Trois blessés qui ont (peut-être) changé l’histoire

Publié le 5 avril 2011 - Bruno Colombari

Alors que Philippe Mexès s’est rompu le ligament croisé et sera forfait au moins quatre mois, retour sur trois blessés historiques : Robert Jonquet en juin 58, Patrick Battiston en juillet 82 et Patrick Vieira en juillet 2006.

6 minutes de lecture

A quoi tient une victoire, finalement ? A bien peu de choses. Une occasion franche manquée, un poteau sur la trajectoire du ballon, une décision litigieuse, ou encore une blessure. Trois fois dans l’histoire des Bleus, une victoire mondiale semblait accessible, à portée de main. Jusqu’à ce qu’un joueur soit contraint de quitter le terrain sur une civière, ou porté par ses coéquipiers, ou encore soutenu par le staff médical, et change le cours du jeu.

Ni Robert Jonquet en 1958, ni Patrick Battiston en 1982, ni même Patrick Vieira en 2006 n’étaient les joueurs majeurs de la sélection nationale. Emmenés par Kopa, Platini ou Zidane, les Bleus avaient certes les moyens de gagner sans eux. Il n’empêche que, pour diverses raisons, leur sortie du terrain a à chaque fois cassé une dynamique, perturbé les plans du sélectionneur, déséquilibré l’équipe. Impossible de savoir bien entendu si la France aurait tenu tête au Brésil avec Jonquet, aurait battu l’Allemagne avant les prolongations avec Battiston ou aurait fait plier une Italie épuisée avec Vieira. Mais on peut toujours essayer de comprendre ce qui s’est passé.

Solna, 24 juin 1958 :
Brésil-France et Robert Jonquet

Cet après-midi là à Solna, les Bleus disputent leur première demi-finale mondiale. Ils ont face à eux une redoutable équipe brésilienne, qui n’a encaissé aucun but lors de ses quatre premiers matches (une performance, à l’époque). Le Brésil est favori, certes. Mais il l’était déjà en 1950, et il a perdu, à domicile, contre l’Uruguay. Bien sûr, il a dans ses rangs un prodige de 17 ans à peine, Pelé, mais il n’a joué que deux fois et marqué qu’un but.

En 1958, il est toujours interdit de remplacer un joueur lors d’un match de compétition (c’est possible en amical). Si les Brésiliens marquent d’entrée par Vava (2e), Just Fontaine égalise très vite (9e) et les débats s’équilibrent. A la demi-heure de jeu, la France tient le choc et garde toutes ses chances lorsque sur un ballon renvoyé de l’arrière par Nilton Santos, le capitaine français Robert Jonquet fait un amorti de la poitrine un peu long, glisse et s’élance pour dégager quand Vava arrive en retard et emporte la jambe du Rémois.

Le choc est très violent. Jonquet se tord de douleur, un soigneur intervient, lui masse énergiquement la jambe alors que le péroné est fracturé en deux endroits ! Le capitaine est porté hors du terrain par ses coéquipiers Kaelbel et Penverne, vaguement soigné sur la touche (encore par des frictions à mains nues) et finit par reprendre le match. A la 42e, il sort, puis revient en seconde période après avoir subi une piqûre de novocaïne à la pause. Mais il se placera le long de la touche, côté gauche, où il ne servira à rien.

Pendant ce temps, Didi donne l’avantage au Brésil d’un tir en pleine lucarne. Démobilisés, les Bleus entameront la deuxième période par des erreurs de placement, mais à dix contre onze face au Brésil, la tâche n’était pas simple, et la défense n’était pas le point fort des Bleus cette année-là (quinze buts encaissés en six matches en Suède). Pelé va réussir un triplé en vingt-trois minutes, Roger Piantoni sauvant l’honneur (5-2). Dommage, car en finale les Bleus auraient joué la Suède avec de bonnes chances de l’emporter. La victoire sur un score de tennis (6-3) pour la troisième place face à l’Allemagne, champion du monde sortant, laissera beaucoup de regrets.

Quant à Robert Jonquet, il ne jouera plus que sept matches avec l’équipe de France, qu’il quittera en juillet 1960 après une défaite contre la Tchécoslovaquie en match de classement de la coupe d’Europe des Nations à Marseille. Avec 58 sélections, il s’installe pour longtemps juste derrière le recordman Roger Marche. Mais c’est bien cette blessure contre le Brésil qui le fera entrer dans la légende des Bleus.

Séville, 8 juillet 1982 :
France-RFA et Patrick Battiston

Deux remplacements par match : c’est alors la règle lorsque commence une des plus palpitantes rencontres de l’histoire de la coupe du monde, la première à se terminer aux tirs au but (lire 8 juillet 1982 : RFA-France). Sur le banc des Bleus, il n’y a que cinq joueurs, car la feuille de match ne comporte que seize noms. Un détail peut-être, mais qui va peser très lourd. Les cinq remplaçants sont le gardien stéphanois Jean Castaneda, les défenseurs Christian Lopez et Patrick Battiston et les attaquants Gérard Soler et Bruno Bellone. Aucun milieu, donc. Jean-François Larios et René Girard sont dans les tribunes.

Cinq minutes après le début de la seconde période, alors que le score est à 1-1, Genghini, touché depuis un moment à la cuisse, sort. C’est Patrick Battiston qui rentre en milieu défensif, un poste inhabituel pour lui. Trois minutes plus tard, Rocheteau marque sur une ouverture de Giresse, but refusé pour une position de hors-jeu limite. Les Allemands sont débordés. Quatre minutes après, Bossis récupère le long de la ligne, laisse à Platini qui lance Battiston en position d’avant-centre. A l’entrée de la surface, en avance sur la sortie du gardien Schumacher, le Messin tente un plat du pied gauche qui manque de peu le cadre.

Le gardien allemand, lui, n’a pas manqué son adversaire, allongé pour le compte d’un double contact coude-hanche en pleine tête. Sa sortie, les bras collés au corps et sans un regard pour le ballon, peut logiquement être qualifiée d’attentat. Et comme l’impact eu lieu à l’intérieur de la surface, il aurait dû y avoir carton rouge et pénalty.

La sortie kamikaze de Schumacher sur Battiston avait été précédée de plusieurs agressions en première mi-temps sur Six, Platini ou Amoros notamment.

Touché aux cervicales, Battiston est évacué sur une civière. Que va décider Michel Hidalgo ? Faire entrer un troisième attaquant et pousser pour obtenir un deuxième but ? Il choisit plutôt la prudence, avec Christian Lopez, libéro de formation. Les Bleus jouent un moment en 4-4-2, dominent encore, marquent deux fois en début de prolongation, puis passent en 5-3-2 à l’entrée de Rummenigge. Janvion glisse à droite, Lopez recule dans l’axe aux côtés de Trésor et Bossis, et Amoros reste à gauche. Ça n’empêchera pas la défense française, trop isolée du reste de l’équipe, de prendre deux buts en cinq minutes et de se faire rejoindre (3-3).

Sans la sortie de Battiston, un attaquant frais aurait pu remplacer Rocheteau, touché au genou lors du match précédent contre l’Irlande du Nord. Les Allemands, eux, ont subsitué à deux milieux (Briegel et Magath) deux attaquants (Rummenigge et Hrubesch). Le premier marque le but du 3-2 qui remet la RFA dans le match. Le second remet de la tête un ballon que Fischer cadre d’un retourné acrobatique et égalisateur.

Curieusement, cet incident de jeu aura encore des conséquences quatre ans plus tard. France et RFA se retrouvent en demi-finale mondiale à Guadalajara en juin 1986, et les Bleus, champions d’Europe, sont archifavoris après avoir sorti l’Italie et le Brésil. Mais c’est la RFA qui mène pendant tout le match, quand à quelques minutes de la fin, Patrick Battiston se retrouve à l’angle des six mètres face à Schumacher. Va-t-il centrer pour Xuereb qui l’appelle au second poteau ? Non. Il frappe fort sur le gardien allemand qui bloque le ballon. Et les Bleus sont à nouveau éliminés.

Berlin, 9 juillet 2006 :
Italie-France et Patrick Vieira

La panenka de Zidane, l’égalisation de Materazzi, la frappe de la tête de Toni sur la barre et le coup de boule de Zizou sur le buteur italien : c’est ce qui restera à la postérité de cet Italie-France au goût amer. Et pourtant, un fait de jeu est passé presque inaperçu (à tel point qu’il n’est jamais mentionné dans les résumés filmés) : c’est la sortie de Patrick Vieira à la 55e minute, victime de contractures aux deux cuisses. En un mot : cramé.

Il faut dire que le numéro 4 des Bleus a commencé la coupe du monde en toute petite forme, à peine rétabli d’une blessure avec la Juventus de Turin. Ce n’est que contre le Togo qu’il monte en puissance (un but marqué), avant de tout casser contre l’Espagne (autre but) en huitièmes et le Brésil en quarts. Avec un rôle de relayeur qui l’amène régulièrement près de la surface adverse, il apporte sa puissance physique et crée des brèches plein axe. Contre le Portugal, on le voit un peu moins, mais il pèse toujours dans l’entre-jeu.

La finale est sans doute le match de trop pour lui. En première mi-temps, l’Italie contrôle le jeu et les espaces sont réduits pour l’équipe de France, mais plus les minutes passsent, plus le trio Ribéry-Malouda-Henry se montre menaçant. Et Vieira court, pousse et se bat. Mais à cinq minutes de l’heure de jeu, alors que le deuxième but français semble tout proche, ses jambes le trahissent. Contrairement à Jonquet et Battiston, aucun adversaire ne l’a percuté. Et c’est d’ailleurs debout qu’il quitte la pelouse du stade olympique.

Raymond Domenech a cette fois sur le banc la solution de rechange idéale, à savoir un quasi-clone, Alou Diarra, dont le jeu défensif sera satisfaisant mais l’apport offensif beaucoup plus timide. Et pour cause : le Lensois n’en est qu’à sa onzième sélection et n’a pour l’instant joué que neuf minutes de coupe du monde contre le Togo. Dans la dernière demi-heure du temps réglementaire, la domination française s’essoufle, les Italiens se créent deux occasions nettes avant de flancher physiquement et d’obtenir ce qu’ils cherchent : la séance des tirs au but.

J’ai expliqué par ailleurs (Pourquoi un faux départ des Bleus ne se rattrape pas) que pour espérer gagner une compétition, l’équipe de France devait absolument remporter les deux premiers matches du premier tour. Fort de deux victoires initiales, le sélectionneur peut en effet faire tourner l’effectif lors de la troisième rencontre et préserver ses cadres. C’est ce qui s’est passé contre la Yougoslavie en 84, contre le Danemark en 1998 et face aux Pays-Bas en 2000. A contrario, le match contre la Tchécoslovaquie en 1982 (1-1), contre la Hongrie en 1986 (3-0) et contre le Togo en 2006 (2-0) a mobilisé l’équipe-type et a été payé cher en demi-finale ou en finale. Les deux nuls contre la Suisse et la Corée du Sud ont probablement engendré le nul fatal contre l’Italie, dont la blessure de Vieira est l’une des causes essentielles.

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Hommage à Pierre Cazal