Il aura fallu attendre le 103e match officiel de l’équipe de France, et le 81e de la sélection allemande, pour que soit enfin mise sur pied une rencontre France-Allemagne sur un terrain de football. Les relations peu diplomatiques qu’entretiennent les deux pays n’ont bien entendu pas favorisé les choses. Toutefois, depuis 1924, les gouvernements français et allemands travaillent sur une réconciliation politique et militaire. Le match du 15 mars 1931 a donc vocation d’entrer dans l’histoire, étant entendu que le sport, et notamment le football, est un vecteur de rapprochement plus fort que la politique. Et quel plus bel endroit qu’une ville nommée Colombes pour faire la paix...
Un match pour la paix
Le stade Yves-du-Manoir affiche complet. Parmi les 50.000 spectateurs on compte au moins 15.000 Allemands qui ont fait le déplacement. Les résultats de la sélection d’Allemagne ne sont pas encore assez significatifs pour évaluer son niveau. Elle n’a pas participé à la Coupe du monde qui s’est déroulée huit mois plus tôt à Montevideo et ses deux participations aux Jeux Olympiques (1912 et 1928) ont été assez brèves. Après 80 matches, essentiellement contre des équipes européennes, son bilan entre victoires et défaites lui est défavorable (28 victoires, 16 nuls, 36 défaites). Toutefois, les pronostics de ce premier France-Allemagne de l’histoire penche en sa faveur.
Depuis son retour de la Coupe du monde à Montevideo, l’équipe de France reste sur trois contre performances : un match nul (2-2) contre la Belgique à Montrouge puis deux défaites en Italie (0-5) et contre la Tchécoslovaquie (1-2) à Colombes. Parmi les joueurs alignés contre l’Allemagne, cinq seulement étaient de l’aventure uruguayenne : le gardien-capitaine Alex Thépot, le défenseur Etienne Mattler et les attaquants Edmond Delfour, Lucien Laurent et Marcel Langiller.
Trois Français connaissent contre l’Allemagne leur première sélection : le demi Pierre Hornus et l’attaquant Roger Rolhion, tous deux provenant du SO Montpellier, et le demi d’origine hongroise Joseph Kaucsar, qui joue à Saint-Raphaël mais qui durant l’été va rejoindre… le SO Montpellier.
Contre son camp
Les premières minutes du match sont à l’avantage des Allemands qui dominent leurs adversaires sur le plan technique. Le capitaine Richard Hofmann envoie un premier tir sur le poteau. Les Français parviennent à attaquer, mais les occasions allemandes sont plus nettes. La rencontre bascule au quart d’heure de jeu sur un coup du sort. Edmond Delfour lance Roger Rolhion vers le but allemand. Le défenseur allemand Reinhold Münzenberg intervient sur le tir du Français mais ne fait que dévier le ballon et marque contre son camp.
C’est la stupeur dans Colombes. La France mène déjà 1-0 contre l’Allemagne, un peu contre le cours du jeu. Les Allemands attaquent alors de plus belle mais ne parviennent pas à prendre en défaut la défense française. Quant aux Tricolores, moins techniques mais plus rapides, ils parviennent à bousculer la défense allemande mais n’inquiètent pas vraiment le gardien Willibald Kress.
A la demi-heure de jeu, l’Allemand Ludwig Hofmann se blesse et doit sortir, remplacé par Hans Welker [1]. Cinq minutes plus tard, c’est Lucien Laurent qui doit, pour les mêmes raisons, céder sa place à Pierre Korb. La mi-temps est atteinte sur le score de 1-0. Rien ne sera marqué en deuxième période, en dépit d’un match animé, ponctué de nombreuses attaques de part et d’autre. Quand Thomas Crewe l’arbitre anglais siffle la fin de la rencontre, les Français manifestent leur joie sans exagérer. Ils ont toutefois remporté une victoire inattendue.
Dans L’Auto du lendemain, l’envoyé spécial Lucien Gamblin ne cache pas sa déception sur la qualité du match, qu’il estime médiocre. L’équipe allemande l’a déçu, n’ayant pas été capable de concrétiser sa supériorité manifeste. Quant à l’équipe de France, il l’a trouvé fort limitée : “Seule la défense, formée de Thépot, Anatol et Mattler, défie la critique. Les demis jouèrent avec courage et se comportèrent honorablement, surtout Hornus et Kaucsar. Quant aux avants, ils furent médiocres. Réalisant parfois de bonnes choses individuellement, ils ne construisirent pas un jeu offensif digne d’une équipe nationale".
Un trop bref instant de paix
Mais le plus important n’était peut-être pas là. Fernand Bouisson, le président de la chambre des députés, avait assisté au match et fit part ensuite de sa satisfaction : “La plus belle réalité n’est pas que régulièrement, quoique de manière curieuse et inattendue, l’équipe de notre pays ait triomphé. La réalité est que quinze mille Allemands et trente-cinq mille Français aient pu, pendant deux heures, être sans incidents placés côte à côte, tandis que dans le champ clos les meilleurs footballeurs des deux nations se livraient un rude combat”.
L’optimisme au sommet de l’État ne résistera toutefois pas à la crise. Trois mois après la rencontre, le 13 juillet 1931, l’Allemagne connaitra le jour le plus noir de son histoire économique. L’effondrement de la Danatbank, consécutive au jeudi noir de 1929, va entrainer le peuple vers un chômage de masse. La république de Weimar s’écroulera en 1932, quand les élections tourneront en faveur du parti nazi. Début 1933, Adolf Hitler sera nommé chancelier.
France bat Allemagne 1-0
But : Münzenberg (15’ csc)
France : Thépot (cap) - Anatol, Mattler - Finot, Kaucsar, Hornus - Monsallier, Delfour, Rolhion, Laurent (40’ Korb), Languiller.
Allemagne : Kress - Schütz, Weber, Münzenberg, Leinberger - Knöpfle, Bergmaier - Haringer, Hergert, R.Hofmann, L.Hofmann (31’ Welker).
Arbitre : Thomas Crewe (Angleterre)
50.000 spectateurs
Joueur | âge | poste | sél. | Club |
---|---|---|---|---|
Alex Thépot | 25 ans | Gardien | 19/31 | Red Star Olympique |
Manuel Anatol | 28 ans | Défenseur | 11/16 | RC Paris |
Etienne Mattler | 26 ans | Défenseur | 8/46 | FC Sochaux |
Louis Finot | 22 ans | Demi | 4/7 | CA Paris |
Joseph Kaucsar | 27 ans | Demi | 1/15 | Stade Raphaëlois |
Pierre Hornus | 23 ans | Demi | 1/3 | SO Montpellier |
Jules Monsallier | 24 ans | Attaquant | 2/3 | Red Star Olympique |
Edmond Delfour | 24 ans | Attaquant | 13/41 | RC Paris |
Roger Rolhion | 22 ans | Attaquant | 1/4 | SO Montpellier |
Lucien Laurent | 24 ans | Attaquant | 5/10 | FC Sochaux |
> Pierre Korb (40’) | 23 ans | Attaquant | 7/12 | FC Mulhouse |
Marcel Langiller | 23 ans | Attaquant | 13/30 | Excelsior Roubaix |
Remplaçants non entrés : Raoul Chaisaz (Gardien, Stade Français), Marcel Capelle (Défenseur, RC Paris), Augustin Chantrel (Défenseur, CASG) et Célestin Delmer (Demi, Amiens AC)
Vos commentaires
# Le 15 juin 2021 à 13:11, par Frederic Humbert En réponse à : 15 mars 1931, le premier France-Allemagne
Merci pour cet article !
En passant, puisque vous citez le Président de la Chambre des Députés Fernand Bouisson, je suis ravi de provoquer un petit rebond ovale en précisant que ce dernier fut deux fois championde France de rugby (1894-95) sous les couleurs du Stade Français.
Bouisson joua aussi à l’Olympique de Marseille au tournant du siècle... section rugby :)
# Le 15 juin 2021 à 13:34, par Frederic Humbert En réponse à : 15 mars 1931, le premier France-Allemagne
En passant, les rugbymen avait entamé la réconcilliation sportive entre France et Allemagne dès 1927.
Avec la mise au ban du rugby français par les Britanniques en 1931, les Allemands vont devenir notre adversaire privilégié : 15 rencontres (13V 2D) entre 1927 et 1938
Le match d’avril 1939 sera annulé au dernier moment... quelques semaines avant que les Britanniques nous admettent à nouveau... renversement d’alliances !!