Le résultat était-il prévisible ?
Au matin de la finale 2018, deux scénarios semblaient émerger parmi d’autres plus ou moins plausibles : une défaite des Bleus à la portugaise, sur un unique but en prolongations qui semble être la marque de fabrique des finales contemporaines, ou un effondrement croate sur une poussée française comme face à l’Argentine.
On a presque eu ces deux scénarios pour le prix d’un. La première mi-temps, disons-le franchement, est un hold-up, avec une domination très nette des Croates, bien plus forte que celle des Belges mardi, car les coéquipiers de Modric se retrouvaient régulièrement aux abords de la surface française, quand ce n’était pas à l’intérieur. De leur côté, les Bleus ont eu un maximum de réussite sur deux coups de pied arrêtés.
Il aurait d’ailleurs été triste que la Coupe du monde se joue uniquement là-dessus, sur un but contre son camp (le premier en 21 finales) ou sur l’invraisemblable erreur de Lloris. Heureusement que les buts de Perisic, Pogba et Mbappé, sur des frappes à 16 mètres, ont rééquilibré la balance et décidé de l’issue du match.
C’est en tout cas la preuve qu’une finale est rarement prévisible, et rarement maîtrisée côté français, si l’on excepte celle de 1998 face à des Brésiliens en perdition derrière et avec un Ronaldo diminué devant.
L’équipe est-elle en progrès ?
Par rapport à ses deux dernières sorties contre l’Uruguay et la Belgique, non. On a pu voir les limites flagrantes de la tactique ceinture et bretelles : face à une équipe du niveau technique de la Croatie, et avec un milieu hors du coup, c’est suicidaire. C’est en première mi-temps que la Croatie a certainement perdu la finale, alors qu’elle contrôlait le jeu et se créait les principales occasions.
Comme contre la Belgique, les Bleus allaient mieux quand ils avaient le ballon, en deuxième mi-temps : normal, avec des joueurs de la qualité technique de Pogba, Mbappé ou Griezmann. C’est bien quand ils harcèlent et défendent, c’est mieux quand ils ont le ballon dans les pieds et qu’ils construisent.
Cette finale gagnée sans la maîtrise est sans doute une bonne nouvelle : maintenant que le titre est acquis, il va falloir le défendre et en conquérir d’autres. Pour ça, il serait souhaitable de voir une équipe plus ambitieuse dans le jeu.
Quels sont les joueurs en vue ?
Antoine Griezmann a été l’un des meilleurs Bleus à Moscou. Il est impliqué dans trois des quatre buts français : il tire le coup franc dévié par Mandzukic, il transforme le pénalty avec sang-froid et sert Pogba pour le 3-1. Il aurait même pu en marquer un autre à la 61e quand il a été servi par Giroud dans la surface.
Paul Pogba a alterné le bon et le moins bon, mais son but décisif du 3-1 a fait basculer la finale : à cette distance, environ 18 mètres, sa frappe de balle est redoutable. Il a été un des meilleurs atouts offensifs français en deuxième mi-temps, et notamment dans le temps additionnel où il est impliqué dans les deux dernières occasions des Bleus : sur une passe millimétrée de Mbappé, il rate le ballon du 5-2 au point de pénalty.
Kylian Mbappé n’a pas pu faire grand chose en première mi-temps, malgré deux accélérations à la 17e et à la 23e, mais il a eu plus d’espace après la pause. Il a failli aller au bout à la 52e mais Vida l’a accroché à la limite de la régularité. Sa frappe soudaine à la 65e permet aux Bleus de faire le break, et lui de marquer en finale de Coupe du monde à 19 ans et 6 mois (!). Il était aussi impliqué sur le but de Pogba.
Alors que Varane avait brillé depuis le début du Mondial, c’est Samuel Umtiti qui a fini très fort contre la Belgique, où il a marqué le seul but du match, et en finale où il a rattrapé les largesses de Benjamin Pavard et les erreurs de N’Golo Kanté. Peut-être le meilleur Bleu à Moscou.
Quels sont les joueurs en retrait ?
Quand Kanté va, tout va. Quand il est dans un jour sans, probablement rincé par un tournoi épuisant, tout devient plus compliqué. Et quand à côté de lui Matuidi cale aussi, l’édifice tremble. La rentrée de Nzonzi a fait beaucoup de bien, à la minute même (55e) où Alou Diarra avait remplacé Patrick Vieira il y a douze ans à Berlin.
Il était temps que ça se termine pour Benjamin Pavard : en difficultés devant Eden Hazard mardi, il a été mis au supplice par Ivan Perisic, tant que Mbappé n’est pas revenu l’aider.
Hugo Lloris a mal choisi son jour pour faire sa bourde annuelle : même si elle n’a eu au final aucune conséquence grave, elle s’est déroulée en finale de la Coupe du monde devant quelque chose comme un milliard de télespectateurs, et il devra vivre avec. Tenter un crochet sur un attaquant quand on ne s’appelle pas Fabien Barthez est un peu téméraire.
Enfin, Olivier Giroud espérait marquer à l’occasion de la finale : il n’a jamais été en mesure de le faire. Dommage que son interception en première mi-temps ait été arrêtée pour une faute de main qui n’existait pas.
Quelles sont les attentes pour le prochain match ?
Il serait douteux que l’équipe de France doublement étoilée accorde beaucoup d’importance à la Ligue des Nations, dont la mini-phase qualificative à trois commence le 6 septembre, soit dans 52 jours. Même si en face il y aura l’Allemagne qui se fera une joie de tenter de se racheter de son énorme échec en Russie.
Peu importe si les Bleus ne finissent pas premier de leur poule (qui compte aussi les Pays-Bas) et ne disputent pas le tournoi final à quatre en juin 2019. L’essentiel, désormais, est de gérer ce nouveau statut de champion du monde, et on se souvient qu’après 1998 la descente avait été brutale : après une défaite à domicile contre la Russie en juin 1999 suivie quatre jours plus tard d’un minuscule 1-0 contre Andorre, les Bleus avaient bien failli coincer en phase qualificative de l’Euro.
Gagner sa place pour l’Euro 2020, dont les demi-finales et la finale se joueront à Wembley, autant dire la porte à côté, sera la priorité des 18 mois à venir. Une autre serait de faire évoluer l’équipe pour la rendre plus forte dans la construction du jeu, comme l’avait fait Roger Lemerre en 2000, même si ce dernier pouvait s’appuyer sur une défense autrement plus expérimentée que celle d’aujourd’hui, dont la moyenne d’âge est inférieure à 24 ans.
Le nombre de joueurs arrêtant leur carrière internationale après la Coupe du monde (Rami l’a déjà annoncé, il pourraît être rejoint bientôt par Koscielny, Giroud et Mandanda, voire Matuidi) est une autre inconnue, même si Deschamps dispose d’un réservoir de joueurs particulièrement riche : Dembélé, Tolisso, Fekir, Kimpembe et Lemar ont été très peu utilisés, Aréola pas du tout, et il n’est pas dit que Sidibé et Mendy ne reviendront pas. Cette équipe-là est en début de cycle. Pour l’essentiel, elle a de (très) belles années devant elle.