La dernière marche est souvent la plus difficile à franchir. Pour David Trezeguet, elle a sans doute paru trop haute. Parvenu à vingt-huit buts fin 2003 à l’issue de son doublé contre l’Allemagne à Gelsenkirchen, l’attaquant turinois voyait se rapprocher le podium des meilleurs buteurs tricolores (Platini, 41 buts ; Fontaine et Papin, 30). L’année 2004, c’était certain, le verrait rejoindre puis dépasser les deux avant-centre, et s’attaquer au record du triple Ballon d’Or.
Résultat : sept matches joués, dont un comme remplaçant (Andorre) et trois qu’il n’a pas finis (Pays-Bas, Suisse, Grèce), pour un seul but marqué - et encore, suite à une interception de handballeur (contre la Croatie à l’Euro). Parfois comparé à un poteau pour sa performance au Portugal, celui qui avait gagné le surnom de Trezegol aura connu une année gâchée par les blessures à répétition avant de finir sur le billard.
Son retour contre la Suède et son trentième but en bleu seront-il suffisants pour regagner une place de titulaire dans l’attaque tricolore ? Compte tenu du fait que personne ne s’est imposé en son absence (Luyindula fantômatique, Saha transparent, Anelka placardisé et Cissé gravement blessé) et que Domenech ne semble pas vouloir d’une pointe unique nommée Henry, David Trezeguet pourrait être l’homme de la situation. D’autant qu’il n’a que vingt-sept ans...
Ses temps de passage (30 buts en 56 sélections) sont très proches de ceux de Papin (30 buts en 54 matches), voire de Platini (30 buts en 50 matches). Mais il les atteint beaucoup plus tôt : JPP avait 31 ans lors de son dernier but en bleu, et Platini en avait 29 lors de son triplé contre la Belgique à l’Euro 84.
Fontaine, treize à la douzaine
Son parcours n’a pourtant que peu de points communs avec les deux avant-centre qu’il côtoie désormais, Just Fontaine et Jean-Pierre Papin. Le premier, entré dans l’histoire pour ses treize buts inscrits lors de la coupe du monde en Suède, aura connu une trajectoire aussi brillante qu’éphémère. Il quitte la sélection en décembre 1960, à l’âge de 27 ans, après seulement 21 matches joués, soit deux de moins que Steve Marlet.
Cette efficacité hors norme (un quadruplé, quatre triplés et deux doublés pour trente buts au total) fait de lui le meilleur à la moyenne par match (1,429), juste devant Eugène Maës, un jeune prodige oublié qui inscrivit 15 buts en 11 matches avant la première guerre mondiale. Fontaine bénéficiait pleinement d’un environnement très favorable : les défenses portes ouvertes des années cinquante d’une part, et les formidables pourvoyeurs qui l’entouraient, Jean Vincent, Roger Piantoni et bien sûr Raymond Kopa, d’autre part. Les deux derniers étaient d’ailleurs présents avec lui sur la pelouse de Saint-Denis mercredi soir.
JPP, trop tôt ou trop tard
Jean-Pierre Papin, quant à lui, est arrivé chez les Bleus au plus mauvais moment, entre la génération Platini et celle de Zidane. Il aura côtoyé le premier en tout début de carrière (faisant le voyage au Mexique en 86, où il s’illustra contre le Canada dans une performance digne de Bakari et Bakayoko) et manqué le second d’un seul match, à l’été 94. Entre les deux, il trouva tout de même le moyen de marquer trente buts, dont sept en 91 et autant l’année d’après. Il suscita un néologisme, la papinade, qualifiant généralement une reprise de volée acrobatique sur laquelle la moitié de la population se ferait un tour de rein. Il forma avec Éric Cantona (cinquante buts à eux deux) un duo d’attaque redouté dans un schéma de jeu élaboré sur mesure par Platini sélectionneur : une équipe très défensive dépourvue de meneur de jeu et taillée pour le contre.
David Trezeguet entama sa carrière en Bleu relativement tôt (vingt ans et quatre mois), le jour même de l’inauguration d’un Stade de France transformé en patinoire [1]. Il fut champion du monde avant même de comprendre ce qui lui arrivait et sans avoir gagné de place de titulaire [2] : le Monégasque à l’accent de Carlos Bianchi passa le plus clair des deux années suivantes sur le banc, se forgeant une réputation de joker justifiée par ses neuf buts marqués.
Il lui fallu 31 sélections pour devenir indiscutable à la pointe de l’attaque, mais ce fut au moment où les Bleus allaient plonger avec les échecs de Corée (2002) et du Portugal (2004). Il passa d’ailleurs à travers ces deux phases finales [3], contrairement à celles de 98 et de 2000 où il avait été plutôt bon [4]. Champion du monde à vingt ans, buteur remplaçant, titulaire inefficace, carrière à éclipses... Il reste pourtant à David deux beaux challenges : la coupe du monde 2006, où il n’aura que 29 ans, et le record de buts de Michel Platini qui semble maintenant à sa portée.
Platoche et ses deux triplés
Seul non-attaquant parmi les quatre meilleurs buteurs français, Michel Platini a marqué 41 fois en 72 matches. Il a rejoint puis dépassé le record de Fontaine en juin 1984, et a marqué son dernier but à Guadalajara contre le Brésil en 1986. Dix-neuf ans plus tard, personne n’a fait mieux. Celui qui s’était d’abord illustré par ses coups francs diaboliques a ensuite considérablement élargi sa palette technique, que ce soit dans les frappes de loin ou les buts de surface.
Le meilleur joueur français de l’histoire, dont les qualités techniques combinaient la virtuosité de Zidane et la précision dans le dernier geste de Papin, a inscrit près du tiers de ses buts en une seule année, 1984. Après un doublé contre l’Angleterre (coup franc et tête, Shilton aux pâquerettes), il plantait neuf fois à l’Euro, dont deux triplés consécutifs dans toutes les positions : gauche, droit, tête, avec un coup franc et un penalty pour compléter le tableau. Pfaff et Simovic, les gardiens belge et yougoslave, en font encore des cauchemars, paraît-il. Un but contre le Luxembourg et un penalty contre les Bulgares complétaient l’addition.
Treize buts en une année, il sera difficile de faire aussi bien. Récemment, deux joueurs se sont approchés de ce total. Devinez qui ? Thierry Henry en 2003 (11) et David Trezeguet en 2000 (9) [5]. Si l’année 2005 ne sera sans doute pas assez fournie en matches pour espérer faire mieux, 2006 pourrait être la bonne occasion. Et probablement, pour ces deux-là en tout cas, la dernière...