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Lire l’interview de Sylvain Venayre : « faire génération, ça veut dire avoir la mémoire d’un même événement »
On la suivait du coin de l’œil, cette collection “Coup de tête” lancée chez Delcourt par Christophe Goret, bien connu du monde de la BD sous le pseudonyme de Kris. Cette collection proposait de publier des bandes dessinées ayant trait au sport et à son histoire et lança courant 2020 deux albums très prometteurs, “Croke Park” qui revenait sur le bloody sunday de 1920 sur fond de rugby et de football gaélique, et “Jujitsuffragettes” qui explique comment les arts martiaux furent en 1910 une arme de l’émancipation féminine.
A Séville avec Sigmund Freud
Nous espérions rapidement une BD qui évoque le foot, et tant qu’à faire l’équipe de France, et notre souhait fut on ne peut plus exaucé dès ce printemps 2021, avec “Mon album Platini” signé Sylvain Venayre, dessins de Christopher et couleurs de Mathilda (les coloristes sont rarement à l’honneur en couverture des BD). L’album est sous-titré “Génération Séville 1982” et la couverture présente quatre hommes au garde à vous tels des footballeurs pendant les hymnes, dont trois silhouettes connues sur lesquelles ont peut poser les noms de Michel Platini, Thierry Roland et... Sigmund Freud.
Le quatrième homme est le scénariste lui-même, qui s’est placé en héros de cette bande dessinée. Il imagine sa rencontre avec Michel Platini qu’il croise dans les tribunes du Heysel. A l’âge de quinze ans, Sylvain Venayre s’était réveillé d’un coma, persuadé d’être un rescapé du drame qui avait précédé la finale Juventus-Liverpool de Bruxelles le 29 mai 1985. Or, il avait été percuté par une voiture quelques jours après la rencontre, mais l’accident est complètement sorti de ses souvenirs contrairement à la tragédie de Bruxelles.
Dans la bande dessinée, l’auteur rapproche son accident oublié à celui de Patrick Battiston sur la pelouse de Séville, percuté par le gardien allemand alors qu’il était en pleine course. Un incident dont le joueur français avoue n’avoir aucun souvenir. C’est au moment précis où les joueurs de l’équipe de France s’enquièrent des nouvelles de leur coéquipier gisant que les héros de la bande dessinée se retrouvent sur la pelouse sévillane. L’auteur-héros y est présent sous deux formes, celle de l’enfant qu’il était en 1982 et celle de l’adulte qu’il est devenu en 2021. Les deux personnages sont accompagnés de Michel Platini (celui de 2021) et de Sigmund Freud, car l’auteur estime (et on le rejoint sur ce point) que la psychanalyse n’est pas de trop pour comprendre France-RFA 1982. Thierry Roland viendra également apporter son expertise, de même que Michel Hidalgo par intervention céleste.
Une histoire bleue
Ainsi la BD, dont le dessin est assuré par Christopher, nous invite à suivre l’équipe de France tout au long de son parcours en Coupe du monde 1982 en Espagne. L’entrée manquée face aux Anglais dans l’étuve de Bilbao, la réhabilitation face au Koweït marquée par l’ahurissante intervention du Cheikh, la douloureuse qualification face à la Tchécoslovaquie puis le football pétillant déployé face à l’Autriche et l’Irlande du Nord avant le rendez-vous de Séville. Le récit digresse vers d’autres événements, passés ou futurs, liés à l’équipe de France, le temps de rappeler qu’en 1982, le football français était absolument vierge de trophées significatifs.
On aime particulièrement la dualité entre le gamin de douze ans et l’adulte qu’il sera plus tard, le premier se montrant particulièrement agacé par le second qui n’aime rien tant, par déformation professionnelle, que donner un avis ou une précision historique qui font vaciller quelques certitudes.
On aime par ailleurs le regard étonné de Sigmund Freud sur cette chose si sérieuse et si futile qu’est le football, sa méconnaissance du sujet permettant, par ses questions, de faire avancer le récit en rappelant quelques éléments fondamentaux. Les remarques de Michel Platini et, à un degré moindre, de Thierry Roland donnent beaucoup de profondeur et répondent un peu aux questions que nous-même aurions posées si nous avions eu le bonheur de connaître une situation similaire.
On referme toutefois l’ouvrage avec une question qui reste en suspens et à laquelle ni un agrégé d’histoire, ni un maître de la psychanalyse, ne donne vraiment de réponse : Pourquoi cette rencontre France-RFA de Séville reste-t-elle considérée comme un sommet du football français alors qu’elle est avant tout une défaite ? Pourquoi vient-elle en tête de nos souvenirs de cette époque alors que la même équipe ou presque a remporté le championnat d’Europe deux ans plus tard en réalisant notamment deux rencontres (France-Belgique et France-Portugal) elles aussi entrées dans la légende ? Pourquoi restera-t-elle en dépit des multiples succès futurs (1998, 2000, 2018…) comme une blessure jamais refermée ?
« Mon album Platini (Génération Séville 1982) » de Sylvain Venayre et Christopher (Delcourt). 112 pages. 21,90€