Georges Paul Eugène Bayrou, né le 21 décembre 1883 à Sète (à l’époque orthographié Cette, jusqu’en 1926) et décédé le 5 décembre 1953 à Montpellier, a laissé plus de trace en tant que dirigeant du FC Sète qu’en tant qu’international, sa participation se limitant à un seul match, mais pas n’importe lequel, l’ô combien fameux 1-17 que le Danemark passa aux Bleus lors des Jeux olympiques de 1908 !
Créateur de club à 13 ans
Selon la légende, entretenue par son « pays » Emmanuel Gambardella (grand dirigeant fédéral) : « En 1896 il allait quitter Sète pour Paris : dès octobre – il avait 13 ans – il fondait l’Association Sportive Charentonnaise, qui devenait en 1900 le Gallia Club de Paris » ; le Miroir des Sports complète le récit : « Tout d’abord son club se composa d’une douzaine de joueurs, tous des moins de 15 ans, et l’on matchait 6 contre 6. Non loin, les jeunes gens issus d’un patronage jouaient aussi 6 contre 6 : après quelques travaux d’approche, la fusion fut décidée. » Mineur, il ne pouvait pas présider le club, mais dès 1900, lors du changement d’appellation, destiné à fuir les moqueries (l’asile de fous était situé à Charenton, on imagine sans peine les quolibets des adversaires et de leurs supporters…) il en devint le secrétaire général !
Il avait inventé le pressing avant l’heure
D’abord attaquant (on le voit apparaître dans les compte-rendus des journaux dès 1898), il recule ensuite et joue demi-centre, puis finit arrière. C’est un joueur qui « s’accroche à ses adversaires et les écoeure plus qu’il ne les bat », peut-on lire en 1906, un « grand lutteur ». Gambardella, dans son portrait, le décrit ainsi : « je le revois encore, bas sur pattes, trapu, solide, serrant les dents et poussant aux moments difficiles des « han » de porteur d’eau. Il ne s’avouait jamais battu. » Bref, Bayrou avait inventé le pressing avant l’heure !
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La Vie au grand air du 20 avril 1905 (BNF Gallica)
Par contre, il était limité techniquement : Ernest Weber, le grand journaliste du football des années pionnières, ne l’aimait pas comme on peut en juger d’après ces lignes : « En tant que joueur, il produit de prime abord un effet déplorable : débraillé à souhait, aussi souvent par terre, sinon plus, que debout, il paraît le type accompli du toquard. » Mais c’est surtout le prototype du joueur utile, qui se bat de la première à la dernière seconde de jeu, et qu’il vaut mieux avoir avec soi que contre soi…
Il a le verbe haut et est, bien entendu, le capitaine de son club, avec lequel il sera champion de France (version USFSA) en 1905, en réussissant l’exploit de battre le RC Roubaix, triple champion 1902, 1903 et 1904 ! Certes, Weber, toujours lui, n’est pas tendre pour qualifier cette victoire arrachée à la 118ème minute : « Deux heures ! pendant lesquelles nous vîmes 20 hommes courir après le ballon, y donner des coups de pied, et… c’est tout ! ». Le Gallia exposera même son titre face au champion des patronages FGSPF, l’Etoile des Deux-Lacs, et ne sera battu que pat 2 buts à 1 : le Gallia, de par ses origines, était à moitié un patronage et gardait un pied dans chacune des deux fédérations, jusqu’à leur rupture, qui l’obligea à se ranger du côté USFSA fin 1906.
Sélectionné par défaut en 1904
Comment ce joueur médiocre, qui ne valait que par son énergie, se retrouva-t-il sélectionné ? On peine à l’imaginer, et pourtant, dès 1904, Bayrou avait été retenu dans l’équipe choisie pour aller jouer en Belgique le match de l’équipe de France inaugural… à l’aile gauche ! Cela ne pouvait s’expliquer que par les forfaits de tous ceux qui avaient d’abord été sollicités, Delolme (franco-anglais et mineur, il n’avait pas de papiers français…), Crenne, de Levallois, qui ne pouvait se déplacer (n’oublions pas que les joueurs étaient amateurs, et devaient solliciter un congé de leurs employeurs, ou une permission de l’armée s’ils effectuaient leur service militaire, deux ans à l’époque). Bayrou finit lui-même par renoncer, pour une blessure. On finit donc par solliciter un joueur du Nord, ailier gauche spécialisé, lui, Adrien Filez… et cela valut sans doute bien mieux !
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L’Auto du 18 octobre 1906 (BNF Gallica)
Retenu dans la sélection olympique en 1908
Mais Bayrou fut retenu dans le cadre de la sélection de Paris, opposée à celle du Nord, en 1906 et 1907, puis celle de Londres en 1908 ; il n’était donc pas oublié, fut même remplaçant pour France-Suisse 1905. C’est donc finalement assez naturellement qu’il fut retenu en 1908 dans la sélection olympique, puisque celle-ci comportait à l’origine la bagatelle de 44 noms ! Bayrou joua demi-aile (c’était un véritable couteau suisse) contre le Danemark, il était par conséquent chargé de marquer l’ailier gauche danois Rasmussen, qui fut le seul de la ligne d’attaquant danoise… à ne pas marquer un seul but ! Peut-on attribuer ce mérite à la fougue de Bayrou ? On ne le sait pas, et lui-même n’a jamais parlé de ce match humiliant, que tous préféraient oublier, bien évidemment.
Il est temps d’en venir à une bizarrerie, qui laisse plutôt pantois : la fiche militaire de Georges Bayrou précise qu’il fut exempté de service pour… affection cardiaque, détectée lors du conseil de révision en 1904. Quand on sait que Bayrou courait comme un lapin contre tous ses adversaires, et pendant 90 minutes, avec acharnement, toutes les semaines, qu’il a vécu jusqu’ à 70 ans sans se ménager (René Dedieu, entraîneur du FC Sète, disait de lui : « c’était un joyeux vivant, aimant le vin, la table, sortir le soir, bohême »), ni se soucier de sa ligne (il pesa jusqu’à 115 kilos pour 1,65 m) il y a de quoi se poser des questions…
Infirmier pendant la guerre, puis envoyé au front en 1918
Rappelé (quand même…) en 1914, il fut d’abord versé dans les services auxiliaires (infirmier à Perpignan) en raison d’une « arthrite au genou droit », laquelle avait interrompu sa carrière ; puis, la nécessité de trouver des troupes fraîches faisant loi, Bayrou fut envoyé au front en 1918, et même blessé « en service commandé », affection cardiaque ou pas…
En septembre 1909, Bayrou avait quitté Paris, et le Gallia, pour retourner à Sète, gérer l’affaire familiale de courtage de vins et spiritueux, et intégra l’équipe de l’Olympique de Cette, dont il fut intronisé illico capitaine. Il la galvanisa au point qu’elle fut finaliste du championnat de France de l’USFSA en 1914 (précisons qu’il y en avait en parallèle 3 autres, tant le football français était alors divisé), et demi-finaliste en 1911, 1912 et 1913 ! Mais, en raison de l’état de son genou droit, Bayrou jouait de moins en moins.
On peut cependant le trouver dans une équipe du Sud, sélectionnée par l’USFSA qui testait (enfin…) les joueurs des provinces, en février 1910. Pour mémoire , elle était ainsi composée : Thouverez – Ratier, Garnier, Gorse, Bayrou, Struxiano - Bagnol, Artaud, Ribot, Puel, Lassalle, avec des Nîmois, Sètois, Toulousains, Bordelais. En dépit de leur valeur, ils n’avaient aucune chance d’être internationaux, parce qu’il fallait « monter » à Paris, et , compte tenu du temps de voyage en train (pas de TGV à l’époque !) être disponible, sans parler du fait que les sélectionneurs (parisiens , évidemment) ne se déplaçaient pas pour superviser les provinciaux, nordistes exceptés ! Son dernier match, Bayrou le disputa en mars 1914, contre le SBUC, en quart de finale du championnat de France USFSA (et le gagna, 2-1).
Il faillit devenir sélectionneur unique en 1934
Bayrou a certainement indirectement contribué en tant que dirigeant à changer les choses après 1920, d’une part parce qu’il fut membre du bureau fédéral dès 1922, et faillit même devenir sélectionneur unique (en 1934, la FFFA l’avait sollicité dans ce sens, il avait d’abord accepté avant de reculer devant l’obstruction du triumvirat alors en poste, Barreau-Delanghe-Rigal), mais aussi parce que « son » FC Cette/Sète brilla de mille feux en Coupe de France, alors la seule compétition nationale.
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L’Auto du 7 mai 1934 (BNF Gallica)
Avec lui, le FC Sète gagne deux Coupes de France et deux championnats
La Coupe de France a en effet « déparisianisé » le football français, et le FC Sète aujourd’hui club très modeste de National, a joué sous la direction de Bayrou un rôle majeur. Il fut 4 fois finaliste de la Coupe, en 1923 (face au Red Star) 1924 (OM) 1929 (Montpellier) et 1942 (Red Star encore), et deux fois vainqueur : en 1930 (face au Racing) et 1934 (OM).
Par ailleurs, Bayrou a bataillé au début des années 1930 pour la création d’un championnat de France professionnel, que le FC Sète a remporté en 1934 (réalisant ainsi le doublé Coupe-Championnat) et 1939. Selon son entraîneur Dedieu, « Il (Bayrou) fit les grandes équipes du FC Sète de 1920 à 1940 : lui seul et personne d’autre. » Bayrou s’occupait notamment de recruter des joueurs internationaux à l’étranger, comme le Suisse Kramer, le Yougoslave Beck, le Hongrois Koranyi…
Un tribun qui fuyait les tribunes
Il était aussi réputé (et craint) pour les « ruades, les bons mots » et la puissance verbale qui en firent un « tribun sétois » apte à gagner bien des batailles sur le tapis vert, au Bureau Fédéral, selon la formule d’Yves Dupont, qui fut un temps capitaine du club et rédigea un livre dédié au FC Sète. Hyperanxieux et un brin superstitieux, Bayrou n’osait pas regarder les matchs de son club dans les tribunes : il attendait à l’extérieur et vivait le match d’après les clameurs du public !
Le sort voulut qu’il soit nommé président du Groupement des Clubs Autorisés (la Ligue actuelle) en septembre 1953, pour succéder à son ami Emmanuel Gambardella, mort fin août, mais qu’il le rejoigne bientôt, décédant à son tour début décembre : cela lui épargna la peine de voir son cher FC Sète, en difficulté financière, renoncer au professionnalisme à peine un an après sa mort en 1955.