Les premiers Bleus : Jean et Jules Dubly, les faux frères du Nord

Publié le 26 mai 2023 - Pierre Cazal

Nés tous les deux en 1886, l’un à Roubaix, l’autre à Tourcoing, tous deux internationaux et portant le même nom et la même initiale du prénom, Jules et Jean Dubly n’avaient pourtant aucun lien de parenté.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
7 minutes de lecture

Jusqu’en 1992, sur tous les annuaires et les dictionnaires compilant les sélections des Bleus depuis les origines figuraient deux Dubly. L’un était Raymond Dubly, une des stars du football français, 31 sélections officielles, et dont il sera question en détail dans un article futur, et l’autre était Jules Dubly, plus modestement gratifié d’une seule sélection, en 1914. Certains, comme Gilles Gauthey, dans son excellent livre consacré à l’équipe de France, paru en 1962, écrivaient : « Jules, frère de Raymond aux 31 sélections, était l’aîné d’une famille de 9 garçons, dont 7 figuraient dans l’équipe de Roubaix en 1900 et quelques. »

En 1992, se rajouta aux deux précédents un troisième Dubly, Jean, oublié comme une dizaine d’autres Bleus ayant participé aux Jeux olympiques de 1908 : les lecteurs réguliers de cette série consacrée aux premiers Bleus connaissent déjà suffisamment cette histoire pour ne pas la raconter encore une fois et, quant aux autres, je les invite à prendre connaissance des articles précédents, par exemple ceux consacrés à Georges-Henri Albert, Georges Bayrou ou Sadi Dastarac, ainsi que des articles de fond qu’on peut trouver sur ce site, notamment celui sur les JO de Londres.

Qui est ce troisième Dubly ?

Ce troisième Dubly, dont l’initiale du prénom était J, comme celle de Jules, provoqua une certaine confusion, dont on peut encore trouver trace sur Wikipedia actuellement. Dans l’article Jean Dubly, on peut lire qu’il était né le 9 août 1886 et décédé le 21 novembre 1953 ; mais dans l’article Jules Dubly, on trouve qu’il était né le 9 août 1886 également (comme s’il s’agissait d’un jumeau) et décédé le 21 mai 1953. Même année de naissance, même année de décès, même quantième du mois, la seule différence étant le mois.

Il est vrai que dans le petit forum de discussion des articles, certains s’interrogent : l’un met en doute l’existence de Jules Dubly, carrément, et l’autre se demande si Jean et Jules n ‘étaient pas la même personne, ce qui revient finalement au même. Jean, le dernier Dubly à être identifié, n’aurait-il pas deux sélections, la première, longtemps occultée, en 1908 (à l’arrière), et la seconde en 1914 (à l’avant) ? Après tout, des joueurs comme Canelle ou Hanot ont été internationaux aux deux postes, pourquoi pas J. Dubly ?

  • L’US Tourcoing le 1er mai 1910. Jules Dubly est le dernier assis, en bas à droite (agence Rol, BNF Gallica)

Démêlons le vrai du faux…

Tout d’abord, il est exact que Raymond Dubly avait huit frères, que deux d’entre eux ont été internationaux à titre officieux en 1903 (Maurice et Léon, contre les Corinthians), que trois d’entre eux (les deux précités, plus Albert) figuraient dans l’équipe de Roubaix championne de France en 1904, et que Jean était l’un de ces huit frères. Jean Dubly a été champion de France dans les rangs du RC Roubaix en 1906 et 1908, mais pas Raymond, qui était trop jeune à l’époque.

Ensuite, il est exact que Jules Dubly est bien né le 9 août 1886 (mais à Tourcoing et non à Roubaix), et qu’il y est décédé le 21 novembre 1953.

Jean et Jules sont deux personnes distinctes, sans lien de parenté

Enfin, il est exact encore que Jean Dubly soit né en 1886… mais à Roubaix. Le 20 mars 1886… et pas le 9 août. Donc, Jean et Jules Dubly sont bien deux personnes distinctes, nées la même année, mais dans deux villes distinctes, quoique voisines, et ce ne sont pas des jumeaux. Il est facile de trouver sur un site de généalogie la liste des neuf frères Dubly (de Roubaix), avec leurs années de naissance et de décès, sauf pour Jean, ou plus exactement Jean-Joseph ! Jules Dubly est tout simplement un homonyme, le patronyme Dubly étant loin d’être rare. La confusion provenait du fait qu’ils étaient nés la même année, et que Roubaix et Tourcoing sont si proches l’une de l’autre…

Et la date du décès de Jean Dubly, est-ce le 21 mai 1953 ? Ce serait quand même une étonnante coïncidence que les deux hommes soient nés et morts la même année ! Eh bien non. Cette date ne figure sur aucun site , même de généalogie, mais j’ai fini par la trouver quand même : le 21 (encore !) janvier 1942, à Paris 17.

Tout est en place, maintenant, et il est temps de parler de la carrière et de l’histoire de ces deux hommes, qui ne se croisent pas du tout : ils ne jouent pas dans les mêmes clubs, ne sont pas internationaux au même moment, ne sont pas originaires des mêmes milieux sociaux et ne vivent pas dans les mêmes endroits.

Jean Dubly, un arrière volant qui charge le porteur de ballon à l’épaule

Jean-Joseph Dubly est l’avant-dernier des neuf enfants d’un riche négociant en laines de Roubaix, et sa carrière, tant sportive que professionnelle, est toute tracée. Ses frères aînés portent le Racing Club de Roubaix au sommet : il sera champion de France 5 fois et finaliste 2 fois, de 1902 à 1908, Jean gagnant la dernière, celle de 1908, face au Racing Club de France (2-1), après celle de 1906.

Contrairement à ses frères, il joue à l’arrière, en raison de son gabarit : 73 kilos pour 1,67m, on le surnomme le « Costaud ». Il est l’arrière « volant », celui qui va charger le porteur de ballon à l’épaule. Sa puissance et son engagement physique sont remarqués, au point qu’il est inamovible en sélection du Nord entre 1906 et 1910. Le sélectionneur des Bleus étant alors nordiste (André Billy), Jean Dubly est retenu en mars 1908 pour jouer contre la Suisse et contre l’Angleterre, mais il doit déclarer forfait les deux fois, de sorte qu’il s’en est fallu de bien peu pour qu’il n’endosse jamais le maillot national.

En effet, il ne figurait d’abord que dans la liste des remplaçants pour aller à Londres disputer les Jeux olympiques, en octobre de la même année 1908. Mais cette fois-ci, c’est l’inverse qui se produisit : le titulaire Desaulty (qui ne fut jamais international) déclara forfait, et c’est à la dernière minute que Jean Dubly rallia Londres… pour voir l’avant-centre Sophus Nielsen lui échapper à tout coup et marquer 10 des 17 buts du Danemark !

  • L’Auto du 12 mars 1910 (BNF Gallica)

Deux années en Angleterre, dans deux clubs différents

Cela ne le dégoûta pas de l’Angleterre puisque Jean-Joseph Dubly y passa deux années, jouant très épisodiquement à Bradford (on lit dans L’Auto, en octobre 1910 : « réside à Bradford et avait la saison dernière joué un ou deux matchs avec le club professionnel de Bradford (équipe seconde / réserves) ; fait partie en même temps d’un club de l’AFA, les Northern Amateurs FC »).

L’AFA (Amateur Football Association) s’était alors détachée de la FA (Football Association, la première fédération fondée au monde, en 1863) et, par contre-coup, de la FIFA ; mais Bradford City FC, par contre, était affilié à la FA… Les Northern Amateurs regroupaient des ex-élèves des universités de Cambridge, Oxford, et des joueurs des Corinthians. C’était un club disputant des matchs de gala en tournée, mais aucun championnat ni Coupe.

En 1912, Jean-Joseph Dubly est de retour dans le Nord, il s’est spécialisé dans le tissage d’art, et s’installe à Paris. Pendant la Guerre , où il est affecté dans un escadron du « train » , on le voit jouer pour la Légion Saint-Michel en 1915, puis devenir arbitre, en 1917. Précisons que le « train des équipages » n’était nullement ferroviaire, mais la plupart du temps hippomobile ou automobile, chargé du transport de troupes, mais aussi du ravitaillement et de munitions, dont l’artillerie. Ce n’est nullement une affectation de « planqués », car les Allemands bombardent le « train », pour des raisons évidentes. La Guerre terminée, Jean-Joseph Dubly resta à Paris, où il exerça la profession de tisseur d’art pour des marques de luxe.

Jules Dubly, attaquant rapide doté d’un bon tir

Jules Dubly, pour sa part, était le fils d’un employé du tramway et s’affilia au club rival du RC Roubaix, l’US Tourcoing (dont il a déjà été parlé à propos de Fernand Desrousseaux). De taille modeste (1,66 m), léger, c’était un attaquant rapide, doté d’un bon tir. Il fut champion du Nord en 1909 et 1910 et champion de France en 1910 : cette année-là, l’attaque tourquennoise était déchaînée, puisqu’elle passa 5 buts à Amiens (5-0), 3 à Saint Servan (3-0) et 7 à Marseille en finale (7-2), et Jules Dubly évoluait à l’aile gauche.

En 1914, il s’est recentré et évolue inter gauche (dans la ligne de 5 attaquants propre au 2-3-5, système tactique alors unique et universel), et il brille : on lit, en février, qu’il a été le « meilleur avant tourquennois » lors du match phare contre Lille. Il est retenu dans l’équipe du Nord, mais il est barré en équipe de France par le Lillois Chandelier, bien plus « scientifique », comme on disait alors.

Il ne devra son unique sélection, en mars 1914, contre l’Italie à Turin, qu’au refus de sélection d’Henri Bard (qui réclamait des sous…) : « Bard ayant définitivement refusé de jouer, c’est J. Dubly, de Tourcoing, qui n’a aucun lien de parenté avec R. Dubly, de Roubaix, qui jouera à sa place », et dans la même équipe que son homonyme, peut-on lire dans L’Auto.

  • L’US Tourcoing en mars 1921. Jules Dubly est debout, le premier à gauche en costume et sans chapeau (Le Miroir des Sports du 24 mars 1921, BNF Gallica)

Mais ce sera une déception, le match est perdu 0-2 et la presse n’est pas tendre : « La très bonne partie qu’avaient fait Chandelier, Jules Dubly et Ducret (avec l’équipe du Nord) contre les Brugeois permettait de croire que nous triompherions grâce à eux, et c’est précisément eux, avec Picy, qui furent les plus faibles. » Et encore : « Jules Dubly qui est portant un shooteur émérite, ne plaça pas une seule fois le ballon de façon dangereuse. » Il a raté sa chance.

Quatre ans dans un camp de prisonniers à Chemnitz

Pas de chance non plus lors de la Guerre : dès le mois de septembre 1914 Jules Dubly est fait prisonnier à Maubeuge, et il passera quatre années dans un camp de prisonniers à Chemnitz (où il pourra certes jouer au football pour tuer le temps), rapatrié le 11 décembre 1918 seulement, soit un mois après l’Armistice.

En dépit de ses 33 ans ce mordu du football revêt de nouveau le maillot de l’UST, il est même sélectionné dans l’équipe du Nord (dite « Lions des Flandres ») en mai 1919, et, en septembre de la même année, il est salué comme « le meilleur avant » du match Tourcoing-Roubaix (2-2). Sa forme est telle qu’il sera même retenu comme remplaçant pour le match contre la Suisse , en février 1920 à Genève, alors qu’il approche les 34 ans, ce qui est alors exceptionnel. En 1921, il est encore remplaçant pour l’US Tourcoing, lors de la demi-finale de Coupe de France contre l’Olympique de Paris (2-3).

Employé dans une usine de textile, Jules Dubly n’en sera pas moins président de l’US Tourquennoise (qui connaîtra une brève aventure professionnelle dans les années 1930 avant de retourner à l’amateurisme) et conseiller municipal de Tourcoing.

Le seul match de Jean Dubly avec l’équipe de France A

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps Jeu
1 JO 22/10/1908 Londres Danemark 1-17 90

Le seul match de Jules Dubly avec l’équipe de France A

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps Jeu
1 Amical 29/03/1914 Turin Italie 0-2 90

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