Bilan 2022 de l’équipe de France (2/6) : le sélectionneur

Publié le 3 janvier 2023 - Bruno Colombari

S’il n’a pas réussi le doublé historique qu’il visait, Didier Deschamps a tout de même emmené une équipe de France amoindrie par les forfaits jusqu’en finale de Coupe du monde. Pour lui, l’histoire continue.

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Comment préparer une année de Coupe du monde quand celle-ci commence en novembre, qu’elle ne compte aucun match de préparation et qu’il y a au milieu six rencontres qualificatives pour la Ligue des Nations de l’année suivante ? Décidément, il est compliqué de gérer une équipe nationale depuis 2020, avec des calendriers ressemblant à des œuvres cubistes.

Sur les quinze matchs (potentiels) de l’année, Didier Deschamps devait donc gérer deux amicaux en mars, puis six matchs de compétition dont quatre en juin, et enfin sept rencontres de Coupe du monde en fin d’année civile. Initialement, les Bleus auraient dû commencer 2022 par un mini-tournoi amical fin mars au Qatar, un peu dans l’esprit de ceux joués au Maroc en 1998 et 2000 et juste avant le tirage au sort des groupes de la Coupe du monde. Mais ça ne s’est pas fait, la FFF n’ayant pas trouvé d’accord avec son homologue qatarien et à la place, deux amicaux ont été organisés en France contre des sélections africaines.

En mars, Giroud rappelé, Nkunku, Clauss et Saliba débutent

« On a un peu plus de temps, on aura deux rassemblements derrière celui-là, ça nous laissera plus de temps pour se préparer, parce qu’on n’en aura pas du tout avant la compétition », explique le sélectionneur au début de la semaine internationale de mars. Le ton est donné : priorité absolue à la Coupe du monde, tout ce qui précède relève de la préparation, Ligue des Nations comprise.

Pour le sélectionneur, c’est donc l’occasion de tester de nouveaux joueurs, à savoir Christopher Nkunku, Jonathan Clauss et William Saliba, mais aussi de rappeler Olivier Giroud en l’absence de Karim Benzema. Kanté également forfait, les Bleus évoluent en 3-4-3 avec Théo Hernandez et Kingsley Coman en pistons autour du duo Tchouaméni-Pogba, Giroud et Nkunku étant associés en pointe devant Griezmann. Le résultat n’est pas à la hauteur, les Ivoiriens étant très entreprenants et mettant la défense française en difficulté.

Cinq jours plus tard à Lille, le dispositif est le même mais la revue d’effectifs très large, puisque seuls Varane, Griezmann et Giroud débutent à nouveau. L’opposition est beaucoup plus faible et la connexion Griezmann-Mbappé-Giroud fonctionne plutôt bien, le premier offrant deux passes décisives et les deux autres marquant trois des cinq buts.

En juin, le décès du père change tout

Quand arrive le mois de juin, « l’objectif est de gagner ces quatre matchs-là et en septembre de finir premier du groupe. Mais c’est aussi des matchs de préparation dans l’objectif de la Coupe du monde au Qatar, bien évidemment. Quatre matchs dans un rassemblement, ce n’est jamais arrivé, il y aura du temps de jeu pour tout le monde. » Mais un drame familial, le décès du père de Didier Deschamps, va tout bouleverser. Le sélectionneur quitte le rassemblement le 31 mai et ne reviendra qu’au lendemain de France-Danemark, que Guy Stéphan gère depuis le banc de touche. Et pour la première fois depuis trois ans, les Bleus s’inclinent en compétition (1-2). Rien de grave, mais la dynamique lancée fin 2020 (20 matchs consécutifs sans défaite) est cassée.

Les rotations importantes mises en place lors des trois matchs suivants, couplées à une fatigue évidente de la plupart des cadres au terme d’une saison post-covid particulièrement éprouvante, n’aboutissent qu’à deux faibles matchs nuls en Croatie puis en Autriche, avec retour à une défense à quatre qui stabilisent à peu près la défense mais ne permettent pas de l’emporter. Contre la Croatie pour le dernier match de la saison, Deschamps se passe de Griezmann et aligne un milieu à trois expérimental (Kamara-Guendouzi-Rabiot) qui est facilement contenu par l’entrejeu croate. Le pénalty très précoce de Modric suffit alors que devant, Mbappé et Benzema, alignés ensemble pour la dernière fois, ne trouvent pas de solution. Pour la première fois depuis 27 matchs, les Bleus finissent un match sans marquer (0-1). En août, dans un entretien pour L’Equipe, Didier Deschamps revient sur cet épisode : « Le décès de mon papa a été violent pour moi, et soudain. Parfois, on peut être préparés, mais là on ne l’était pas du tout. Au stage, ce n’était pas moi : j’étais là, physiquement, et j’ai fait en fonction de ce que j’avais à donner, mais sans avoir ma force ni mon énergie habituelles. »

En septembre, une préparation impossible

Arrive septembre, dernier rassemblement avant la Coupe du monde. La Ligue des Nations est déjà perdue, mais il reste un (petit) challenge : accrocher la troisième place pour ne pas descendre en Ligue B. Et, bien sûr, peaufiner les derniers réglages avant le Qatar. Mais les tuiles pleuvent sur les Bleus, avec les forfaits de Upamecano, Kanté, Tolisso, Pogba, Benzema, Rabiot, Kamara, Coman, Lloris, Lucas et Théo Hernandez. D’où l’appel en dernière minute des Monégasques Benoît Badiashile et Youssouf Fofana, ainsi que de l’attaquant de Francfort Randal Kolo Muani. Olivier Giroud fait encore son retour, de même que le madrilène Ferland Mendy.

Autant dire que le principe de la préparation en prend un sérieux coup, ou alors on parle plutôt de préparation à l’Euro 2024 tant le rajeunissement est violent : au milieu de terrain, il n’y a plus le moindre champion du monde. Les résultats sont encore une fois décevants, avec du mieux face à l’Autriche, vite effacé par une nouvelle défaite, la troisième en six matchs, contre le Danemark. Nouveau revirement tactique, puisque le sélectionneur a tenté de rétablir le 3-4-3 avec une attaque très 2018 (Griezmann derrière Mbappé et Giroud), mais devant l’échec évident, il décide de construire sa liste pour la Coupe du monde par rapport à un 4-3-3 beaucoup plus rassurant, ce qui coûte sa place à Jonathan Clauss.

Bricoler jusqu’au tout dernier moment, et même après

Mais la poisse continue à s’abattre sur les Bleus : les forfaits de Kanté et Pogba, deux éléments clé du titre de 2018, sont actés avant la liste, tout comme celui de Maignan, puis arrivent ceux de Kimpembe, de Nkunku et, cerise sur le gâteau, de Benzema. Puis de Lucas Hernandez huit minutes après le coup d’envoi de France-Australie. On se dit alors que c’est beaucoup, que c’est trop, et que l’équipe de France ne s’en remettra pas. « J’en ai pris 25 parce qu’ils amènent suffisamment de sécurité. Evidemment, il y a des joueurs absents importants, j’aurais préféré les avoir avec nous. Mais j’ai confiance dans ce groupe-là », explique le sélectionneur le soir de l’annonce de la liste, le 9 novembre. Il est sans doute le seul à ce moment-là.

C’est pourtant au milieu qu’il trouvera la solution (presque) gagnante. Pour compléter le duo Tchouaméni-Rabiot, il fait descendre Griezmann en récupérateur derrière trois attaquants occupant toute la largeur. Mais la blessure de Lucas Hernandez et la mise à l’écart de Benjamin Pavard l’a privé de ses deux latéraux les plus expérimentés, entraînant un bricolage peu satisfaisant : Jules Koundé à droite et Théo Hernandez à gauche, aucun n’occupant ce poste en club.

Malgré un banc plutôt inquiétant, surtout au vu de la prestation des remplaçants contre la Tunisie le 30 novembre, Deschamps parvient toutefois à trouver une équipe-type avec six champions du monde (Lloris, Varane, Griezmann, Giroud, Mbappé et Dembélé) et à l’emmener en finale. Toujours avec aussi peu de possession (43% contre l’Angleterre, 39% face au Maroc, 46% devant l’Argentine), l’équipe de France a posé des problèmes à tous ses adversaires, hormis sans doute la Tunisie, et a bien failli réussir un doublé historique.

« On frôle quelque chose qu’on aurait pu toucher »

Quelques minutes après la finale, il tenait des propos plutôt fatalistes : « Dans l’analyse du match, il y a ces 60 grosses premières minutes ou il n’y a pas eu de match face à un adversaire agressif, on était moins bien pour différentes raisons. On est revenu de nulle part, en renversant une situation très compromise, cela donne encore plus de regret. Le scénario après, c’est le foot… Il y a eu beaucoup d’émotion, mais c’est cruel à la fin. On frôle quelque chose qu’on aurait pu toucher, mais ce n’est pas le cas. »

Si on regarde le verre à moitié plein, le contrat de Deschamps est largement rempli, surtout compte tenu du contexte très défavorable. Le verre à moitié vide pointe plutôt un tableau très favorable (à part sans doute l’Angleterre), une finale très mal négociée jusqu’à dix minutes de la fin et, encore une fois, une élimination après prolongations alors que la séance de tirs au but n’avait pas été préparée.

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