Cet article est le premier d’une série de 5 : Voyage au bout de l’ennui (2/5), Rivalités franco-italiennes (3/5), Le temps des échecs (4/5) et Malédiction ou mal français ? (5/5)
8 juillet 1982 : France-RFA 4-5, demi-finale de la Coupe du monde
C’est en Espagne que les Français font connaissance avec cet exercice. A l’issue de la demi-finale, la France et la RFA sont à égalité 3-3, puisque Michel Platini a égalisé sur pénalty après l’ouverture du score de Pierre Littbarski avant que les Bleus ne prennent l’avantage en prolongations (Marius Trésor et Alain Giresse) puis se fasse rejoindre (Karl-Heinz Rummenigge et Klaus Fischer). Pour la première fois dans l’histoire, un match de Coupe du monde va se décider aux tirs au but.
Les Allemands ont déjà expérimenté ce type d’épreuve lors de la finale du Championnat d’Europe en 1976. Ce jour-là, ils s’étaient inclinés mais aucun des joueurs ayant participé à cette séance n’est présent à Séville. Les cinq premiers tireurs (Alain Giresse, Manuel Amoros et Dominique Rocheteau côté français, Manfred Kaltz et Paul Breitner côté allemand) marquent, tandis que le troisième tireur allemand, Uli Stielike, voit sa tentative repoussée par Jean-Luc Ettori. C’est donc presqu’une balle de match que Didier Six a au bout du pied, mais il est mis en échec par Harald Schumacher. Ce moment reste pour l’attaquant français le plus dur de sa carrière. « Quand tu rates un tir au but en demi-finales de Coupe du monde, tu peux vraiment dire que tu es tout seul sur terre. » [1]
La série se poursuit avec deux réussites allemandes (Pierre Littbarski et Karl-Heinz Rummenigge) et une française (Michel Platini) qui mettent les deux équipes à égalité (4-4). Maxime Bossis est alors désigné comme sixième tireur français mais ne parvient pas à tromper le portier allemand. Quelques instants plus tard, Horst Hrubesch envoie l’Allemagne en finale. « Je n’étais pas prévu dans les cinq premiers tireurs donc je n’étais pas préparé psychologiquement à ce tir au but, explique le futur recordman des sélections. Je me souviens de mon départ du rond central et de ma marche jusqu’au point de penalty. Ça m’a paru durer une éternité. Je me disais : Qu’est-ce que je fais ? Je place le ballon où ? Je tire en force ? Est-ce que je le mets sur le côté droit, sur le gauche ? J’ai hésité jusqu’au bout. Je me suis toujours demandé pourquoi j’avais autant assuré le coup et essayé de placer le ballon à droite alors que j’étais tout à fait capable de le placer de l’autre côté ou de tirer en force au milieu. Plus de 2 000 fois, je me suis dit que j’aurais dû tirer autrement. Après, j’ai vu que d’autres en ont raté (Platini en 1986) mais c’est vrai qu’il y a beaucoup de tristesse et de culpabilité quand on rate un tir au but. »
Cet échec a traumatisé le Nantais au point qu’il n’a plus jamais tiré de penalty. « Mais je n’en ai plus jamais tiré depuis ! Je suis resté traumatisé par ça. Après, dans le jeu, je n’ai pas été traumatisé car j’ai enchaîné avec une saison extraordinaire au FC Nantes, champion de France 82-83. Les tirs au but, en revanche, ce n’était plus pour moi ! » [2]
21 juin 1986 : France-Brésil 4-3, quart de finale de la Coupe du monde
Quatre ans plus tard, les Bleus devenus champions d’Europe en 1984 croisent la route du Brésil en quart de finale de la Coupe du monde. Au terme d’un nouveau match épique (but de Careca, égalisation de Platini), les deux équipes ne peuvent se départager. C’est donc la séance des tirs au but qui déterminera le vainqueur de cette rencontre. Et cette fois, la réussite sourit aux Bleus. Joël Bats, qui a déjà repoussé un penalty de Zico à la 75e minute, stoppe le tir de Socrates et voit son poteau faire échouer la cinquième tentative brésilienne (Julio Cesar). Entre temps, Michel Platini, quatrième tireur français envoie son ballon dans les nuages.
Le numéro 10 français se rappelle parfaitement de ces instants. « Je vais vers le point de penalty avec les chaussettes en bas. Je suis fatigué. Mais j’y vais pour marquer le but, pour remporter le match, pour envoyer le groupe en demi-finales et aller ensuite gagner la Coupe du monde. Je prépare le ballon, je le mets bien sur le point de penalty. Je tire en pensant le mettre en bas à droite, et le ballon part en haut à gauche. A ce moment-là, je pense à mes copains, à l’équipe, en me disant : “Merde, pour beaucoup c’est la dernière Coupe du monde et à cause de moi, c’est peut-être la fin d’une génération qui a fait de si belles choses mais qui ne gagnera jamais la Coupe du monde.” Ensuite, je pense aux gens qui m’aiment qui doivent être déçus à Paris, à ma famille. Et puis je pense aussi à certains journalistes qui devaient être contents que je loupe. »
Mais comme Julio César manque sa tentative, Luis Fernandez a la balle de match sur le dernier tir des Bleus. Avant le début de la séance, le milieu français avait demandé à son capitaine de tirer en cinquième. « Michel, quand je tire le cinquième, je marque toujours et on gagne. » Avant qu’il ne parte sceller le destin de ce match, Platini demande à son coéquipier de lui sauver la mise. « Sauve-moi ma tête ! ». [3]
Le petit bonhomme assure et envoie la France jouer sa seconde demi-finale de rang. Fernandez avait toutefois un petit secret partagé avec le gardien remplaçant, Philippe Bergeroo, que ce dernier n’a dévoilé que des années plus tard.
« La veille de la rencontre on était allé faire une séance d’entraînement à huis clos et j’avais repéré qu’il y avait une caméra cachée dans les tribunes. Elle devait appartenir aux Brésiliens… Je l’avais signalé à Luis Fernandez. Et il m’avait dit : « Reste avec moi à la fin de l’entraînement, je vais te tirer des penaltys. Je vais tous les tirer à gauche et demain je frapperai à droite » Il m’a tiré cinq penalties à gauche et le lendemain cela se termine aux tirs au but et lorsque c’est à Luis de tirer, le gardien part complètement à gauche. Luis le prend donc à contrepied et la France gagne (sourire). » [4]
Le héros de ce match est pourtant Joël Bats, qui arrête deux des penalties brésiliens (celui de Zico dans le jeu, puis celui de Socrates lors de la séance de tirs au but) et voit le poteau en repousser un troisième. Le portier français fait preuve d’une certaine sérénité quand la séance démarre, d’autant plus qu’il a déjà mis Zico en échec sur ce genre d’exercice au cours du match. « Je le dis souvent : dans une séance de tirs au but, un gardien a cinq chances de réaliser un arrêt alors que le joueur n’a qu’une seule chance, le rapport de forces est donc favorable au gardien. J’avais vu Socrates marquer un penalty lors du premier tour contre la Pologne en s’arrêtant dans sa course d’élan puis en frappant croisée en hauteur. Avant qu’il ne s’élance pour le premier tir au but, je me suis dit : ’Attends, ne bouge pas, ne lui donne pas de solution et pars comme s’il allait frapper de la même façon.’ Et j’ai repoussé ce tir au but sur ma droite avec la main opposée, comme je l’avais imaginé. » Il n’hésite d’ailleurs pas à partager sa confiance avec Fernandez en l’encourageant avant sa tentative : « Tu vas marquer, Dieu est avec nous ». [5]
Quelques chiffres pour finir
Jean-Luc Ettori stoppe le tir de Uli Stielike en 1982, mais encaisse cinq buts. Joël met en échec Socrates puis est sauvé par son poteau sur la frappe de Julio Cesar, et encaisse trois penalties entre temps. Côté tireurs, seuls Michel Platini et Manuel Amoros tirent en 1982 et 1986. Si le défenseur réussit les deux, le numéro 10 des Bleus envoie sa balle hors cadre en 1986 mais marque en 1982. Les autres joueurs ayant fait trembler les filets sont Alain Giresse et Dominique Rocheteau en 1982, Yannick Stopyra, Bruno Bellone (qui envoie son ballon sur le poteau, avant de rebondir sur le gardien et de rentrer) et Luis Fernandez en 1986. Didier Six et Maxime Bossis sont mis en échec par Harald Schumacher en 1982.