8 juillet 1998 : France-Croatie

Publié le 8 juillet 2020 - Bruno Colombari - 1

Après trois échecs en demi-finale de Coupe du monde, l’équipe de France casse enfin le plafond de verre contre une très belle sélection croate qui n’aura plié que sur deux flambées offensives de Lilian Thuram.

9 minutes de lecture

Le contexte

On ne change pas une équipe qui gagne (aux tirs au but après deux heures sans marquer). Aimé Jacquet reconduit donc son équipe victorieuse de l’Italie, avec son 4-3-2-1 qui depuis l’Euro 1996, a prouvé son invulnérabilité (aucun but encaissé en quatre matchs à élimination directe), même si le prix à payer est évidemment élevé : celui de la stérilité en attaque, confirmé contre l’Italie : en près de huit heures de jeu, un seul but a été marqué (celui de Blanc contre le Paraguay à Lens).

Que vont faire les Bleus face à une équipe croate qui a créé la plus grosse surprise du tour précédant en éjectant du tournoi les champions d’Europe allemands, et par la plus importante marge des quarts de finale (3-0) ? Surtout, et comme en 1984 ou en 1986, l’équipe de France est favorite, ce qui n’était le cas ni en 1958 (face au Brésil) ni en 1982 (contre la RFA). Toute la pression est sur elle, alors que la Croatie, que personne n’attendait aussi haut pour sa première Coupe du monde, a déjà largement rempli sa mission et n’a absolument rien à perdre.

Face donc au « sapin de Noël » mis en place par Aimé Jacquet, avec la défense habituelle (Barthez, Thuram, Blanc, Desailly, Lizarazu), un milieu blindé (Karembeu, Deschamps, Petit), deux meneurs libres (Zidane et Djorkaeff) et une pointe (Guivarc’h), Miroslav Blazevic s’appuie sur ses « Yougoslaves » vétérans du Mondial 1990 (Prosinecki, Suket et Jarni) auquel on peut ajouter Boban, lui aussi ancien joueur de la Yougoslavie. Lui aussi a son onze-type qui n’a pas bougé par rapport au quart de finale, avec devant le gardien Ladic trois défenseurs (Bilic, Stimac, Simic), un milieu à cinq avec Jarni à gauche et Stanic à droite encadrant Soldo, Asanovic et Boban se partageant l’organisation du jeu, et Šuker et Vlaovic en attaque. Sacré effectif.


 

Le match

Pour la première fois de son histoire, les Français jouent en bleu-bleu-rouge, la Croatie évoluant pour sa part en maillot blanc à damier rouge, short blanc et chaussettes blanches. Dès le début, il est flagrant que les espaces sont très réduits et vite refermés. Aucune des deux équipes ne parvient à enchaîner plus de trois passes d’affilée. Il faut attendre la quatrième minute pour voir une combinaison Thuram-Djorkaeff côté droit toucher Guivarc’h qui talonne à l’entrée de la surface pour Zidane dont le tir est capté par Ladic. La deuxième tentative du numéro 10 français, à la 8e, passe largement au-dessus. Servi par Petit, il tente une tête en position d’avant-centre, encore au-dessus (9e). Puis c’est Deschamps, servi par une judicieuse passe aveugle de Zidane, qui frappe de loin, toujours trop haut (11e).

Comme face à l’Italie, les Bleus tentent beaucoup, mais ne cadrent pas grand chose. Au moins les Croates sont privés du ballon, ce qui, compte tenu de leur habileté avec, est préférable. La quatrième tentative de Zidane est cadrée, mais son tir rasant est trop lointain pour tromper Ladic (19e). Alors que Karembeu boîte bas et que Dugarry part s’échauffer, Guivarc’h frappe un coup franc à 28 mètres, mais le rebond ne trompe toujours pas Jarni. Le suivant, suite à une faute de Stimac sur Djorkaeff, aurait été parfait pour un gaucher, mais Zidane le tire dans le mur.

Les Croates en contrôle
C’est finalement Henry qui sort du banc, comme contre l’Italie, pour remplacer Karembeu touché. (31e). Sans jamais être dominés, les Bleus perdent progressivement le fil du match et l’heure tourne. Le 4-2-3-1, avec Henry à droite à hauteur de Djorkaeff, voire de Guivarc’h, permettra-t-il aux Français de porter enfin le danger dans la surface croate ?

Au contraire, une superbe combinaison Simic-Asanovic met celui-ci en position de frappe à 12 mètres des cages de Barthez, mais Lizarazu ferme l’angle de tir et ce dernier ne trouve que le petit filet. Avertissement sans frais (35e). Puis Bilic tente une volée au-dessus (38e). Les Bleus ne sortent plus de leur moitié de terrain, l’inquiétude monte dans les travées du Stade de France. C’est alors que sur un centre de Blanc remis de la tête par Guivarc’h, Zidane décoche une volée fulgurante à vingt mètres, plein axe, que Ladic sort près de son poteau (41e). Mais les Croates tiennent le ballon désormais et ne le rendent plus.

Bilic simule dans la surface, déjà
Sur la toute dernière occasion de la première période, un coup franc excentré à gauche tiré par Boban, le ralenti montre Slaven Bilic et Emmanuel Petit se chauffer dans la surface. Le Croate insulte le Français et le montre du doigt avant de le percuter et de s’effondrer pour tenter d’obtenir un pénalty. C’est dans la même surface que Blanc sera expulsé, trois quarts d’heure plus tard.

Voir le match complet sur Footballia.net, avec les commentaires de Thierry Gilardi et Charles Bietry

La deuxième mi-temps débute par un séisme : cueillis à froid et sans doute pas assez concentrés, les Bleus encaissent leur deuxième but de la compétition, mais celui-ci, marqué par l’inévitable Šuker, est infiniment plus important que le pénalty de Laudrup au premier tour (voir la séquence souvenir). D’abord stérile, puis hésitante, cette demi-finale accélère soudainement et Thuram se jette à l’avant, arrache un ballon dans les pieds adverses, s’appuie sur Djorkaeff et égalise devant Ladic qui ne comprend pas ce qui se passe (1-1, 47e).

A 1-1, le match s’emballe d’un coup
Le scénario est déjà fou, mais on n’a pas tout vu. Henry obtient un corner par un retourné astucieux, et sur celui-ci, tiré par Petit, les Croates s’en tirent par un triple coup de billard signé Blanc, puis Djorkaeff, puis Zidane (50e). le KO technique était tout proche. Petit tente une volée de 25 mètres plein axe, largement au-dessus (55e).

Il faut presque un quart d’heure aux Croates pour sortir la tête de l’eau, mais quand ils le font, à la 60e, Vlaovic est à deux doigts de tirer, repris à l’ultime seconde par Thuram qui l’avait laissé filer. Comme contre l’Italie, Petit fait un match énorme. C’est lui qui lance Henry pour une balle de break à la 62e, mais l’attaquant monégasque fonce, crochète Jarni dans la surface et tire du gauche plutôt que servir Zidane démarqué.

Thuram héroïque, Blanc piégé
Puis Trezeguet remplace un Stéphane Guivarc’h utile mais toujours pas décisif. La paire monégasque est reconstituée en attaque, preuve que Jacquet joue la victoire. Et juste après, c’est l’invraisemblable qui se produit : Thuram avance sur l’aile droite, n’est pas attaqué, appelle Henry, trouve le une-deux, perd le ballon, le reprend dans les pieds de Jarni, et du gauche à l’entrée de la surface il enroule un amour d’intérieur du pied qui contourne Ladic et finit près du second poteau (2-1).

C’est un renversement de score digne de Séville (seize ans après jour pour jour) ou de Marseille, mais là, il reste vingt minutes et qui sait ce qui peut arriver ? Les Bleus n’ont plus l’habitude de gérer une avance en match à élimination directe. D’autant qu’ils vont se retrouver à dix suite à un nouvel accrochage dans la surface croate avec Slaven Bilic, qui n’en manque pas une. Le Français l’écarte de la main à la mâchoire, Bilic s’écroule en se tenant le front (?) et l’arbitre espagnol
José Maria Garcia Aranda expulse Blanc (75e). Aimé Jacquet sort Djorkaeff pour Frank Leboeuf : à cet instant, ce dernier sait que si les Bleus vont en finale, c’est lui qui jouera.

La Coupe du monde de Laurent Blanc s’arrête là : José Maria Garcia Aranda expulse le Français pour une gifle sur Bilic.


Tenir, quoi qu’il arrive
Il reste un quart d’heure à tenir à dix. Il va falloir se battre sur chaque ballon et espérer un contre. Il ne faut pas se livrer, obliger les Croates à faire tourner jusqu’à ce qu’ils fassent une erreur technique. Sur un coude levé de Henry près de la touche, le cuir chevelu de Jarni éclate. En désespoir de cause, Blazevic fait entrer Robert Prosinecki à la 89e, mais c’est bien tard.

Dans le temps additionnel, Zidane s’échappe le long de la touche, entre dans la surface au bénéfice d’un contre favorable mais ne cadre pas sa frappe. A la 93e, suite à une percussion de Lizarazu, Leboeuf frappe un bon coup franc largement au-dessus alors que Zidane est sonné. A la 94e, une frappe croate déviée et tirebouchonnée retombe dans la lucarne et Barthez la claque en corner. Desailly sort un dernier ballon qui traîne dans la surface, et c’est Thuram qui touche l’ultime ballon du match. La France est en finale !

La séquence souvenir

C’est un but extrêmement important, parce qu’on s’est dit rétrospectivement que sans lui les Bleus n’auraient sans doute pas gagné ce match. C’est tout d’abord le premier but encaissé par Barthez dans le jeu, sur une action limpide des Croates. Au milieu de terrain, Asanovic évite le retour de Zidane et lance en profondeur Šuker dans le dos de la défense française. Ce dernier contrôle du gauche à l’entrée de la surface et s’en va fusiller Barthez d’un pointu rectiligne. On joue depuis 24 secondes !

C’est ensuite la première fois que l’équipe de France est menée dans cette Coupe du monde, et la première fois dans un match à élimination directe depuis juin 1986. Ce qui veut dire qu’à cet instant, elle ne jouera pas la finale contre le Brésil, qualifié la veille. Enfin, ce but implique directement Lilian Thuram qui a couvert Suker en tardant trop à s’aligner pour jouer le hors-jeu.

Ces trois facteurs jouent le rôle de détonateur pour les Bleus. En trois mi-temps restantes, ils vont marquer cinq fois et ne plus laisser la moindre chance à leurs adversaires. C’est un électrochoc, qui aurait pu les tuer. Il les a réveillés.

Le Bleu du match : Lilian Thuram

C’est curieusement lors d’un des matchs où il se sera fait le plus bouger que le latéral français a sorti une prestation hors norme. Il commence plutôt fort avec une belle attaque menée avec Djorkaeff qui aboutit à la première occasion française. Il se livre peu par la suite pour ne pas être débordé par Robert Jarni. Il tente un centre trop long qui ne trouve personne (18e). A la 24e, il s’offre le luxe (et l’impertinence) d’un grand pont sur Zvnonimir Boban dans la surface croate, mais Bilic vient couper derrière. Gros coup de chaud juste après, où une percée de Vlaovic est stoppée irrégulièrement dans la surface par Deschamps et surtout Thuram, qui arrête le Croate d’un coup de hanche qui aurait pu valoir un pénalty.

La deuxième mi-temps commence de la pire des façons pour Thuram. Alors qu’il n’a pas touché le ballon, il traîne à l’arrière et couvre Šuker qui, servi par Asanovic, trompe Barthez. Il lui faut une minute montre en main pour revenir dans le match, se projeter sur l’aile droite, chipie un ballon dans les pieds de Boban à l’entrée de la surface adverse jusqu’à Djorkaeff qui a l’inspiration géniale de lui remettre instantanément dans la course. Et voici Thuram, en position d’avant-centre, qui bat Ladic d’un plat du pied en déséquilibre.

Il commet une nouvelle erreur à l’heure de jeu en laissant filer Vlaovic, mais il revient comme une fusée pour lui enlever le ballon du pied et le mettre en corner. A la 67e, alors que les Croates sont en nombre en attaque, il anticipe à merveille une passe de Maric et permet aux Bleus de ressortir proprement.

Le meilleur est à venir, avec sur une transversale de Zidane, cette percussion dans le couloir droit avec Henry, ce ballon arraché à Jarni et l’enchaînement intérieur du gauche au second poteau. Et là, Thuram invente spontanément un geste iconique : à genoux, l’air préoccupé et deux doigts sur la bouche.

L’adversaire à surveiller : Davor Šuker

A 30 ans, l’attaquant du Real Madrid est au sommet de son art. Avant d’affronter la France, il a déjà marqué quatre buts avec une régularité de pendule : un par match sauf contre l’Argentine, contre laquelle la Croatie a perdu.

Bien pris en tenaille par Blanc et Desailly, alors que Deschamps se charge passe le début du match à pester contre des ballons qui n’arrivent pas, comme un centre perdu de Jari (12e). Sur une passe en profondeur de Jarni, il redresse le ballon de justesse mais son centre ne trouve que les gants de Barthez (26e). Alors il se replie en position de milieu pour aller chercher les ballons plus bas. Chargé par Lizarazu, il obtient un coup franc à 30 mètres décalé côté droit, mais ne profite pas du cafouillage qui s’ensuit. A la 43e, une merveille d’enchaînement de Asanovic devant Deschamps arrive sur Šuker dans la surface, mais le buteur croate est court de quelques centimètres.

La prochaine fois sera la bonne. Son appel dans le dos de Blanc et Desailly est parfait, et comme Asanovic le sert à la perfection, et que Thuram le couvre, il n’a plus qu’à contrôler et à ajuster Barthez d’un pointu du gauche. Cinquième but du tournoi, 1-0 pour la Croatie.

A la lutte avec Lizarazu, il obtient un bon coup franc à la 61e, mais les Français se dégagent. Et quand Boban sort à la 65e, c’est lui qui récupère le brassard de capitaine. Quand les Bleus sont réduits à dix, il tente le tout pour le tout, mais Barthez vient lui prendre un ballon sur la tête à la 80e, puis encore à la 84e. Juste après, sur un centre de Stanic, il ne cadre par sa tête. A la 88e, il tire un corner en tentant de le mettre direct. Raté. Les vagues croates déferlent. Sur l’une d’elles, le ballon passe au-dessus de Lizarazu et arrive sur Suker qui contrôle et frappe, mais Desailly s’interpose. C’est fini.

La petite phrase :

Davor Šuker justement, vingt ans plus tard : « Je détestais Marcel Desailly. C’était l’un des meilleurs défenseurs du monde. Je n’aimais pas l’affronter. Il était dur, impossible à passer, il contrôlait son attaquant. »

La fin de l’histoire :

Eliminés, les Croates se vengent contre les Pays-Bas à qui ils chipent la troisième place. Davor Šuker en profite pour inscrire son sixième et dernier but, qui lui donne le titre de meilleur buteur du tournoi. Un an plus tard, il quitte le Real Madrid pour Arsenal où il retrouve Thierry Henry, lequel lui prend sa place de titulaire.

Français et Croates se croisent à nouveau à l’Euro 2004 au Portugal, sans parvenir à se départager (2-2) au terme d’un match qui achève la carrière internationale de Marcel Desailly. Mais c’est en finale de la Coupe du monde 2018 qu’a lieu la revanche de 1998. Et à nouveau, la Croatie brille en première mi-temps avant de se faire piéger en seconde et d’encaisser deux fois plus de buts qu’elle n’en marque (4-2). Dans la tribune officielle du stade Loujniki, le président de la fédération croate de football est forcément déçu. Il s’appelle Davor Šuker.

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Vos commentaires

  • Le 6 avril 2022 à 21:17, par Nhi Tran Quang En réponse à : 8 juillet 1998 : France-Croatie

    Parmi les autres joueurs croates faisant partie des 22 ayant joué pour la Yougoslavie en dehors de ceux qui ont été déjà cités, on trouve Drazen Ladic (3 sél en 91), Goran Juric (4 sél entre 88-89), Aliosha Asanovic (3 sél entre 87-88), Mario Stanic (2 sél en 91), mention spéciale pour Igor Stimac car si il ne compte aucune sélection avec la Yougoslavie, il a été champion du monde junior avec elle en 87. Pour Suker il a été dans les 22 de la Yougoslavie pour le mondial 90, il a seulement connu sa 1ère sélection après la compète en 2/91 contre la Turquie. Sur les 22 croates, 7 voire 8 (si on compte Stimac avec les juniors) ont joué pour la Yougoslavie dont 3 pour le mondiale. On n’aurait pu compter un 9ème si il n’était pas blessé avant la compète Alen Boksic

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