Bien sûr, il est toujours tentant d’écrire l’histoire quand on en connaît la fin en mettant en évidence tout ce qui peut expliquer cette dernière, aussi surprenante soit-elle. Quand Baptiste Desprez avait commencé le manuscrit de ce livre, il n’en connaissait pas l’issue, et cette histoire secrète d’un rendez-vous raté aurait aussi bien pu s’intituler l’histoire secrète d’un doublé annoncé. Il aurait peut-être suffit pour cela que le tir de Kingsley Coman dans le temps additionnel du match contre la Suisse ricoche sous la barre de Sommer plutôt que dessus, comme quoi, ainsi que me le disait le préparateur physique Grégory Dupont en 2019, « Un match de foot, c’est une accumulation de détails ».
Il faut croire qu’en 2021, ces détails-là n’étaient pas de ceux qui font gagner les matchs, hormis le but de Mats Hummels contre son camp face à l’Allemagne le 15 juin. Baptiste Desprez déroule donc, en 62 chapitres courts sous la forme d’un journal, la lente désagrégation d’un groupe bardé de confiance et de certitudes à son retour de Russie, et qui n’en avait plus guère en juin dernier, accroché par la Hongrie, puis le Portugal, et enfin la Suisse, avant de se perdre dans une séance de tirs au but mal négociée.
Desprez rappelle à raison que cet Euro atypique (joué dans onze pays différents mais quasiment à domicile pour l’Angleterre, avec des jauges très variables d’une ville à l’autre) a été remporté par une équipe qui était l’antithèse des Bleus de Deschamps. Les Italiens, qui avaient suivi la dernière Coupe du monde à la télévision (un vrai drame national), l’ont emporté « avec des ingrédients connus de tous : le goût de l’effort collectif, le sens du sacrifice, le don de soi et l’intime conviction que proposer un jeu séduisant [...] peut vous faire gravir des montagnes. » Et ce, sans star planétaire, là où l’équipe de France s’avançait avec un trio offensif Griezmann-Benzema-Mbappé « que le monde entier nous enviait », pour citer le titre bien présomptueux de L’Equipe en mai dernier.
Ce qui ressort du livre de Desprez, c’est l’érosion de la position du sélectionneur. Sûr de lui, ferme dans ses convictions et avec l’assurance de quelqu’un qui vient d’être champion du monde pour la deuxième fois à vingt ans d’intervalle, Didier Deschamps a semblé plus flottant dans ses choix lors de la saison dernière, avec de nombreuses expérimentations tactiques à l’automne 2020 et le rappel surprise — et à contre-temps — de Karim Benzema le 18 mai.
Difficile de dire si c’est à ce moment-là que les Bleus ont perdu toute chance de remporter un Euro dont ils devenaient les grandissimes favoris, mais quelque chose s’est fissuré dans le groupe, un équilibre s’est rompu et n’a jamais été retrouvé depuis. Les témoignages que Desprez a recueillis (sous couvert d’anonymat) convergent sur le fait que le sélectionneur, loin d’être sûr de lui et clair dans ses idées, avait subi et improvisé en permanence. « Quand tu commences à écouter tes joueurs, ce n’est jamais bon car ils n’ont pas le recul nécessaire pour appréhender la situation. [...] Je ne comprends pas d’ailleurs que les membres de son staff n’aient pas fait plus contrepoids face à ces tâtonnements répétés. »
Déstabilisation du groupe et de l’équilibre de l’équipe par le retour de Benzema, manque de fraîcheur physique de Griezmann et Mbappé, bloc défensif fissuré avec Lloris et Varane loins de leur meilleur niveau, voilà les raisons du fiasco pointées par Desprez. Qui s’interroge sur la capacité de rebond des Bleus dans la perspective de la Coupe du monde 2022 qui prend des allures de revanche. De ce point de vue, les matchs de septembre (le livre est sorti avant) n’ont pas levé les doutes, même si la qualification de l’équipe de France est quasiment actée. Les deux matchs de Ligue des Nations dans les prochains jours, contre des adversaires de haut niveau (Belgique puis Italie ou Espagne) apporteront des éléments de réponse.