évidemment un défenseur, et ce sera Patrick Battiston, qui peut jouer à droite ou à gauche, Bossis pouvant glisser dans l’axe si nécessaire.
Et le cinquième ? Initialement, il avait pensé à Christian Lopez, pour plus de sécurité en défense centrale. Mais dans ce cas il n’a plus de milieu de terrain sur le banc. Jean-François Larios, écarté à la demande de Platini, ne s’entraîne plus. Il reste donc René Girard, titulaire contre l’Angleterre et entré en fin de rencontre lors des trois matchs suivants. Si les Allemands jouent dur et qu’un des gringalets du milieu doit sortir, il pourrait apporter sa hargne. Va pour Girard.
Séville, 21h50. Les Français rentrent au vestiaire rassurés après un premier quart d’heure compliqué. Ils ont égalisé rapidement par Platini, répondant à l’ouverture du score de Littbarski, et ils ont fait jeu égal avec les Allemands, sans toutefois que ça se traduise au tableau d’affichage. Mais Genghini grimace. Le coup qu’il a pris sur le mollet, cadeau de Manfred Kaltz, semble sérieux. Hidalgo lui demande de continuer quelques minutes pour voir si ça tient, mais ordonne à René Girard de commencer son échauffement. Les cartons jaunes distribués par Antonio Garrido à Kaltz, Briegel et Schumacher vont-ils suffire à calmer l’agressivité de la Mannschaft ?
Garrido sort un deuxième carton jaune pour Scumacher
Il ne faut pas cinq minutes de jeu à Bernard Genghini pour demander à sortir. Michel Hidalgo fait donc entrer René Girard dans un poste plus bas que le Sochalien, à hauteur de Jean Tigana et derrière Giresse et Platini. Le milieu bordelais, outre qu’il connait bien Trésor, Tigana et Giresse, n’est pas maladroit devant le but, avec 29 réalisations en dix saisons de première division. Et justement, à la 57ème minute, il est lancé dans l’espace par Platini et parvient à toucher le ballon juste avant la sortie de Schumacher. Le ballon roule à côté du poteau, à l’extérieur. Mais Girard ne le voit pas. Il est au sol dans la surface de réparation, sur le dos, visiblement inanimé. Schumacher n’a pas un regard pour lui. Antonio Garrido, qui a un doute, va interroger son juge de touche, le Mexicain Lamberto Rubio Vazquez, qui semble-t-il a vu un choc très violent entre le gardien de Cologne et le remplaçant français. Carton jaune pour jeu dangereux, mais c’est le deuxième, après celui récolté en première mi-temps pour agression sur Didier Six.
Bernd Franke cueilli à froid par Platini
Garrido range le jaune et sort le rouge, alors que Schumacher, fou de rage, menace l’arbitre portugais en le pointant du doigt. Briegel et Förster le ceinturent et le raccompagnent jusqu’au tunnel menant aux vestiaires, pendant que Girard est sorti sur une civière, accompagné par Jean Tigana, et que sur la touche, le gardien remplaçant Bernd Franke, portier de l’Eintracht Braunschweig, enlève son survêtement et entre sur la pelouse en sprintant et croise Félix Magath, qui sort la tête basse. Franke a 34 ans, 7 sélections et va devoir très vite se mettre au niveau, d’autant plus qu’Antonio Garrido désigne le point de pénalty, puisque la faute a eu lieu à l’intérieur de la surface de réparation. Michel Platini, qui a déjà trompé Schumacher à la 27e minute dans le même exercice, s’élance à nouveau et change de côté. Franke, qui n’a pas eu le temps de s’échauffer, s’incline avant même d’avoir touché le ballon. Les Bleus se massent autour de leur capitaine, et c’est là qu’on aperçoit le numéro 3 de Patrick Battiston, entré à la place de René Girard dans la confusion générale.
A une demi-heure de la fin, la France mène 2-1, les Allemands jouent à dix avec un gardien remplaçant. Derwall décide donc de jouer sa dernière carte en faisant entrer Rummenigge à la place de Fischer, autant dire que ça ne rigole plus. Gérard Janvion, qui connait bien le buteur bavarois pour l’avoir pratiqué avec Saint-Etienne face au Bayern, le suit partout et attend le bon moment, à dix minutes de la fin, pour lui asséner un coup de genou dans sa cuisse douloureuse. Le double Ballon d’or roule à terre, et Janvion est sanctionné d’un carton jaune, mais la menace est circonscrite. Jean-Luc Ettori intervient brillamment sur des frappes lointaines Breitner et de Briegel, qui semble manquer d’air après avoir couru derrière Tigana.
A la 89e, Battiston se décide à frapper de 25 mètres...
Il reste moins d’une minute à jouer et les Bleus s’accrochent à leur rêve. Ils maîtrisent le jeu, confisquent le ballon et les Allemands n’ont d’autre choix que de commettre des fautes pour le récupérer. Une magnifique combinaison part d’Amoros à gauche, passe par Janvion, Platini, Trésor, puis Tigana, Six, Tigana encore, Giresse, Platini qui sert Patrick Battiston. Personne ne va sur le latéral stéphanois, qui se décide à frapper à 25 mètres. Son tir flottant heurte le dessous de la barre de Franke, rebondit derrière la ligne et finit au fond des filets. C’est terminé. 3-1 ! Battiston disparait sous un monticule de maillots bleus, Hidalgo pleure dans ses mains sur le banc de touche et les Allemands discutent encore avec Garrido qui les ignore. La légende de Séville s’écrit en direct, sur la pelouse mouchetée du stade Ramon Sanchez Pizjuan. La nuit s’annonce courte.
Vos commentaires
# Le 8 juillet 2022 à 16:11, par Willy En réponse à : Séville, le scénario alternatif
Quel texte magnifique ! On s’y coirait, on y croirait presque. Merci beaucoup !