C’est avec une étiquette de quasi-favori que l’équipe de France se présente à la phase finale du Championnat d’Europe 1992 organisé en Suède. Bien qu’absente de toute phase finale depuis six ans, la sélection tricolore s’est reconstruit une réputation grâce à un parcours éliminatoire parfait (8 matchs, 8 victoires), un Ballon d’Or à la pointe de son attaque et un sélectionneur dont le nom impose le respect, Michel Platini.
La Suède riche de souvenirs
La Suède est une terre qui évoque de bons souvenirs au football français : Celui de la première véritable épopée de l’histoire de l’équipe de France en 1958, mais aussi ce match fondateur d’août 1989 où Michel Platini a dessiné son équipe en promettant d’en conserver l’ossature jusqu’à l’Euro. Sous la pluie de Malmö, les Tricolores s’étaient imposés 4-2, Jean-Pierre Papin et Eric Cantona ayant inscrit deux buts chacun.
Le duo d’attaque était en place, restait à lui composer une assise défensive sur laquelle le sélectionneur ne lésina guère : cinq hommes en défense et deux - voire trois - récupérateurs au milieu. Le style de jeu, basé sur la contre-attaque, est loin du panache romantique de ses années du joueur Platini, mais les résultats sont là. Son équipe est invaincue durant presque trois ans ( [1]).
La plupart des éléments de son équipe proviennent de l’Olympique de Marseille, ce qui garantit une certaine cohésion quand ils se retrouvent sous le maillot bleu. Platini aime toutefois rappeler que ce n’est pas l’équipe de France qui s’appuie sur l’OM, mais plutôt l’OM qui s’appuie sur les Bleus, sous-entendu que le club olympien et son président attendent qu’un joueur soit sélectionné en équipe de France pour s’intéresser à lui.
La Yougoslavie exclue
Huit Marseillais figurent sur la liste des 20 joueurs emmenés en Suède, auxquels il faut ajouter Pascal Olmeta, venu en vingt-et-unième homme en cas de blessure d’un des gardiens. L’attaquant parisien Amara Simba, initialement convoqué, a dû déclarer forfait à la suite d’une blessure à l’entraînement. Il a libéré une place pour le Montpelliérain Fabrice Divert.
Au premier tour, la France est placée dans le groupe 1, avec la Suède, l’Angleterre et la Yougoslavie. Un groupe relevé, mais quel groupe ne l’est pas à cette époque où l’Euro ne réunit que huit équipes ? Quelques jours avant que ne débute le tournoi, une résolution de l’ONU fait exclure la sélection yougoslave en raison de la guerre qui ravage le pays. C’est le Danemark, deuxième du groupe éliminatoire remporté par les hommes d’Ivica Osim, qui est appelé à la hâte pour faire le nombre.
Au moment où les Bleus entament le match d’ouverture du tournoi face au pays hôte, de nombreux questionnements planent sur l’équipe. Depuis la fin des éliminatoires, elle n’a plus remporté un seul match. Elle a perdu son invincibilité à Wembley en février et s’est souvent faite bousculer lors des rencontres de préparation qui ont suivi. Le sélectionneur se veut rassurant, expliquant qu’il a des hommes taillés pour la compétition et pas pour les matchs amicaux. Son adjoint Gérard Houllier a concocté une préparation aux petits oignons qui devrait placer la fusée sur orbite.
Eriksson la charge
Le 10 juin au Råsunda Stadion à Solna, Michel Platini peut aligner sa meilleure équipe possible. Bruno Martini est dans les buts, derrière une défense à cinq hommes : Manuel Amoros, Basile Boli, Bernard Casoni, Laurent Blanc et Jocelyn Angloma. Au milieu, Didier Deschamps et Franck Sauzée assurent la récupération. Devant, Pascal Vahirua est chargé d’alimenter le duo Papin-Cantona.
La production tricolore est malheureusement dans la continuité des récents matches amicaux. Un jeu brouillon, peu de construction et beaucoup de ballons perdus. L’équipe est incapable de prendre le jeu à son compte. La Suède, en face, n’est pas spécialement géniale, mais son jeu direct souffre beaucoup moins d’approximations. Peu avant la demi-heure de jeu, un corner est accordé aux Suédois, que tire Jonas Thern. La défense française s’affaire mais ne voit pas arriver le défenseur Jan Eriksson qui vient frapper le ballon de la tête et l’envoyer dans les filets. Menée au score, l’équipe française ne parvient pas à se dépêtrer de sa médiocrité. Mais après tout, même du temps de sa récente splendeur, la sélection tricolore n’a jamais vraiment réussi ses premiers matchs en grands tournois.
A la mi-temps, Pascal Vahirua est remplacé par Christian Perez dans un rôle de meneur de jeu plus axial. En plusieurs occasions lors des éliminatoires, le joueur de poche avait sauvé l’équipe en donnant des ballons décisifs à Papin. A la soixante minute de ce France-Suède, le duo réédite sa spéciale. Perez lance Papin sur le côté droit, le buteur français contrôle de la tête et frappe du droit pour égaliser.
“J’aurais dû tout changer”
Même s’il a déçu bon nombre de Français, le score nul (1-1) n’est pas vraiment considéré comme une contre-performance. Le lendemain à Malmö, l’Angleterre, autre favori du groupe, est accroché 0-0 par un Danemark à peine préparé et semble finalement à la portée des tricolores.
Pour le match face aux Anglais au Malmö Stadion, Platini procède à deux changements : Jean-Philippe Durand prend la place d’Angloma comme arrière-gauche, et Luis Fernandez est placé au milieu de terrain aux côtés de Sauzée et Deschamps. Le match est insipide, indigne de la réputation footballistique des deux nations. Sauzée, victime d’un choc, est remplacé à la mi-temps par Angloma. Celui-ci se crée la plus nette occasion des Tricolores en reprenant un corner de Papin de la tête, mais le ballon percute le poteau.
Platini prend conscience que la tactique qui a donné tant de satisfaction en éliminatoires, avec sept à huit joueurs à vocation défensive, n’est pas adaptée à une phase finale. “J’aurais dû tout changer, mais dans la pratique, c’était impossible” se justifiera-t-il beaucoup plus tard. A un quart d’heure de la fin, il remplace Fernandez par Perez histoire de rééquilibrer l’équipe, mais la décision est trop tardive. Ce sont même les Anglais qui sont sur le point de l’emporter quand un coup franc de Stuart Pearce est repoussé par la barre transversale de Martini.
A la fin du match, on voit Jean-Pierre Papin lever les bras en signe de victoire alors que le score est resté à 0-0. Le geste un peu maladroit indique la confiance qui anime les Bleus, persuadés qu’ils vont battre le Danemark au troisième match et donc de se qualifier. Il est vrai que les coéquipiers de Brian Laudrup, parachutés dans ce tournoi alors qu’ils préparaient leurs vacances, ne semblent pas en mesure de passer le premier tour. Ils ont certes accroché (0-0) l’Angleterre, mais leur défaite (1-0) face à la Suède semble les avoir condamnés.
Coup de Larsen
A Malmö, les Tricolores sont surpris d’entrée par une frappe de Henryk Larsen qui profite des errements de la défense bleue pour marquer le premier but de son équipe dans le tournoi. Platini a misé sur une formation plus offensive, avec Vahirua et Perez pour servir Papin et Cantona, mais dans les faits, tout n’est que ballons perdus et passes ratées. A la pause, Vahirua est remplacé par Luis Fernandez, moins pour son apport tactique que pour son expérience et sa capacité à remonter quelques mécaniques. L’équipe de France connaît alors la meilleure période de son Euro, retrouvant un semblant de jeu tout en bénéficiant de la fatigue de ses adversaires. A l’heure de jeu, Papin reçoit un ballon parfait sur une lumineuse talonnade de Durand, et parvient à battre Peter Schmeichel.
Les hommes de Platini semblent avoir fait le plus dur. Il leur faut résister au nouveau pressing opéré par les Danois. Dans le dernier quart d’heure, alors que ses coéquipiers jouent le hors jeu sur un long ballon de Sivebaek, Basile Boli oublie de suivre et laisse s’échapper l’attaquant Povlsen. Celui-ci déborde et son centre trouve son coéquipier Elstrup qui bat Martini.
Les Français ont beau se déployer pour tenter d’égaliser à nouveau, ils ne parviendront jamais à construire une occasion de but. Seul Laurent Blanc frappe au but mais son tir est trop enlevé et passe au-dessus. Le match se termine sur la victoire inattendue des Danois (2-1). La France, tête basse, termine à la troisième place du groupe qui la prive des demi-finales, tout comme l’Angleterre, battue par la Suède.
Michel Platini se dit alors que le métier de sélectionneur n’est pas fait pour lui. Il annoncera sa démission quelques jours plus tard ( [2]), certains joueurs estimant qu’il avait déjà décroché avant le début du tournoi. Le Danemark, parachuté au dernier moment dans l’épreuve, poursuit quant à lui son incroyable aventure.
Point de jonction
Si elle reste un échec cuisant de l’histoire de la sélection nationale, l’aventure tricolore de l’Euro 1992 marque un point de jonction entre la génération des champions d’Europe 1984 et celle des champions du monde de 1998. Manuel Amoros et Luis Fernandez, dont ce sont les dernières apparitions, jouent avec Didier Deschamps, Laurent Blanc et Emmanuel Petit, dont c’est pour chacun le premier tournoi international.
Laurent Blanc et Didier Deschamps deviendront ensuite sélectionneurs et il est probable que cet Euro 1992, tout comme le France-Bulgarie qui surviendra dix-huit mois après, seront une expérience précieuse. Blanc dirigera les Bleus à l’Euro 2012, pour un bilan mitigé. Deschamps prendra la suite avec le succès que l’on sait.
Les 20 Bleus de l’Euro 1992
Num | Titulaires | Âge | Poste | Sel./total | Club | Participation |
---|---|---|---|---|---|---|
1 | Bruno Martini | 30 ans | Gardien | 22/31 | AJ Auxerre | 3 m. |
19 | Gilles Rousset | 28 ans | Gardien | 2/2 | Olympique Lyonnais | 0 m. |
2 | Manuel Amoros | 30 ans | Défenseur | 79/82 | Olympique Marseille | 3 m. |
5 | Laurent Blanc | 26 ans | Défenseur | 22/97 | SSC Naples (Italie) | 3 m. |
6 | Bernard Casoni | 30 ans | Défenseur | 24/30 | Olympique Marseille | 3 m. |
13 | Basile Boli | 25 ans | Défenseur | 35/45 | Olympique Marseille | 3 m. |
14 | Jean-Philippe Durand | 31 ans | Défenseur | 20/26 | Olympique Marseille | 2 m. |
3 | Franck Silvestre | 25 ans | Défenseur | 11/11 | FC Sochaux Montbeliard | 0 m. |
4 | Emmanuel Petit | 21 ans | Défenseur | 4/63 | AS Monaco | 0 m. |
20 | Jocelyn Angloma | 26 ans | Déf./Mil. | 10/37 | Olympique Marseille | 2 m. |
7 | Didier Deschamps | 23 ans | Milieu | 21/103 | Olympique Marseille | 3 m. |
10 | Luis Fernandez | 32 ans | Milieu | 57/60 | AS Cannes | 3 m. |
11 | Christian Perez | 29 ans | Milieu | 19/22 | Paris Saint-Germain FC | 3 m. |
8 | Franck Sauzée | 26 ans | Milieu | 25/39 | Olympique Marseille | 2 m. |
17 | Rémi Garde | 26 ans | Milieu | 6/6 | Olympique Lyonnais | 0 m. |
9 | Jean-Pierre Papin | 28 ans | Attaquant | 35/54 | Olympique Marseille | 3 m., 2 b. |
18 | Éric Cantona | 26 ans | Attaquant | 24/45 | Leeds United (Angleterre) | 3 m. |
16 | Pascal Vahirua | 26 ans | Attaquant | 13/22 | AJ Auxerre | 2 m. |
12 | Christophe Cocard | 24 ans | Attaquant | 4/9 | AJ Auxerre | 1 m. |
15 | Fabrice Divert | 25 ans | Attaquant | 3/3 | Montpellier Herault | 0 m. |
(*) le nombre de sélections est celui avant le début du tournoi
Vos commentaires
# Le 21 avril 2022 à 22:55, par Nhi Tran Quang En réponse à : Euro 92, le blues de Suède
« Platini aime toutefois rappeler que ce n’est pas l’équipe de France qui s’appuie sur l’OM, mais plutôt l’OM qui s’appuie sur les Bleus, sous-entendu que le club olympien et son président attendent qu’un joueur soit sélectionné en équipe de France pour s’intéresser à lui. » avec cette phrase, je me rappelle que certains joueurs après avoir été sélectionné en équipe de France finissait à jouer à l’OM dans un futur proche comme Pascal Baills (Montpellier) sélectionné en 3/91 contre l’Albanie & Angloma (psg) sélectionné en 10/90 contre la Tchécoslovaquie et qui rejoignent l’OM pour la saison 91-92. On pourrait citer pour Deschamps, J-P Durand, Casoni ou Pardo voire même Canto et Boli qui rejoignent l’OM presque aussitôt après avoir gagné leurs premières sélections avec leurs précédents clubs.
# Le 26 avril 2022 à 11:37, par Nico En réponse à : Euro 92, le blues de Suède
C’est toujours sympa ces articles qui reviennent sur les performances passées des Bleus, qu’elles soient réussies ou ratées ;)
Une suggestion : je ne sais pas si ça existe déjà sur le site mais le même format d’article sur des éliminatoires (Euro 88 au hasard) ça pourrait être une bonne idée, surtout pour des gens qui ont connu l’équipe de France à partir de la moitié des années 90, ça nous permettrait de nous replonger dans une époque que nous n’avons pas ou peu connu :)