Histoire d’un but : Emil Kostadinov, 17 novembre 1993

Publié le 17 novembre 2023 - Matthieu Delahais

Un mois après avoir perdu contre Israël, les Bleus accueillent la Bulgarie avec pour obligation de ne pas perdre pour se qualifier à la Coupe du monde 1994. A la 90e minute, au terme d’une contre-attaque éclair Emil Kostadinov marque le but de la victoire et envoie la France en enfer.

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Ce 17 novembre 1993, dans un Parc des Princes plein, ce France-Bulgarie décisif avait plutôt bien commencé puisque l’équipe de France avait ouvert le score par Eric Cantona à la demi-heure de jeu, mais Emil Kostadinov a remis les Bulgares dans le match cinq minutes plus tard. Les Français vont alors jouer avec la peur au ventre. L’ambiance au sein du groupe, minée par les rivalités entre Marseillais et Parisiens, ne va pas aider à solidariser une équipe alors sous tension.

Djorkaeff : il manquait cette alchimie

Le portier Bernard Lama explique qu’« il y avait de grandes rivalités, notamment entre Marseillais et Parisiens. On ne formait pas un véritable groupe car il n’y avait pas de camaraderie. On n’était pas sur la même longueur d’ondes et rien n’était dirigé. » [Bertrand Métayer, Vingt-trois ans après, Lama n’a rien oublié, leparisien.fr, le 5 octobre 2016 ]]. Youri Djorkaeff, qui évolue à Monaco et débute sa carrière en Bleu sent également cette tension. « En 1993, je suis content d’aller en équipe de France, mais on sent qu’il y a une grosse rivalité entre Marseillais et Parisiens. Moi j’étais à Monaco, avec Manu (Petit), on était neutres. Pour ma première sélection, on doit affronter Israël et la Bulgarie. On ne va pas refaire l’histoire, il nous fallait un point pour nous qualifier... Quand je rentre dans le groupe, je vois qu’il y a un malaise et que ça se passe mal. Il n’y a pas d’osmose. Et quand il n’y a pas d’osmose, tu ne peux pas gagner ces matchs dans les moments difficiles ou renverser des situations. Il y avait de supers joueurs, avec Ginola, Cantona et Papin devant, mais il manquait cette alchimie qu’on a créée ensuite en 1996 pour arriver au summum en 1998. » [1]


 

Vincent Guérin : « après, je fais un sprint de 70 mètres sur le retour »

Lorsque la 90e minute approche, la France obtient un coup franc dans la moitié de terrain bulgare et c’est Vincent Guérin, tout juste entré en jeu, qui le joue. « C’est moi qui ai donné le ballon à David (Ginola). Personne ne voulait aller au ballon, j’ai joué le coup franc en mettant le frein à main, à deux à l’heure, pour gagner du temps, quitte à prendre un carton jaune, je m’y attendais d’ailleurs mais ça n’a pas été le cas. La seule option à ma disposition, c’est David qui me demande le ballon. Il a la tête dans le gazon, avec l’idée de provoquer et de donner le ballon à Cantona pour marquer. Après, je fais un sprint de 70 mètres sur le retour. » [2]

Dans le même temps, Aimé Jacquet, alors adjoint du sélectionneur Gérard Houllier, tente de se rapprocher du terrain pour dire aux joueurs de faire tourner le ballon. Mais le cordon de sécurité qui se met en place à l’approche du terme de la rencontre l’empêche de s’approcher de la pelouse. Quand il arrive à le franchir, les Bulgares ont déjà amorcé leur contre-attaque.

David Ginola : « il y avait une sorte de destinée »

Car entre temps, David Ginola a tenté de déborder la défense adverse et de centrer pour Eric Cantona. Mais sa passe est trop longue. L’attaquant, qui joue devant son public, reconnait une certaine euphorie sur le moment et un manque de lucidité : « Le public scande mon nom, on est au Parc des Princes, je suis à domicile et, si ça avait été dans un autre stade, ça se serait passé d’une manière différente. Je rentre, je suis en pleine bourre en championnat et à l’entraînement ».

Il ne sent pourtant pas seul responsable de l’échec puisque quatre de ses partenaires se font ensuite passer par les Bulgares : « OK, ce centre est trop long, comme il y en a des milliers dans le championnat. Sauf qu’en cinq passes, ils ont réussi à battre Alain Roche, Laurent Blanc, Vincent Guérin et Didier Deschamps... Ils nous ont passé en revue en cinq passes pour loger le ballon sous la barre. Tu refais l’action mille fois, je ne sais pas même s’ils seraient capables de le refaire. Il y avait une sorte de destinée » [3]

Emil Kostanidov : « si je n’avais pas marqué, Stoichkov me l’aurait reproché toute ma vie »

La suite, c’est le buteur bulgare qui la raconte le mieux. « Dans le dernier quart d’heure du match, en particulier, les Français étaient d’une grande nervosité. Cela se voyait sur leurs visages. Ils n’osaient plus prendre aucun risque. On sentait qu’ils étaient devenus très fragiles. C’est pour cette raison qu’ils ont commis cette erreur. » Quant à l’action du but, il le voit comme un enchainement à succès « Le ballon arrive dans les pieds de mon coéquipier Liouboslav Penev. Nous avions joué ensemble au CSKA Sofia. Je savais où il allait me donner le ballon, et lui connaissait mon déplacement. Quant au défenseur qui s’occupait de moi (NDLR : Alain Roche), il a été pris de vitesse. Un autre défenseur m’a foncé dessus en voulant tacler (NDLR : Laurent Blanc) et j’ai décidé, en une fraction de seconde, qu’il fallait que je tire. J’aurais pu aussi, c’est vrai, faire la passe à Hristo Stoitchkov qui était seul au point de pénalty. D’ailleurs, si je n’avais pas marqué, il me l’aurait sans doute reproché toute ma vie. » [4]

Le mot de la fin revient à Bernard Lama, le gardien français. « Le but arrive tellement vite qu’on n’a pas le temps de réfléchir. Ils marquent dans un temps mort, un moment où l’on aurait dû garder le ballon et c’est revenu comme un boomerang. Tout le monde a été dépassé sur cette action. Je ne vois pas le ballon rentrer mais j’ai soudain entendu le stade se taire. C’est la première fois que je ressentais le Parc des Princes totalement silencieux. On entendait les joueurs bulgares crier de joie. Pour nous, c’est comme si on avait reçu un coup de massue sur la tête. Mais c’est le sport. Quand on ne respecte pas certaines règles élémentaires, on se fait bananer... »

Bernard Lama : « c’est contre Israël qu’on rate le ticket »

Il reste toutefois dans l’idée que c’est la défaite contre Israël, plus que l’invraisemblable scénario bulgare, qui a coûté la place des Bleus à la coupe du monde. « Le but de Kostadinov symbolise tout ce qu’il se passait en équipe de France à ce moment-là. Mais ce n’est pas lui qui nous élimine de la Coupe du monde. Ce match est certes le dernier de la campagne de qualification mais c’est lors du match précédent contre Israël qu’on rate le ticket. On s’est mis la pression tout seul en s’inclinant dans cette rencontre car on devait tout faire sauf perdre. Cela a généré ce qui s’est passé ensuite contre la Bulgarie. Je suis encore en colère qu’on ait tout foiré contre Israël. La Bulgarie, ce n’est rien, juste un épilogue. On s’est beaucoup focalisé sur le but, ce match, Ginola, sa relation avec Houllier ; mais il faut analyser tout cela de façon plus large. Penser à ce qu’il s’est passé avant et qui nous a amenés jusque-là. » [5]

A la suite de ce match, Gérard Houllier quitte ses fonctions de sélectionneur et entre en conflit avec David Ginola qu’il accuse de « crime contre l’équipe ». Franck Sauzée, Laurent Blanc et Jean-Pierre Papin annoncent leur retraite internationale (les deux derniers reviendront sur leur décision). Le nouveau sélectionneur Aimé Jacquet doit rebâtir l’équipe de France sur ce champ de ruines, mais il réussit en quatre ans à mener la France sur le toit du monde. Emil Kostadinov, taquin, ne peut s’empêcher de penser qu’il a apporté sa contribution au succès planétaire des Bleus : « Il faut parfois une tragédie pour que naisse ensuite quelque chose de meilleur. [Ce but] a provoqué des grands changements dans le football français et, quatre ans plus tard, vous êtes devenus champions du monde ! Si j’ai pu servir à cela, au moins un tout petit peu, j’en suis heureux... »

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