Pour beaucoup de « Premiers Bleus », se pose un problème d’état-civil, les lecteurs fidèles de cette série l’ont déjà constaté, et Albert Jenicot n’y échappe pas.
En effet, quasiment toutes les sources consultables sur Internet le donnent né en février 1885, et mort au front en février 1916. Parmi elles, Wikipedia va plus loin, et le présente ainsi : « Jules Aristide Jenicot, dit Albert », remettant donc en question le prénom communément accepté.
Qu’en est-il donc ? Jules, ou Albert ?
Tout d’abord, il n’y a pas de doute sur le prénom du joueur : c’est bien Albert, comme écrit en toutes lettres à de nombreuses reprises dans L’Auto, par exemple le 18 avril 1913 : « Nous apprenons le décès de M. Emile Jenicot, père de MM Albert et Fernand Jenicot, du Racing Club de Roubaix », dans un entrefilet qui nous donne plusieurs indications bien précieuses d’état-civil, et non Jules.
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L’Auto du 18 avril 1913 (BNF, Gallica)
Ensuite, il est exact que Jules Aristide Jenicot a bien existé, qu’il est né ainsi que Wikipedia le précise le 15 février 1885 et mort à Vacherauville le 22 février 1916, sauf qu’il ne s’agit pas de notre footballeur. Il s’agit d’un homonyme, qui n’a sans doute jamais joué au football, et qui se trouve ainsi bien malgré lui promu au rang des Bleus : on espère que ses descendants ne seront pas trop déçus d’apprendre que c’était faux…
Né à Maubeuge d’un père belge, il devient français à 16 ans
Deux sites échappent à l’erreur, il faut rendre à César ce qui appartient à César : eu.football.info, et Transfermarkt. Ils avancent que Jenicot s’appelait Albert Raoul Hector, né à Maubeuge le 10 septembre 1885 et décédé à Roubaix le 19 juillet 1915. Et ils ont raison.
Vérification à l’état-civil de Maubeuge : Albert Raoul Hector est bien le fils d’Emile Jenicot. On y apprend même que ce dernier était Belge : Albert est donc né en France d’un père étranger, et a opté pour la nationalité française en 1901, à 16 ans, en se rendant chez le juge de paix de Péronnes-lez-Binche, dans le Hainaut wallon, pour ce faire. Par la suite, la famille s’est établie à Roubaix, et le jeune Albert a suivi son frère aîné Fernand (1883-1935) au Racing Club, où il pratiquait assidûment le cross-country, mais également le football, et qui était alors le club le plus brillant du Nord, s’apprêtant à truster les titres de champion de France, entre 1902 et 1908.
Si Fernand ne s’y impose pas, bifurquant vers l’arbitrage (il arbitrera même un match international, Angleterre-Belgique en 1914), ce n’est pas le cas de son cadet Albert. Remplaçant en 1902 et 1903, le titulaire étant Lefebvre, il prend la place de ce dernier en 1904 et ne la lâchera plus. Il jouera donc 5 finales du Championnat de France consécutives, dont 3 victorieuses (en 1904, où il marque même un but contre l’United SC, en 1906 contre le CAP et en 1908 contre le Racing) pour 2 perdues (en 1905 contre le Gallia et en 1907 contre le Racing, mais il marque un but). Un beau palmarès, qui lui ouvre les portes de la sélection du Nord (1908, 1909) et aussi celles de l’équipe de France.
France-Belgique, 12 avril 1908. Albert Jenicot est assis, le deuxième en partant de la gauche (Agence Rol, BNF, Gallica)
Barré par Marius Royet en équipe de France, où il dépanne
Trois sélections seulement, toutes en 1908, car au poste d’inter droit, le vétéran Marius Royet est inamovible. Il faut qu’il déclare forfait, en mars 1908, pour que Jenicot intègre l’équipe contre la Suisse, et il doit céder la place quinze jours plus tard à Royet pour affronter l’Angleterre, il n’est plus que remplaçant. Puis c’est une blessure d’André François qui lui permet de dépanner à l’avant-centre contre la Belgique en avril, et il rebascule remplaçant en mai pour jouer la Hollande, au retour du titulaire.
Sa troisième et dernière sélection, il la doit au fait qu’il y avait deux équipes alignées au tournoi olympique de 1908, comme on sait : il prend place dans l’équipe B, celle qui n’est battue « que » de 9 buts par le Danemark. Par la suite, la démission de l’USFSA de la FIFA le coupe de toute possibilité de match international officiel.
« Maigre comme un clou, agile comme un singe »
Quel type de joueur était Jenicot ? Le qualificatif qui revient le plus souvent dans les compte-rendus de match est l’agilité. Voici un petit florilège : « Grand, maigre comme un clou, agile comme un singe, Jenicot est un joueur qui possède comme pas un l’art de trouver le filet. Quoique très léger, il n’a pas peur des charges et sa souplesse lui permet d’utiliser les quantités de tours dont il est rempli » ; et encore : « Leste et vite, possède une manière spéciale faite d’agilité et d’adresse ; ne craint ni les chutes ni les charges, shoote mieux de loin que de près dans les positions les plus extraordinaires ».
Il ne pèse que 63 kg pour 1,72 mètre, il est « le poids léger de l’équipe », ce qui n’empêche pas son shoot d’être « fort et précis » et d’être décoché « dans n’importe quelle position ». Mais on sent que, en dépit de sa souplesse et de la spontanéité de son tir, son manque de gabarit et de puissance est un défaut qui le barre, non dans son club où il a su se rendre précieux, mais à l’étage supérieur, celui de l’équipe de France, d’où son statut forcément un peu décevant de remplaçant qui parvient à grappiller quelques sélections de ci, de là.
Mort en juillet 1915, probablement du diabète
On perd la trace de « Mouchon », le surnom d’Albert Jenicot, après 1910 : il était graveur de son métier, son frère Fernand imprimeur, il y a tout lieu de penser qu’ils travaillaient de concert. Dispensé du service militaire en tant qu’« ouvrier d’art » (cas de Jean Dubly et André François avant lui), Jenicot est par contre appelé en août 1914, mais réformé et renvoyé dans ses foyers une semaine plus tard, pour diabète sucré.
Célibataire, il meurt au domicile de sa mère, à Roubaix, le 19 juillet 1915, et on a tout lieu de penser, là également, que le diabète en est la cause. Le diabète dit de « type 1 » se caractérise en effet par une extrême maigreur, qu’on a toujours remarquée chez le malheureux Mouchon, qui ne le handicapait pas pour jouer au football en raison de son aptitude à supporter les chocs et à se relever très vite de ses chutes au moindre contact, mais, non soigné, pronostic de ce type de diabète est sombre.
Si Jules Aristide, avec lequel on l’a confondu jusqu’ici, est mort au front, Albert, lui, est mort dans son lit, sans avoir eu l’occasion de se battre pour le pays qu’il avait choisi à 16 ans.
Les trois matchs d’Albert Jenicot avec l’équipe de France A
Sel. | Genre | Date | Lieu | Adversaire | Score | Tps Jeu | Notes |
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1 | Amical | 08/03/1908 | Genève | Suisse | 2-1 | 90 | |
2 | Amical | 12/04/1908 | Colombes | Belgique | 1-2 | 90 | |
3 | JO | 19/10/1908 | Londres | Danemark | 0-9 | 90 | premier match de compétition |