25 juin 2000 : Espagne-France

Publié le 23 août 2019 - Bruno Colombari

Guardiola contre Zidane : ce n’est pas l’affiche du prochain Manchester City-Real Madrid, mais celle du France-Espagne 2000. Dans le soleil couchant de Bruges va se jouer un quart de finale de haut niveau, avec un Djorkaeff plus inspiré que Raul.

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Cet article est publié dans le cadre de la série de l’été 2019, C’était l’Euro 2000.
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Le contexte

On a souvent l’habitude de dire qu’une fois sorti de la phase de poule, c’est un autre tournoi qui commence : celui des matchs couperet où il faut un vainqueur et un vaincu, avec éventuellement des prolongations et tirs au but nécessitant une gestion différente des remplaçants. En 2000, le principe du but en or introduit quatre ans plus tôt est toujours là, permettant de terminer le match au premier but inscrit dans les prolongations.

Après avoir fait tourner tout son effectif (hormis le troisième gardien Ulrich Ramé) lors du premier tour, Roger Lemerre a le choix : son banc, on l’a vu, est probablement le plus riche de l’histoire des Bleus. Contre l’Espagne, il met en place un 4-2-3-1 a priori plus prudent que le 4-4-2 face au Danemark : Petit et Anelka ne jouent pas, Dugarry et Djorkaeff accompagnent Zidane et Henry occupe seul la pointe de l’attaque. Vieira, désormais indispensable, joue en relayeur devant Deschamps et la défense championne du monde est reconstituée avec le retour de Lizarazu, qui n’a joué que contre le Danemark.

Côté espagnol, Camacho aligne un milieu de terrain impressionnant composé du Madrilène Ivan Helguera, du Barcelonais Pep Guardiola, du Valencian Gaizka Mendieta et de l’ailier de Santander Pedro Munitis. En pointe, aux côtés d’Alfonso, il y a le jeune crack Raúl que l’on a déjà vu deux ans plus tôt à la Coupe du monde. La défense Salgado-Paco-Abelardo-Aranzabal semble prenable, Santiago Canizares gardant les buts. Battus d’entrée par la Norvège, les Espagnols se sont arrachés pour se qualifier au terme d’un match dément contre la Yougoslavie où, menés 2-3 à la fin du temps réglementaire, ils ont tout renversés avec un but de Mendieta sur pénalty (90e) et un autre d’Alfonso au bout du bout du temps additionnel (4-3, 90e+5). Autant dire qu’ils n’ont peur de rien.

Le match

Les Blancs engagent au coup de sifflet de l’arbitre le plus célèbre du moment, l’Italien chauve Pierluigi Collina. Dès la deuxième minute, une faute de Munitis sur Thuram offre un coup franc à l’angle droit de la surface espagnole. Zidane le tire et trouve la tête de Vieira à six mètres des cages de Canizares. Au-dessus. D’entrée, le combat est très physique, sur tous les ballons sur la pelouse éclairée par le soleil couchant de Bruges. Par contraste, les touches de balle soyeuses de Zidane rassurent. Henry n’est pas en reste : à la 11e, il lance un raid côté gauche, lâche Mendieta, crochète Helguera et force un peu trop sa frappe qui passe à côté. Derrière, Thuram ne semble pas serein. Placé en sentinelle devant la défense, Vieira ratisse tout ce qui passe avec ses grands compas. Les espaces sont rares.

Deschamps à l’attaque, Guardiola aux coups francs
A la 16e pourtant, sur une touche française effectuée par Zidane, Deschamps trouve d’un centre du gauche (!) la tête de Dugarry, encore au-dessus. Le gaucher se heurte au passage avec Salgado et se relève le nez en sang. A la 19e, Guardiola tire un coup franc côté gauche de la surface française suite à un pied haut de Deschamps. Sa frappe prend la direction de la lucarne de Barthez, qui intervient. Attention aux coups de pied arrêtés ! Dans la foulée, les Bleus lancent une attaque somptueuse avec Djorkaeff qui trouve Zidane d’une transversale de 40 mètres. Zidane exécute un contrôle collé, sert Deschamps dans la surface qui lui remet d’une talonnade mais le meneur de jeu français est contré.

Le niveau monte alors d’un cran. A une frappe du gauche de Dugarry bloquée par Canizarès (20e)répond une ouverture plein axe d’Alfonso pour Raùl dont le tir du gauche est claqué par Barthez, avancé aux six mètres (21e). Sur le corner, un centre de Guardiola est dévié du coude par Zidane dans la surface, sans que M.Collina ne bronche. Avec la VAR, c’était pénalty à coup sûr !

Sur son aile gauche, Munitis met toujours un gros désordre. Heureusement que ses centres sont trop imprécis, sa passe pour Raul trop tardive, l’attaquant madrilène étant hors-jeu ou son tir (28e) pas cadré, mais à chaque fois que le ballon arrive sur lui, il y a danger.


 

Distance platinienne pour Zidane
A la 29e, grosse occasion française. Dugarry travaille sur son aile gauche et cherche Zidane au point de pénalty d’une passe rasante. Mais Zizou tente une reprise du gauche et manque le ballon, alors qu’il aurait pu frapper du droit. La suivante sera la bonne : sur une phase de possession bleue, Vieira sert Djorkeff qui, en se retournant aux vingt mètres, est crocheté par Aranzabal. Coup franc à distance platinienne, légèrement décalé à gauche, à hauteur du poteau droit de Canizares. Zidane l’enroule au-dessus du mur et le loge dans la lucarne espagnole (1-0, 33e).

Les supporters français chantent « et ils sont où, les Espagnols ? » ce qui est abusé tant les deux équipes ont fait jeu égal depuis une demi-heure. Munitis va d’ailleurs se rappeler à leur bon souvenir moins de quatre minutes plus tard : Mendieta trouve Alfonso qui décale Munitis. Thuram est en retard et balaye la jambe d’appui de l’attaquant en pleine surface. Pénalty indiscutable. Mendieta le transforme en finesse (1-1, 38e). Tout est à refaire. Deux minutes plus tard, sur un centre de Mendieta, Thuram décidément à la rue met en corner alors qu’il n’y avait plus de danger.

Djorkaeff en mode toréro
Les deux équipes cherchent visiblement le KO avant la mi-temps. On voit Deschamps jouer très haut (et plutôt bien), Blanc apporter le surnombre au milieu. Et Vieira aussi. Sur une interception haute de Lizarazu, ce dernier trouve Vieira de la tête qui percute jusqu’à la surface et sert du droit Youri Djorkaeff lancé sur la droite de la surface. Une touche de balle pour se mettre en position et une frappe surpuissante du droit à dix mètres qui nettoie la lucarne gauche de Canizares (2-1, 44e). Près du poteau de corner, le Snake exécute un mouvement de toréro. Chambreur, va !

Zidane s’offre une percée de cinquante mètres (il fera la même contre le Portugal en finale) terminée par une passe pour Deschamps, en position d’avant-centre, et Pierluigi Collina siffle la fin d’une mi-temps d’une intensité folle. C’est cher payé pour l’Espagne, mais cette équipe de France-là est injouable, alors qu’on n’a pas encore vu Henry.

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Juste après la reprise, le ton est donné : à l’attaque toute côté espagnol. Munitis perce une fois encore côté gauche, son centre en retrait trouve Alfonso et Barthez se jette dans ses pieds (47e). Quand ils ont le ballon, les Français tentent de le conserver, avec Zidane et Dugarry côté gauche, Deschamps et Djorkaeff à droite. La différence avec 1998, c’est que cette équipe-là joue bien plus haut, défend en avançant et presse très vite à la perte du ballon.
Un coup franc distillé par Guadiola (55e) est difficilement dégagé par la défense française. Attention aux coups de pied arrêtés, on l’a déjà dit. Vieira est averti pour un coup de coude sur la tête de Munitis (60e), Guardiola pour un balayage sur Djorkaeff (61e) et Salgado pour un plaquage sur Henry (64e).

Balle de break pour Henry, plaqué par Paco
Sur un ballon perdu en profondeur, Thuram et Barthez s’amusent à faire tourner en bourrique Raùl. Déjà qu’il ne touche presque pas de ballon… (68e). Le public de Bruges ponctue l’affaire de Olé qui doivent passablement énerver les Espagnols. Les Bleus jouent un peu trop facile. A la 70e, les Espagnols récupèrent le ballon à 40 mètres et Raùl, qui avait enfin un peu d’espace, se prend un mur par Vieira. Coup franc, comme toujours tiré par Guardiola. Corner. Le ballon retombe en cloche sur la ligne des 5,50 m, est repris de la tête par Abelardo et repoussé n’importe comment par Desailly, de la main réclament les Espagnols. Pendant ce temps, Henry a récupéré le ballon dans sa surface et s’est enfui côté gauche. Lancé comme ça il peut aller au bout alors Paco sort un placage de rugby, aux épaules. Que dit l’arbitre ? Carton jaune. Le rouge n’était pas loin… Même s’il n’était pas en position de dernier défenseur, Aranzabal étant revenu dans l’axe. Le jeu est de plus en plus haché, les coups francs se multiplient et les Bleus tentent de calmer le jeu à chaque fois.

On entre dans le dernier quart d’heure et l’Espagne est encore en vie. Un nouveau raid de Zidane sur quarante mètres se termine dans la surface espagnole par une frappe monstrueuse de Vieira contrée par Abelardo (75e). Sans Mendieta (remplacé par Ursaiz) et Helguera (suppléé par Gerard), le brillant milieu espagnol de la première période, qui était traversé à grande vitesse par les Bleus depuis une demi-heure, est dépouillé. La qualité des sorties de balle françaises est remarquable, même si la dernière passe pèche. Alors Zidane se fait un petit plaisir en tentant de lober Canizares des 35 mètres (80e).

Ursaiz, dernier frisson
Anelka remplace Henry à la 82e alors que Dugarry pensait sortir. Djorkaeff frappe un coup franc à 27 mètres. Son ballon tombe au pied du poteau de Canizares qui l’accompagne en corner. Exteberria gratte un coup franc à l’entrée de la surface (84e). Raul le tente du gauche, dans le mur. Juste après, sur une balle longue qu’il capte en extension, Barthez prend le coude d’Abelardo dans le ventre et a le souffle coupé. C’est l’occasion aussi de gagner un peu de temps et de casser le rythme…

Le pénalty très généreux accordé par Pierluigi Collina aux Espagnols laisse entrevoir la possibilité d’une prolongation (voir la séquence souvenir). Mais Raul, déconcentré par Djorkaeff, place le ballon au-dessus (90e). La chance qui avait accompagné les Bleus lors de la conquête de leur titre mondial est toujours là, et elle ne les lâchera pas jusqu’au 2 juillet. Il y aura encore une occasion, un centre tendu de la gauche d’Alfonso que Ursaiz coupe de la tête à quatre mètres de la ligne (91e) entre Desailly et Lizarazu qui étaient déjà en demi-finale. Derrière, Thuram a encore les jambes pour arracher un corner à l’autre bout du terrain. Il reste une minute à jouer et les Bleus ne lâchent plus le ballon. C’est terminé. Guardiola échange son maillot avec Zidane. Entre futurs entraîneurs du 21e siècle, on se comprend. Barthez, lui, en fait de même avec le jeune Iker Casillas, qui était sur le banc.


 

La séquence souvenir

La 89e minute se termine par une phase de possession espagnole. Les Bleus n’arrivent plus à sortir, guère aidés par le pressing de retraité d’Anelka qui trottine dans le rond central. Exteberria centre depuis la droite, Urzaiz remet de la tête vers Abelardo, Desailly dévie, Barthez plonge sur la ligne de sortie de but pour éviter le corner, relâche le ballon et tend le bras pour l’éloigner d’Abelardo a suivi et qui s’affale comme une chose molle et tiède, si vous voyez ce que je veux dire. Corner ? Non, pénalty. La faute est tout sauf évidente, même au ralenti, mais curieusement Barthez ne proteste pas. Le tireur habituel, Mendieta, est sorti. Qui va tirer ? Guardiola ? Plutôt Raul. Grosse pression pour un joueur de 22 ans qui est passé à côté de son match. Le Madrilène est en place, et qui voilà ? Youri Djorkaeff, qui pour sortir de la surface passe juste devant le tireur. Il avait fait la même chose à Roberto Carlos sur un coup franc lors de la finale contre le Brésil deux ans plus tôt. Suffisant pour déstabiliser l’adversaire au moment où il se concentre. Raul s’élance, un peu trop penché en arrière, et place la balle du gauche au-dessus de la lucarne de Barthez, pris à contrepied.

Le Bleu du match : Youri Djorkaeff

En première mi-temps, on le voit peu, pris de très près par la tenaille espagnole Guardiola-Helguera, mais son ouverture pour Zidane à la 19e était déjà remarquable. En s’infiltrant entre le milieu et la défense adverse, c’est lui qui provoque le coup franc transformé par Zidane à la 33e, puis qui marque le but du 2-1 sur une ouverture de Vieira à la 44e. En onze minutes, il a fait basculer le match. En deuxième mi-temps, il s’attache à conserver le ballon, provoque des fautes qui cassent le rythme et tire un joli coup franc détourné par Canizares (82e). Enfin, il a suffisamment d’expérience (ou de vice) pour troubler la concentration de Raul au moment où ce dernier va tirer le pénalty de la dernière chance.

L’adversaire à surveiller : Raùl

Il n’a que 22 ans (23 deux jours après le match), mais le numéro 10 espagnol a déjà un palmarès long comme le bras : deux fois champion d’Espagne avec le Real, deux Ligues des champions, une Coupe intercontinentale, un titre de meilleur buteur de la Liga... Il a déjà inscrit 146 buts en six saisons, dont 17 en 38 sélections avec la Roja. C’est l’un des plus grands espoirs du football mondial, pur porduit de la génération 1977, celle de Henry et Trezeguet. Et il a inscrit un but contre la Slovénie à l’Euro. Mais ce quart de finale à Bruges restera dans ses pires souvenirs en sélection. Sevré de ballons en attaque, car tout passe par Munitis ou Alfonso, il ne pèse pas, hormis sur une frappe flottante que Barthez détourne (21e). Et quand il a enfin l’occasion d’égaliser, il met son pénalty au-dessus après avoir été marabouté par Djorkaeff. Il n’aura jamais de chance avec la Roja, de toute façon. Sa carrière internationale s’arrête à 29 ans, après la Coupe du monde 2006 (où il est encore battu par la France de Zidane), juste au moment où l’Espagne s’apprête à rafler trois titres consécutifs (2008, 2010, 2012).

La petite phrase

Christophe Dugarry : « Le tout c’était d’apporter du physique face à une équipe espagnole très technique. Nous sommes allés au bout de nous-mêmes. » Ça n’a pas empêché les Bleus de faire aussi parler la technique, et aux Espagnols de mettre beaucoup de coups et d’intensité.

La fin de l’histoire

Qualifiés d’un souffle après avoir mené pendant toute la deuxième période, les Bleus peuvent respirer. Les voilà dans le dernier carré de l’Euro, et au cours des quatre premiers matchs où ils ont déjà encaissé cinq buts (plus que lors des deux derniers tournois cumulés, quatre buts en douze rencontres) ils ont montré qu’ils étaient capables de réagir. Ils en auront bien besoin, car lors des deux matchs suivants, ils ne mèneront plus une seule minute, seront deux fois bousculés et dominés et trouveront deux fois les ressources nécessaires pour égaliser d’abord et porter le coup de grâce avec le but en or. Et toujours sur ce score fétiche de 2-1, celui contre les Tchèques, face aux Pays-Bas à la mi-temps et contre l’Espagne. C’était aussi le scénario du Danemark en 1998, alors que celui de la Croatie ressemble à ceux à venir contre le Portugal et l’Italie.

Les Espagnols échouent une nouvelle fois contre la France, après la finale de l’Euro 1984 et les éliminatoires de 1992. La série noire n’est pas terminée : elle se prolongera en 2006 en Allemagne et Raùl en sera encore le témoin. La revanche attendra l’Euro 2012 et un quart de finale à Kiev où les Bleus seront surclassés (0-2) par des Espagnols champions du monde en titre et bientôt doubles champions d’Europe. Sans Raul, mais avec la génération du Barça (Xavi, Iniesta, Busquets, Puyol) dirigée par un certain Pep Guardiola.

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Hommage à Pierre Cazal