Histoires de tirs au but (5/5) : malédiction ou mal français ?

Publié le 27 février 2024 - Matthieu Delahais

L’équipe de France reste sur trois défaites aux tirs au but, auxquelles on peut ajouter les ratés en 2023 des Bleues à la Coupe du monde féminine ou des U17 en finale de leur catégorie. Comment l’expliquer ?

6 minutes de lecture
Cet article est le dernier d’une série de 5 : Le temps des chefs d’oeuvre (1/5), Voyage au bout de l’ennui (2/5), Rivalités franco-italiennes (3/5) et Le temps des échecs (4/5)

Gary Lineker disait « le football est un sport simple : 22 hommes courent après un ballon pendant 90 minutes et à la fin les Allemands gagnent ». Les récentes désillusions françaises dans l’épreuve des tirs au but pourrait transformer la maxime en « le football est un sport simple : 22 hommes courent après un ballon pendant parfois 120 minutes et à la fin les Français perdent aux tirs au but ».

Pourtant, la France a tout de même un taux de réussite de 37,5% lors de séances de tirs au but en compétition [1] (trois victoires en 1986, 1996 et 1998 pour cinq défaites en 1982, 1996, 2006, 2021 et 2022). Cet indice est même meilleur que celui de certaines grandes nations européennes comme l’Angleterre (22%, 2 victoires sur 9 avec une série de cinq défaites de rang en 1996, 1998, 2004, 2006 et 2012) ou les Pays-Bas (25%, 2 victoires sur 8 et quatre séries perdantes de suite en 1992, 1996, 1998 et 2000).

Les Italiens, qui ont perdu leurs quatre premières séances de tirs au but (1980, 1990, 1994, 1998), font un peu mieux que les Français (45%, 5 victoires sur 11). A l’inverse l’Allemagne (85%, 6 victoires sur 7) ou la Croatie (80%, 4 victoires sur 5) collectionnent les succès dans cet exercice. Les grands spécialistes sont cependant les Tchèques qui l’ont emporté trois fois sur trois, toujours lors de l’Euro (1976, 1980 et 1996).

Des chiffres qui ne plaident pas pour les joueurs français

Cinq gardiens français ont participé à une séance de tirs au but, dont trois l’ont vécu à deux occasions. Seuls quatre d’entre eux ont réussi à repousser une tentative adverse : Jean-Luc Ettori en 1982, Joël Bats en 1986, Bernard Lama en 1996 et Fabien Barthez en 1998. Bats en 1986 et Barthez en 1998 ont aussi bénéficié d’un tir sur leurs montants. Sur 41 tirs subis, les portiers français n’en ont donc stoppé que quatre (10%), bénéficié de deux montants (5%) pour 35 tirs encaissés (85%). Le total est très faible.

Côté tireurs, les chiffres sont encore plus cruels. Sur quarante tentatives, les Bleus n’en ont réussi que 31 (77%), pour deux tirs hors cadre (Michel Platini en 1986 et Aurélien Tchouaméni en 2022), un sur la barre (David Trezeguet en 2006) et six arrêts des gardiens adverses (Didier Six et Maxime Bossis en 1982, Reynald Pedros en 1996, Bixente Lizarazu en 1998, Kylian Mbappé en 2021 et Kingsley Coman en 2022). Et encore, on pourrait ajouter le tir sur le poteau de Bruno Bellone en 1986, qui a eu la chance de ne pas prendre le gardien brésilien Carlos à contre-pied, puisque le ballon a ensuite rebondi sur son dos avant d’entrer dans les buts. Les Français ont toutefois bénéficié de très bons tireurs comme Zidane ou Blanc, auteurs d’un sans-faute en trois tentatives.

Un état d’esprit défaillant ?

A la vue de ces chiffres, on est en droit de se demander si les Français ne devrait pas plus travailler cet exercice. En 2006, Raymond Domenech disait ne pas l’avoir spécialement préparé. Seize ans plus tard, Didier Deschamps évoque à demi-mots une loterie avant de mettre en avant les circonstances du match pour expliquer l’échec de son équipe. « Je ne vais pas sortir le terme, comme d’habitude, de loterie. Évidemment que les cinq qui tirent les penalties ne sont pas les cinq prévus au départ. Mais avec les sept changements que j’ai dû faire… On me demande pourquoi ce ne sont pas les joueurs expérimentés qui ont tiré les penalties. À part Hugo (Lloris), comme joueur expérimenté, dans les onze derniers… » [2]

La FFF a donc décidé d’essayer de faire changer les choses. Début février 2024, le Directeur Technique National Hubert Fournier a expliqué le plan mis en place pour les instances dirigeantes du football français. A ses yeux, l’entraîneur est le responsable. C’est donc à lui de préparer ses joueurs en amont, mais aussi de les motiver, de créer de la confiance au cours des cinq à six minutes qui séparent de la fin du match du début de la séance.

Le DTN insiste aussi sur le fait que tous les joueurs doivent être concernés et pas uniquement les cinq premiers tireurs et le gardien. L’ordre des tireurs doit être également bien pensé. « L’autre chose aussi c’est de choisir les joueurs qui vont tirer en premier, deuxième, troisième, quatrième. On s’aperçoit que certains veulent un peu être les sauveurs de la patrie en tirant en cinquième mais 20% des séances de tirs au but finissent avant. Donc on cible plutôt les places trois et quatre qui sont peut-être celles des joueurs charnière et en capacité d’assumer ces tirs au but. » [3]

D’un point de vue un peu plus pratique, trois éléments entrent en compte au moment de tirer dans une séance de tirs au but. Il y a l’aspect technique en lui-même : le ballon posé à 11 mètres du but et un face-à-face à remporter face au gardien. C’est le point que tous les joueurs devraient maîtriser. Pourtant, en 1982, Maxime Bossis reconnaissait qu’il ne savait pas comment il allait tirer. « Je me disais : Qu’est-ce que je fais ? Je place le ballon où ? Je tire en force ? Est-ce que je le mets sur le côté droit, sur le gauche ? J’ai hésité jusqu’au bout. » [4]

Le deuxième point est l’état physique des joueurs après deux heures de jeu, voire plus, pour certains. Les crampes et les coups pris au cours du match peuvent influencer sur la réussite des joueurs. Enfin, le troisième point, sans doute le plus important, est la gestion de l’événement. Tirer un penalty à l’entraînement n’a absolument rien à voir, dans l’état d’esprit, avec un tir au but décisif dans un match à élimination directe. Ce point-là est le plus dur à appréhender, car il semble impossible de reproduire à l’entrainement les conditions d’un match avec tant d’enjeux.

Cependant, si les joueurs sont suffisamment en maîtrise du geste en lui-même, ils peuvent parcourir la distance les séparant du point de penalty sans avoir à se poser trop de questions sur leur façon de frapper. Même s’il est vrai qu’apprendre à tirer doit se travailler en club, une séance en fin d’entraînement (avec un peu de fatigue musculaire pour essayer de se rapprocher un peu des conditions physiques d’une série exécutée en fin de match) la veille d’une rencontre à élimination directe peut aider les joueurs à mieux appréhender ces séances.

Enfin, que les gardiens soient spécialistes ou non des penalties, leur état d’esprit est important. Joël Bats appréhendait cet exercice en se disant que le rapport de force était en faveur du gardien : « dans une séance de tirs au but, un gardien a cinq chances de réaliser un arrêt alors que le joueur n’a qu’une seule chance. » [5] De son côté, Fabien Barthez pense que « dans ce genre d’exercice, la pression n´est pas sur le gardien de but mais sur ceux qui vont tirer. » [6] Ce mode de pensée reporte une partie de la pression sur les tireurs et offre sans plus de sérénité au portier au moment de ses face-à-face avec ses adversaires.

A quand une série gagnante ?

Il faut reconnaître que l’équipe de France n’a jamais bénéficié de gardiens réellement spécialistes des coups de pieds arrêtés, en dehors peut-être de Mickaël Landreau. Ce dernier était présent à Berlin en 2006, mais Raymond Domenech avait déjà procédé à trois changements et ne pouvait le faire entrer. Cependant, l’arrivée de Mike Maignan et de Brice Samba changent les choses. Les deux hommes se sont déjà illustrés dans cet exercice. On se souvient du Milanais repoussant la tentative de Memphis Depay en mars 2023. Un mois plus tard, le portier milanais stoppe en coupe d’Italie le 11e pénalty de sa carrière sur 45 [7]

S’il n’a jamais été confronté à un penalty avec les Bleus, Brice Samba en a récemment arrêté trois de suite (tous cadrés) lors d’une séance de tirs au but avec Lens en Coupe de France. Son état d’esprit provocateur et déterminé face aux tireurs monégasques était bien loin de celui d’Hugo Lloris lors de la finale face à l’Argentine. Auparavant, il en avait arrêté trois avec Nottingham contre Sheffield en mai 2022 et quatre avec Caen contre Metz en février 2018.

Côté tireurs, les choses évoluent aussi. Après son échec en 1982, Maxime Bossis n’a plus jamais voulu tirer de penalty. Mais en 2001, Bixente Lizarazu, tireur malheureux avec les Bleus en 1998, en a transformé un en finale de la Ligue des Champions et utilisant son échec pour renforcer sa détermination. Plus récemment, Kylian Mbappé est devenu le premier Bleu à transformer un penalty dans une série (finale de la Coupe du monde 2022) alors qu’il en avait déjà raté un avec l’équipe de France, décisif qui plus est, quelques mois plus tôt (huitième de finale de l’Euro).

Les joueurs de la génération actuelle expliquent qu’ils apprennent de leurs erreurs. Alors qu’Alain Giresse avoue ne jamais avoir revu la fin de la demi-finale de Séville, Randal Kolo Muani explique qu’il a décortiqué son face à face raté contre Emiliano Martinez en finale de la Coupe du monde pour apprendre de son échec.

La génération actuelle reste sur deux échecs aux tirs au but. Cependant, la présence d’un gardien titulaire et d’un remplaçant plutôt à l’aise sur pénalties, conjugué à une génération de joueurs qui se servent de leurs échecs pour progresser laisse entendre qu’un succès est possible. Il faut toutefois aussi pour y parvenir que les entraîneurs acceptent que cet exercice se travaille et que ce n’est pas une loterie.

pour finir...

Merci à @StatsDuFoot (https://twitter.com/Statsdufoot) pour les statistiques remontées sur les penalties de Mike Maignan et Brice Samba

[1Elle en a joué deux autres lors du Tournoi Hassan-II au Maroc contre le pays-hôte en 1998 et le Japon en 2000.

[3Jean-Guy Lebreton, La FFF lance un processus pour progresser (et ganger) aux tirs au but, rmcsport.bfmtv.com, 9 février 2024.

[4Jérôme Bergot, La dure épreuve du penalty : Maxime Bossis, un jour de malchance, ouest-france.fr, 10 février 2021.

[5Julien Huet, Joël Bats, briseur de mythe : j’ai fait pleurer le Brésil, eurosport.fr, 21 juin 2016.

[6Didier Romain, Barthez : Le héros c’est celui qui tire le peno, leparisien.fr, 4 juillet 1998.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Hommage à Pierre Cazal