Le contexte historique
Alors que la guerre de Corée fait rage et que la France s’enlise de plus en plus en Indochine, la Tunisie se révolte à Bizerte, Bourguiba est arrêté par la France. Le Traité de Paris crée la Communauté européenne de la défense (CED) par les six fondateurs de la CECA (charbon et acier). Joseph Staline, qui va bientôt mourir, propose la réunification (et la neutralité) de l’Allemagne. De leur côté, les Etats-Unis testent la première bombe à hydrogène, Ivy Mike, d’une puissance 500 fois supérieure à celle de Nagasaki. Bienvenue dans la guerre froide.
Au cinéma, alors que le McCarthysme bat son plein à Hollywood, sortent en salles Casque d’or de Jacques Becker avec Simone Signoret et Les feux de la rampe de Charlie Chaplin avec Buster Keaton. Au théâtre, Samuel Beckett présente ce qui va devenir une des pièces les plus jouées du siècle : En attendant Godot. Alors que Bill Haley commence à se faire connaître, Edith Piaf triomphe avec Mon manège à moi.
Le contexte sportif
Dans l’immédiat après-guerre, les compétitions internationales étaient rares : le coupe d’Europe des Nations n’existait pas encore (elle sera créée en 1960) et la coupe du monde n’a lieu que tous les quatre ans. Les Bleus ont manqué la dernière (au Brésil, en 1950) après avoir été éliminés sur le terrain, puis repêchés grâce au forfait de l’Ecosse, puis eux-mêmes forfaits pour un prétexte futile : le calendrier du premier tour prévoyait deux matches aux extrémités sud et nord du pays (Porto Alegre et Recife) à quatre jours d’intervalle. La FFF demande une modification du calendrier, ne l’obtient pas et décline l’invitation à la quatrième coupe du monde de l’histoire. La vraie raison est beaucoup moins honorable : après deux défaites en amical contre l’Ecosse et la Belgique, les dirigeants français craignent le ridicule et préfèrent s’abstenir.
Le sélectionneur en poste
C’est Gaston Barreau qui est toujours à la tête d’un comité de sélection, mais depuis 1951, un nouvel entraîneur a été nommé : il s’agit de Pierre Pibarot. Très bon tacticien, initiateur de la défense en ligne, il est capable d’adapter sa stratégie en fonction de l’adversaire. Avec les Bleus, il va choisir le 4-2-4 et surtout donner sa chance à Raymond Kopa et Joseph Ujlaki, ce dernier né à Budapest et naturalisé français en 1947. Il manque de très peu un grandissime exploit pour son tout premier match en octobre 1951 à Highbury contre l’Angleterre, obtenant un 2-2 qui aurait pu se transformer en victoire.
Le récit de l’année
A mi-chemin des coupes du monde brésilienne et suisse, l’année 1952 ne compte que des rencontres amicales. La première a lieu au printemps face à la Suède, laquelle s’est illustrée au Brésil deux ans plus tôt, finissant troisième de l’épreuve. Les Français sont dominés physiquement et s’inclinent en fin de rencontre alors qu’ils jouaient à dix après la sortie sur blessure de leur défenseur Guy Huguet. (0-1). Le 20 avril, c’est beaucoup mieux contre le Portugal (3-0) avec les débuts remarqués du Nancéen Léon Deladerrière, qui comme son nom de l’indique pas, jouait attaquant : un tir repoussé sur Alpsteg qui marque, et deux passes décisives pour Strappe (3-0).
Au mois de mai, grande première : l’équipe de France s’impose en Belgique pour la pemière fois depuis 1939 (2-1). Pour l’occasion, Pierre Pibarot n’hésite pas à faire bétonner derrière une fois le score acquis, à la demi-heure de jeu. Le match suivant, le 5 octobre, est le premier joué contre la nouvelle équipe de la RFA, formée en 1950. Sept ans après la fin de la guerre, l’enjeu dépasse largement le cadre d’un simple match amical. Cinq nouveaux font leurs débuts, dont Armand Penverne, Joseph Ujlaki et surtout Raymond Kopa. La domination française ne s’est concrétisée que dans les dix dernières minutes (3-1), mais elle situe le bon niveau de la sélection face aux futurs champions du monde.
Deux semaines plus tard, les Bleus sont en Autriche, où ils sont copieusement dominés. Mais comme en Belgique, la défense tient bon (2-1). Kopa s’est décalé en milieu droit en raison du retour de Jean Baratte : c’est le poste qu’il occupera au Real Madrid entre 1956 et 1959. Le 11 novembre, face à l’Irlande du Nord à Colombes, Kopa réussit un doublé lors d’un match rocambolesque où Thadée Cisowski puis Antoine Bonifaci sortirent sur blessure à la fin de la première demi-heure. Comme un seul remplaçant était autorisé (et uniquement en amical), Jean Baratte rentre à la place de Cisowski, lequel revient en jeu juste après le premier but français. L’arbitre n’a rien vu. Quant à Baratte, son maillot ne comportait pas de numéro... [1].
Cinq jours plus tard, l’équipe de France va à Dublin pour affronter l’équipe de la république d’Irlande, dans un climat détestable pour un match amical (1-1) : les supporters locaux s’en prenant systématiquement aux sept naturalisés français d’origine polonaise, hongroise ou italienne. Parmi eux, un certain Roger Piantoni, vingt ans et gaucher extraordinaire, qui formera six ans plus tard le premier carré magique avec Kopa, Vincent et Fontaine.
La série de six matches sans défaite (chose rare à l’époque, c’est la plus longue série d’invincibilité depuis 1904) s’arrête le jour de Noël à Colombes contre l’éternel rival belge, qui prend sa revanche du match de mars en l’emportant 1-0. Robert Jonquet a tiré un pénalty à côté.
Les joueurs de l’année
Vingt-huit joueurs ont été alignés au cours des huit matches de 1952, soit une large revue d’effectifs. Robert Jonquet, le défenseur rémois et futur héros malheureux de la demi-finale mondiale contre le Brésil en 1958 est le seul à avoir joué toutes les rencontres, devant Roger Marche et André Strappe (7). Viennent ensuite le gardien César Ruminski (qui succède à René Vignal), les défenseurs Antoine Bonifaci, Armand Penverne et les attaquants Jean Baratte et Raymond Kopa (5).
On remarquera d’ailleurs que c’est cette année-là que s’est construite la base de l’équipe qui fera merveille en 1958 : Marche, Jonquet, Penverne, Kopa et Piantoni seront dans la liste des 22 pour la Suède six ans plus tard, les trois derniers débutant leur carrière internationale en cette année 1952. A ce titre, on peut faire un parallèle avec l’année 1976 (arrivées de Platini, Six, Bossis...) ou 1994 (Thuram, Zidane, Barthez, Dugarry) : une période sans fait marquant sinon l’arrivée d’une génération dorée.
Les buteurs de l’année
Aucun buteur ne se met en avant cette année-là, et ce sera un problème récurrent en équipe de France jusqu’à l’émergence de Just Fontaine. André Strappe marque trois fois, Kopa et Ujlaki deux, les autres buts se répartissant entre Piantoni, Cisowski, Deladerrière, Doye, Alpsteg, Penverne et Baratte.
La révélation de l’année
Pas de gros suspense : il s’agit bien entendu de Raymond Kopa, un des trois meilleurs joueurs français de l’Histoire, qui débute en sélection contre l’Allemagne en octobre. Une dizaine d’années plus tôt, la légende (et lui-même) raconte qu’il a obtenu son premier ballon en cuir en le volant aux soldats allemands pendant l’occupation. Quand il débute en Bleu quelques jours avant ses 21 ans (et sa majorité, qui lui permet d’opter pour la nationalité française), Raymond Kopaszewski n’est plus un inconnu : l’année précédente, il a été transféré d’Angers à Reims pour la somme de 1,8 million de francs, plus 500 000 francs de prime pour le joueur. Son transfert à Reims va le faire entrer dans une autre dimension : le club champenois est alors l’un des meilleurs d’Europe avec le Real Madrid.
Lors de sa troisième sélection face à l’Irlande du Nord le 11 novembre, Kopa marque ses deux premiers buts en bleu. Il y en aura 16 autres. Son jeu court, son sens du dribble, ses frappes des deux pieds font merveille, même si on lui reproche alors son individualisme et son peu de goût pour aller au contact.
Carnet bleu
En 1952, on enregistre les naissances de Raymond Domenech (le 24 janvier), Alain Merchadier (le 13 mars), Jean-Paul Bertrand-Demanes (le 23 mai), Alain Giresse (le 2 août), Pierre Pleimelding (le 19 septembre), Bernard Boissier (le 3 octobre) et Bernard Lacombe (le 15 octobre).