Les premiers Bleus : Charles et Georges Geronimi

Publié le 10 mai 2024 - Pierre Cazal

C’est l’une des fratries de l’équipe de France, mais Charles et Georges Geronimi n’ont pas joué ensemble lors de leur unique sélection. Le premier est mort à 23 ans, le deuxième a vécu centenaire.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
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Les fratries ont été nombreuses, chez les premiers Bleus : les Bilot, Denis, Dubly, Renaux, Romano, et enfin les Geronimi. Point commun avec André et Charles Renaux, les frères Geronimi, Georges et Charles, n’ont connu chacun qu’une seule et unique sélection, se soldant par une défaite, contre la Suisse pour l’aîné (2-5) et contre le Luxembourg (4-5) pour le cadet : ce qui n’en fait pas des foudres de guerre !

Georges Geronimi, le premier centenaire des Bleus

La particularité de Georges Geronimi, c’est qu’il a vécu centenaire, il fut le premier centenaire des Bleus, et décéda à plus de 101 ans ; ce qui lui conféra une notoriété tardive autant qu’inattendue par lui. Tout un reportage lui fut consacré dans France-Football en 1993, et, en ce qui me concerne, j’avais pu avoir un entretien avec lui dès 1991, au cours duquel il avait évoqué son unique match, non pas en bleu, mais sous les couleurs du CFI (maillot blanc rayé verticalement de bleu, parements rouges), et dont il se souvenait clairement, 80 ans après !

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L’équipe de France avant son match contre le Luxembourg en février 1914. Charles Geronimi est le huitième en partant de la gauche.

Charles Geronimi eut un destin opposé : il mourut pour la France, deux jours à peine avant l’Armistice, férocité du sort…

Tous deux étaient nés à Villepreux (non loin de Versailles), Georges le 16 juin 1892 et Charles le 8 février 1895, d’un père d’origine corse, militaire devenu directeur d’un orphelinat. Corses, et non Italiens, comme s’obstinent à le vouloir certains sites désireux de les présenter comme les premiers descendants d’immigrés parmi les Bleus.

Tous deux ont pratiqué les sports dits de plein air dans le modeste patronage de l’abbé Marchand (voir l’article consacré à Jean Rigal, qui fut leur partenaire), l’Association Fraternelle de la Garenne-Colombes (AFGC), dès 1907 pour l’un, 1910 pour l’autre, et, fidèles à l’esprit intégralement amateur qui régnait dans les « patros », n’ont connu que ce seul club, indifférents à la notion de palmarès, car l’AFGC ne pouvait prétendre à gagner un quelconque championnat. Les Geronimi n’y pratiquaient le football que pour le seul plaisir, et quel que soit le résultat des matchs. Georges Geronimi fut même longtemps le trésorier du club, jusqu’en 1939. Il était comptable dans une entreprise commercialisant des textiles.

Au moment où Georges Geronimi devient international, en 1911, le rôle des patronages, au sein du CFI, s’est beaucoup amoindri. Ils étaient à l’origine de sa création, en réaction contre l’ostracisme de l’USFSA, qui rejetait au nom de la laïcité tout contact avec des clubs confessionnels, et, au lendemain de la démission que cette fédération jeta à la figure de la FIFA de façon inconsidérée, ils assumèrent la lourde tâche de représenter la France sur le plan international, avec le seul renfort de la petite FCAF.

Les joueurs des patronages écartés de la sélection

Mais, en 1910, le CFI reçut le renfort soudain de clubs dissidents de l’USFSA, et le résultat en fut que les joueurs desdits clubs s’imposèrent en équipe de France, au point d’en chasser presque la totalité des éléments issus des patronages et de la FCAF. En 1911, il n’en resta plus, soudainement, que deux ou trois, quatre au maximum, contre la Suisse, justement, en avril. Il s’agissait de Jean Rigal, coéquipier à l’AFGC de Georges Geronimi, et des deux autres éléments formant la ligne intermédiaire, le « crack » Jean Ducret (supérieur à tous les éléments issus de la LFA, lui, et de ses clubs phares, le Red Star et le CAP, ou le FEC Levallois), et le vitryot Henri Vascout.

Ce nombre n’allait que baisser jusqu’en 1914 : en janvier, pour affronter la Belgique, il n’en restait pas un seul, car Ducret avait cédé aux sirènes des clubs rémunérateurs, en l’occurrence l’Olympique Lillois. Mais pour jouer contre le Luxembourg, à Luxembourg, deux joueurs des patronages furent rappelés d’urgence, Maurice Olivier de l’Etoile des Deux Lacs et Charles Geronimi, de l’AFGC.

Ce furent les deux derniers : la défaite humiliante (le Luxembourg était déjà dévalorisé aux yeux des Français, pourtant pas bien forts…) leur retomba (injustement) dessus : on n’en revit aucun pour les trois derniers matchs à jouer avant la Guerre. Le CFI n’était même pas reconnaissant envers ses éléments fondateurs : l’intérêt, déjà, primait, la victoire avant tout !

Les frères Geronimi n’avaient pas la cote

Avaient-ils la classe internationale ? Non, et ce sont leurs coéquipiers qui ne se gênent pas pour le dire ! Après la défaite contre la Suisse, Louis Mesnier, capitaine, dit que « plusieurs de ses coéquipiers se sont montrés très insuffisants et qu’on devrait procéder à leur remplacement » ; il ne désigne pas nommément Georges Geronimi, mais, étant donné qu’il suggère de rappeler l’ailier droit Pol Morel, « qui ne fait jamais de mauvaises exhibitions », on devine qui est visé ! Et quant à Charles, c’est plus direct encore ; Emilien Devic (qui jouait demi-droit) se permet d’affirmer que « Geronimi n’a pas la classe », alors qu’il jouait inter gauche…

Pourtant, le cadet des Geronimi a marqué un but, le troisième pour l’équipe de France, le jour même de ses 19 ans, qui donnait l’avantage aux Français juste avant la pause, et il ne saurait être accusé des trois buts que la défense, composée de néophytes (Robert Loubière, René Bonnet, Jean Degouve) a ensuite concédés ! De plus, le terrain de Luxembourg était détrempé, réduit à l’état d’une flaque de boue, et l’on sait que l’équipe la plus technique voit cet avantage annulé dans ce genre de cas ; l’arbitre avait sifflé pas moins de trois pénalties, le moindre choc produisait des glissades et des chutes. Mais la défaite (4-5) avait fait grand bruit, peu importaient les circonstances, et il fallait bien que certains (les quatre néophytes) paient les pots cassés, même si c’était par d’autres, et plus précisément le comité de sélection, qui avait bricolé l’équipe.

  • L’Auto du 9 février 1914 (BNF, Gallica)

Les confidences de Georges, 80 ans après

Revenons plus en détail sur le match de 1911 contre la Suisse, puisque Georges Geronimi en avait parlé, tant à moi qu’à France-Football. Il insistait sur deux choses : d’abord, l’accueil des Suisses, pour lui inoubliable. Et on en a confirmation quand on découvre le programme, dans L’Auto : réception à l’Hôtel de Ville, suivie d’un concert-apéro au siège du Servette de Genève ; punch à l’issue du match, puis banquet, et enfin spectacle au Kursaal de Genève ! La convivialité l’emportait sur l’affrontement, au début du siècle, et la sportivité prenait tout son sens alors… du moins sur le plan international, car il en allait tout autrement au plan national.

En effet, Geronimi m’avait confié qu’il avait été pour ainsi dire boycotté par les joueurs de la Ligue, à savoir Mesnier, Eugène Maës, Ernest Gravier et Marcel Triboulet, qui constituaient le reste de la ligne d’attaque et jouaient entre eux sans jamais lui passer la balle. Les rares balles qu’il avait eues, il les avait dues à son coéquipier de club Jean Rigal, qui jouait derrière lui, à droite, dans la ligne de demis, et il n’avait guère eu l’occasion de se mettre en valeur.

On voit que le jugement de Mesnier était biaisé et celui de Devic également, pour les mêmes raisons), car Morel était affilié, lui, à la… LFA ! Râblé (1,67 m, 70 kg), Georges Geronimi était un ailier droit de type fonceur, peu technique, mais accrocheur. Son témoignage nous apprend à quel point les rivalités étaient fortes dans le football français de l’époque, les joueurs des clubs issus de l’USFSA (comme ceux de la LFA) le prenant de haut avec ceux des Patronages, jugé plus frustes, et cherchant même ouvertement leur éviction, comme on l’a vu plus haut, qu’ils ont fini par obtenir.

« Quoique tous parisiens ou banlieusards, on n’avait pas l’habitude de jouer ensemble, on n’avait même pas eu d’entraînement en commun » : l’improvisation était totale, et à la question qui lui était posée, dans France-Football : « était-il question de tactique, de consignes ? », Georges Geronimi avait répondu : « Pas vraiment », ce qui voulait dire pas du tout. Le capitaine (en l’occurrence Mesnier) était le patron sur le terrain, et, s’il a choisi délibérément d’ignorer son ailier droit, personne ne pouvait, ou ne voulait, corriger ce choix.

On peut donc dire que les frères Geronimi, à trois ans de distance, ont eu la même expérience, celle d’être considérés comme des intrus. Ils retournèrent à l’AFGC, qui avant 1914 évoluait dans sa bulle, le petit championnat des patronages, et ne rencontrait jamais les clubs des autres fédérations pourtant affiliées au même CFI. La seule occasion de rencontre interfédérale était le Trophée de France, mais il ne mettait aux prises que les champions des quatre fédérations, or l’AFGC n’a jamais gagné le championnat de la FGSPF. L’équipe de France constituait donc la seule autre opportunité de rencontre, entre joueurs issus de fédérations rivales, mais le courant passait difficilement…

  • Sporting du 8 novembre 1916 (BNF, Gallica)

Charles, pilote de combat, est tué deux jours avant l’armistice

Les frères Geronimi ont vu leur destin, jusqu’alors étroitement lié, diverger lors de la Guerre de 14-18. Georges a été blessé et fait prisonnier à Ethé en août 1914 : il a passé tout le temps de la Guerre dans des camps allemands, d’où la photo parue sur Sporting en 1916, qui le montre avec deux autres internationaux, prisonniers dans le même camp que lui, Gravier et Poullain ; il ne fut rapatrié qu’en janvier 1919. Son frère Charles devint pilote de combat et il est mort le 9 novembre 1918 (soit deux jours avant l’Armistice…) dans un hôpital à Souilly. Sa fiche militaire dit qu’il appartenait à la 501ème division de chars, alors que Sporting rapporte qu’il fut abattu lors d’un duel aérien, sans qu’il soit possible de trancher, bien que la seconde hypothèse paraisse plus vraisemblable.

Georges Geronimi est mort, lui, à 101 ans et 8 mois (le 6 mars 1994 à Courbevoie), ce qui n’en fait pas le doyen absolu des Bleus, qui est Max Lehmann (102 ans et 4 mois, en avril 2009), et encore moins le doyen mondial. Lequel est le Croate Ivan Pavelic, mort à plus de 103 ans en 2011 (il avait joué contre l’équipe de France en 1929, dans les rangs de la Yougoslavie).

Le seul match de Georges Geronimi avec l’équipe de France

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps Jeu
1 Amical 23/04/1911 Genève Suisse 2-5 90

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Le seul match de Charles Geronimi avec l’équipe de France

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNote
1 Amical 08/02/1914 Luxembourg Luxembourg 4-5 90 un but (41e)

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