En ce début d’année 1989, l’équipe de France est en mauvaise posture. Le début de la campagne éliminatoire pour la Coupe du monde 1990 tourne au désastre. Après une victoire péniblement arrachée à la Norvège, les Tricolores ont concédé un match nul à Chypre qui a coûté la tête du sélectionneur de l’équipe de France. Henri Michel a été viré sans ménagement, remplacé par Michel Platini dans le rôle de l’homme providentiel.
Le jour de la Saint-Valentin
Le premier match sur le banc de l’ancien numéro 10 des Bleus, à Belgrade contre la Yougoslavie, a donné plusieurs motifs de satisfaction, mais s’est soldé par une défaite (2-3). Du coup, le rendez-vous de mars 1989 à Glasgow contre l’Ecosse revêt une importance particulière. Pour préparer ses joueurs au combat attendu, Michel Platini a demandé à Gérard Houllier, qui est à la fois son adjoint et le Directeur technique national, de lui trouver deux matchs amicaux contre des oppositions britanniques. Le match prévu contre la Hongrie en février 1989 a donc été remplacé par un déplacement à Dublin contre l’Irlande, et un deuxième match a été ajouté une semaine plus tard, à Highbury contre le club d’Arsenal.
L’équipe de France n’a plus joué contre un club depuis plus de quatre ans, précisément depuis la fin des matchs UNFP. Le sélectionneur et son adjoint ont eu le choix entre Arsenal et Tottenham, deux clubs libérés des contraintes de la FA Cup et donc disposés à rencontrer une équipe continentale, une opportunité assez rare pour les clubs anglais privés de toute compétition européenne depuis le drame du Heysel.
Michel Platini a choisi Arsenal, estimant que Tottenham pratique un football trop continental alors que lui cherche une opposition typically british. En outre, l’équipe dirigée par George Graham est en tête du championnat anglais et semble se diriger vers un titre attendu depuis dix-sept ans. Une opposition de choix. Ce 14 février 1989, 21.785 spectateurs ont pris place dans les tribunes de Highbury alors que celui-ci peut en accueillir 57.000. Certains supporters ont préféré profiter de la Saint-Valentin pour s’offrir un restaurant en amoureux. D’autres ont déploré que les fidèles abonnés doivent payer leur place pour ce match de gala.
L’intervention d’Arsène Wenger
Lors du match précédent à Dublin, Michel Platini avait rappelé son ami Patrick Battiston. Le défenseur de l’AS Monaco avait pourtant décidé, un an et demi plus tôt, de ne plus répondre aux convocations de l’équipe de France. Mais comme pour Jean Tigana, appelé à Belgrade en novembre, le sélectionneur n’a pas hésité à brandir la menace d’une sanction, comme le prévoient les règlements de la FFF pour les joueurs actifs qui refusent la sélection nationale.
Associé à Sylvain Kastendeuch et à Franck Silvestre en défense centrale, Battiston avait fait un bon match à Dublin (0-0) et le sélectionneur s’était félicité des automatismes du vétéran avec ses coéquipiers monégasques, Manuel Amoros et Luc Sonor, placés sur les côtés de la défense. Platini compte bien reconduire cette défense face à Arsenal, mais il reçoit une communication du club monégasque, qui lui demande de libérer ses joueurs, ceux-ci étant encore engagés sur trois fronts (championnat, Coupe de France et Coupe d’Europe).
L’anecdote est d’autant plus croustillante que la demande émane d’un certain Arsène Wenger, alors entraîneur à Monaco, et probablement loin d’imaginer alors qu’il serait appelé un jour à diriger Arsenal. L’équipe de France se voit donc privée de Battiston, Amoros, Sonor ainsi que José Touré, présent dans le groupe et qui était entré en jeu à Dublin. Le club monégasque, bon prince, consent toutefois à laisser Marcel Dib, celui-ci étant suspendu pour les échéances européennes.
Le syndrôme du supersub
Un peu pris de court, Platini fait alors appel à deux novices pour colmater sa défense, l’Auxerrois William Prunier et le Nantais Thierry Bonalair, qu’il associe à Kastendeuch et Silvestre dans une défense à quatre. Le sélectionneur reconduit le même milieu de terrain, avec Franck Sauzée, Jean-Philippe Durand et le jeune Montpelliérain qui a connu sa première sélection à Dublin, Laurent Blanc. En attaque, Platini tente à nouveau d’associer Jean-Pierre Papin à Stéphane Paille alors qu’il est de notoriété courante que les deux hommes s’apprécient peu. Le duo sera complété par Christian Perez, qui a fait d’excellent débuts contre la Yougoslavie trois mois plus tôt.
La rencontre est télévisée sur la chaîne Canal Plus, et donc réservée à une poignée d’abonnés. Ceux-ci découvrent que les Gunners ont choisi de porter face aux Bleus leur tenue jaune et bleue plutôt que la fameuse tunique rouge à manches blanches. George Graham aligne les mêmes titulaires que ceux qui ont battu Millwall quelques jours plus tôt, démontrant qu’il ne galvaude pas cette partie.
La rencontre se déroule comme prévu. Les Français se font “rentrer dedans” comme le souhaitait Platini. Mais les Bleus et leur capitaine Joël Bats parviennent à conserver le score nul (0-0) jusqu’à la pause. En seconde période, Platini procède à son premier changement au bout de dix minutes en remplaçant Perez par Daniel Bravo. Presque aussitôt, Graham remplace Brian Marwood par Martin Hayes. Un choix judicieux. Deux minutes après son entrée, le remplaçant exploite le loupé d’un partenaire qui a également surpris les défenseurs français. A l’entrée de la surface, Hayes envoie un magnifique tir lobé qui ne laisse aucune chance à Joël Bats.
Onze Gunners pour l’Angleterre
Cette réussite semble donner des ailes au numéro 13 d’Arsenal. Quelques minutes plus tard, sur un ballon mal dégagé par la défense française, on le voit tenter une frappe qui passe juste au-dessus de la cage française. Un peu après, il chipe un ballon à Kastendeuch, fonce dans la surface française mais manque son dernier geste.
Après l’heure de jeu, le défenseur irlandais David O’Leary doit sortir en raison d’un coup reçu au visage. Il est remplacé par Steve Bould et les supporters ne manquent pas de souligner qu’Arsenal joue alors avec onze anglais. Aussitôt un chant retentit des tribunes à l’adresse de Bobby Robson, sélectionneur de l’équipe d’Angleterre, lui commandant de constituer sa prochaine sélection avec les onze Gunners présents sur la pelouse.
C’est ensuite Platini qui procède à un changement en faisant entrer Philippe Vercruysse à la place de Durand. A l’entrée du dernier quart d’heure, l’Anglais David Rocastle est remplacé par Perry Groves. Il ne faut guère qu’une poignée de secondes pour que ce dernier entre en action. Il récupère un ballon sur l’aile droite, exécute un débordement sur toute la moitié de terrain française et adresse un centre à Alan Smith, lequel à peine gêné par le marquage de Prunier, pousse le ballon d’un tir en cloche qui lobe Bats.
C’est un grand jour pour les super-subs d’Arsenal. Ca l’est beaucoup moins pour l’équipe de France qui ne peut que constater la supériorité de son adversaire. “Arsenal aurait pu l’emporter avec trois ou quatre buts d’écart” déclare Marcel Dib, entré dans les dix dernières minutes à la place de Stéphane Paille. “Je ne m’attendais pas à gagner, donc je ne suis pas déçu” annonce quant à lui Platini. Il prévient toutefois son homologue écossais Andy Roxburgh : “A Glasgow, ce sera différent. J’aurais tous mes joueurs”.
Arsenal FC bat France 2-0
Buts : Hayes (61’) et Smith (75’).
ARSENAL : Lukic - Dixon, O’Leary (63’ Bould), Adams, Winterburn - Rocastle (74’ Groves), Thomas, Richardson, Marwood (59’ Hayes) - Smith (76’ Quinn), Merson. Entr : George Graham.
FRANCE : Bats - Prunier, Kastendeuch, Silvestre, Bonalair - Blanc, Sauzée, Durand (69’ Vercruysse), Perez (55’ Bravo) - Paille (83’ Dib), Papin. Entr : Michel Platini.
Arbitre : Paul Ward (Angleterre)
21 785 spectateurs
Joueur | Âge | Poste | Sél./total | Club |
---|---|---|---|---|
Joël Bats | Gardien | 32 ans | 44/50 | Paris Saint-Germain FC |
Thierry Bonalair | Défenseur | 22 ans | 0/0 | FC Nantes |
William Prunier | Défenseur | 21 ans | 0/1 | AJ Auxerre |
Franck Silvestre | Défenseur | 21 ans | 1/11 | FC Sochaux |
Sylvain Kastendeuch | Défenseur | 25 ans | 9/9 | FC Metz |
Laurent Blanc | Milieu | 23 ans | 1/97 | Montpellier Herault |
Franck Sauzée | Milieu | 23 ans | 5/39 | Olympique de Marseille |
Jean-Philippe Durand | Milieu | 28 ans | 3/26 | Toulouse FC |
Christian Perez | Milieu | 25 ans | 1/22 | Paris Saint-Germain |
Stéphane Paille | Attaquant | 23 ans | 6/8 | FC Sochaux |
Jean-Pierre Papin | Attaquant | 25 ans | 18/54 | Olympique de Marseille |
Remplaçants | ||||
Philippe Vercruysse | Milieu | 27 ans | 12/12 | Olympique de Marseille |
Daniel Bravo | Attaquant | 26 ans | 12/13 | OGC Nice |
Marcel Dib | Milieu | 28 ans | 4/6 | AS Monaco |
Cette rencontre étant disputée contre une équipe de club, elle ne peut être comptée comme une sélection pour les joueurs participants. Elle constitue toutefois la seule apparition du défenseur Thierry Bonalair, qui ne sera jamais rappelé par la suite. Ce sera également la dernière apparition de Philippe Vercruysse et de Sylvain Kastendeuch avec les Bleus.