Le contexte historique
Alors qu’aux Etats-Unis les Républicains retrouvent la Maison Blanche avec l’élection de Dwight Eisenhower, le monde est enfin débarrassé du Petit Père des peuples : Staline meurt le 5 mars d’une attaque cérébrale. En juin, des ouvriers se soulèvent en Allemagne de l’Est, entraînant des mouvements en Pologne et des changements politiques en Hongrie. Cet été-là, Ethel et Julius Rosenberg sont électrocutés aux Etats-Unis pour avoir livré des secrets atomiques à l’URSS. La guerre de Corée s’achève sur un statu quo : le pays est coupé en deux à hauteur du 38e parallèle. En France, un énorme mouvement de grève bloque le pays en août pour protester contre des mesures d’économie budgétaire : 4 millions de grévistes. Pendant ce temps, l’armée française s’installe dans la cuvette de Dien Bien Phu au Vietnam, réputée imprenable.
En mai, le toit du monde est atteint par le sherpa népalais Tensing Norgay et le néo-zélandais Edmund Hillary.
Pour contrer le pouvoir montant de la télévision, Hollywood lance des films en relief et achète à un inventeur français le brevet du cinémascope. Jacques Brel fait ses débuts sur scène, tandis qu’Yves Montand triomphe au cinéma avec Le salaire de la peur, d’Henri-Georges Clouzot.
Le contexte sportif
1953 est une année intermédiaire entre deux coupes du monde. Les Bleus n’ont pas participé à la précédente au Brésil, ils ne veulent pas manquer celle qui aura lieu en Suisse en 1954. La coupe d’Europe des Nations n’étant pas encore inventée (en 1960), pas plus que les coupes européennes pour les clubs (1955), les occasions de briller au niveau international en compétition sont extrêmement rares.
Le sélectionneur en poste
C’est Gaston Barreau qui est toujours à la tête d’un comité de sélection, avec comme entraîneur depuis 1951 Pierre Pibarot. Très bon tacticien, initiateur de la défense en ligne, il est capable d’adapter sa stratégie en fonction de l’adversaire. Avec les Bleus, il va s’orienter en 1953 vers un 4-4-2 plus défensif que le 4-2-4 de l’année précédente, ceci afin d’assurer la qualification pour la coupe du monde 1954 face au Luxembourg et à l’Irlande.
Le récit de l’année
La configuration de 1953 est très simple : deux matches amicaux au premier semestre contre Galles et en Suède, avant d’attaquer la phase qualificative de 1954 en trois mois entre septembre et décembre, avec deux aller-retour contre le Luxembourg et l’Irlande, et deux amicaux en Yougoslavie et contre la Suisse. En mars, les Bleus jouent et perdent un match de bienfaisance contre une sélection hollandaise, au profit des sinistrés des inondations qui viennent de ravager les Pays-Bas (1-2). Ce match n’est pas reconnu par la FFF.
La première vraie opposition de l’année est donc le France-Galles du 14 mai à Colombes. Et c’est un festival offensif avec deux doublés de René Gardien (pour sa première sélection) et de Raymond Kopa (6-1).
Le Suède-France du mois de juin, calé trop tard dans la saison, n’apporte rien sinon une petite défaite (0-1) avec un nouveau gardien, le Messin François Remetter. Pour débuter la phase de qualification pour la coupe du monde 1954, le court déplacement au Luxembourg n’était pas le plus difficile : le 20 septembre, les Bleus s’imposent sur un score de tennis (6-1) en marquant par six joueurs différents, chose rare. Le gardien René Vignal encaisse un but en même temps qu’un solide coup de genou en pleine tête, et les débutants Raymond Cicci et Léon Glovacki fêtent leur première cape par un but chacun.
Le match suivant à Dublin contre l’Irlande rappelle de mauvais souvenirs aux Bleus, qui avaient joué un an plus tôt une terrible partie de manivelles (1-1). Ce n’est plus le cas en 1953, où l’attaque tricolore pilonne la défense verte. Le score est de 2-0 pour la France à la mi-temps, et monte même à 5-1 à la 72e. Les Irlandais sauvent l’honneur en fin de match (5-3), mais l’essentiel est fait. L’attaque Glovacki-Ujlaki, sans ailiers, ressemble d’ailleurs à ce qu’on verra trente ans plus tard, avec Piantoni et Kopa comme pourvoyeurs au milieu de terrain.
L’amical du mois d’octobre à Zagreb, face à une redoutable sélection yougoslave, devait permettre de mesurer les progrès accomplis. La défaite sèche (1-3) montre qu’il restait beaucoup à faire, notamment en défense. En moins d’un quart d’heure après la pause, les coéquipiers de Milutinovic marquent trois fois de près.
La rencontre suivante, le 11 novembre à Colombes contre la Suisse, allait confirmer la tendance. Le but rapide de Joseph Ujlaki (2e) allait déclencher une véritable avalanche sur les cages de René Vignal, battu trois fois coup sur coup et remplacé par François Remetter à la 22e suite à un KO. Les Suisses ajoutaient même un quatrième but à la 36e, ne laissant aux Bleus qu’une occasion de réduire un peu le score en deuxième période (2-4). Le milieu helvète Charles Antenen aura réussi un triplé.
Deux semaines plus tard, les Bleus peuvent se qualifier directement pour la coupe du monde s’ils battent l’Irlande. Fini le feu d’artifice en attaque et les boulevards en défense, l’équipe de France serre le jeu et en l’absence de Kopa, malade, assure l’essentiel avec un but de Roger Piantoni (1-0). C’est la première fois de l’année que le gardien français n’encaisse pas de but.
Pour la dernière rencontre de 1953 contre le Luxembourg, le sélectionneur Gaston Barreau aligne onze Espoirs avec Albert Batteux comme entraîneur. C’est la troisième et dernière fois dans l’histoire des Bleus que les onze titulaires débutent en même temps [1]. Avec une moyenne d’âge de 23 ans et 3 mois, c’est l’équipe la plus jeune de l’après-guerre.
Parmi les jeunes Bleus, il y a les attaquants niçois Just Fontaine et lillois Jean Vincent, promis tous les deux à un grand avenir. Le score est très large (8-0). Il faudra attendre le début des années 80 pour que la FFF reclasse ce match comme officiel et comptant donc pour une sélection.
La révélation de l’année
Jean-Jacques Marcel. Ce milieu défensif très technique, certainement beaucoup moins connu que que ses coéquipiers Kopa et Piantoni, compte tout de même 44 sélections (jusqu’en 1961) et a joué deux coupes du monde, celles de 1954 et de 1958, où il recule d’un cran contre le Brésil après la blessure de Robert Jonquet. Il a été également demi-finaliste du championnat d’Europe 1960. Ses bons débuts internationaux lui valent un transfert à l’Olympique de Marseille à l’été 1954, il y restera cinq ans.
Les joueurs de l’année
Trente-cinq joueurs ont été appelés en équipe de France, un nombre très important pour une année à huit matches. Bien entendu, le fait que onze nouveaux aient débuté en décembre contre le Luxembourg fausse grandement le total, qui s’élèverait donc à vingt-quatre joueurs pour les sept premiers matches.
Aucun n’a participé à toutes les rencontres, seul Roger Marche a répondu présent hormis bien sûr contre le Luxembourg. Derrière lui, les défenseurs Robert Jonquet et Lazare Gianessi, le milieu Jean-Jacques Marcel et l’attaquant Raymond Kopa ont joué six fois, Armand Penverne et Roger Piantoni arrivant ensuite avec cinq sélections. Hormis Gianessi, les six autres feront partie de la grande équipe de 1958, tout comme deux des débutants de l’année, Jean Vincent et Just Fontaine.
Jean-Jacques Marcel, René Gardien, François Remetter, Raymond Cicci, Léon Glovacki, René Pleimelding, Ahmed Mihoubi, Abdesselem Ben Mohammed ont débuté en 1953, comme la totalité de l’équipe qui a joué contre le Luxembourg en décembre : Kress, Pazur, Lemaitre, Bieganski, Bruat, Mahjou, Foix, Desgranges, Oliver, Fontaine et Vincent.
Les buteurs de l’année
Avec 29 buts en huit matches, l’année 1953 aura été pour le moins prolifique. Joseph Ujlaki aura marqué cinq fois, devant Kopa et Fontaine (3), Vincent, Piantoni, Gardien, Glovacki, Flamion et Desgranges (2). Les quatre futurs partenaires du carré magique de 1958 (Kopa, Piantoni, Vincent et Fontaine) sont tous là.
Carnet bleu
Naissances de Francis Meynieu (9 janvier, 1 sélection), Christian Lopez (15 mars, 39 sélections, 1 but), Marc Berdoll (6 avril, 16 sélections, 5 buts), Gilles Rampillon (28 juillet, 3 sélections, 1 but), Gérard Janvion (21 août, 40 sélections), Farès Bousdira (20 septembre, 1 sélection), Albert Rust (10 octobre, 1 sélection) et Alain Moizan (18 novembre, 7 sélections).
Décès de Georges Bayrou (5 décembre), 1 sélection.