Jacques Davy est un cas bien particulier, dans l’Histoire des Bleus.
Tout d’abord, par son unique sélection — pas n’importe laquelle, LE match inaugural du 1er mai 1904 contre la Belgique (3-3). Il n’était pas censé jouer au poste de demi-centre, réservé à Pierre Allemane. Ce dernier, militaire, ayant dû déclarer forfait faute de permission, Davy, de l’US Parisienne, n’était même pas assuré de jouer, étant en balance avec Emile Fontaine, du Gallia Club, plus expérimenté.
La légende, dont je me suis moi-même fait l’écho dans différentes publications, veut qu’une pièce de monnaie ait décidé : Davy serait international, Fontaine (Emile, sans rapport avec le buteur Just, récemment décédé) ne le serait jamais. D’où vient-elle ? Mystère. Voici la version d’Ernest Weber, le journaliste, qu’on peut lire dans Tous les Sports : « Au vestiaire, on discute. Il y a un homme de trop. Filez jouera-t-il ou ne jouera-t-il pas ? On demande l’avis des gens du Nord, qui se contredisent à qui mieux mieux. A la fin, Robert-Guérin, énervé, décide que les deux Bilot et Davy joueront demis et que Filez prendra la place d’ailier gauche. Très sportivement, Fontaine accepte. »
Pas question de tirage au sort dans cette version, mais rien d’impossible à ce que Robert-Guérin ait pris à part Davy et Fontaine pour lancer une pièce en l’air plutôt que de choisir, et donc de vexer celui qui ferait le déplacement de Bruxelles pour rien, aucun remplacement n’étant alors autorisé.
Crédité de son unique sélection, 88 ans après
Davy joue donc, et Robert-Guérin, qui chronique aussi le match pour le journal La Presse, sous le pseudonyme d’Off-Side, commente : « Davy, au centre, fut pendant un moment mal à son affaire, mais, confiant en ses arrières, il tint ensuite sa place brillamment ». Cependant, il ne le retint pas pour le match suivant, en février 1905, contre les Suisses, alors que le malheureux Fontaine, lui, fut encore remplaçant, le match ayant lieu à Paris, il n’eut pas beaucoup de chemin à faire. Par contre, comme il fut de nouveau retenu à titre de remplaçant pour le match retour de la Coupe Evence Coppée à Bruxelles, en mai 1905, la moutarde lui monta au nez et il refusa !
Ce n’est pas tout. Jacques Davy ne fut crédité de sa sélection, dans les annuaires fédéraux, qu’en 1992, soit 88 années après le match ! Comment cela se fait-il ?
L’USFSA publiait un annuaire, qui listait les compositions des équipes de France, de football et d’autres sports. Je possède celui de 1909, et quand on consulte la page consacrée aux équipes de France de football, on a la surprise de constater que la série commence en 1906 seulement. Donc, les trois premiers matchs, les deux France-Belgique (1904 et 1905) et France-Suisse, de 1905, n’y figurent pas, sans explication aucune. Ils ne sont donc pas officiellement reconnus, alors que le même annuaire liste tous les championnats depuis 1894, sans faute ni lacune !
La FFF, qui a pris la gouvernance en 1919, fusionnant les 4 composantes du CFI (dont l’USFSA, section football – rappelons que l’USFSA était une fédération omnisports, la FFF étant unisport) a elle aussi publié son annuaire, depuis 1920. Elle reconnaît les 3 premiers matchs, et donnait la composition suivante pour France-Belgique 1904 (version figurant dans l’annuaire 1936-37) : Guichard - Canelle, Verlet - Bilot, Nicolaï - Filez, Royet, Garnier, Cyprès, Crenne. Je rappelle la véritable composition, telle que donnée dans tous les journaux : Guichard - Canelle, Verlet - Ch. Bilot, Davy, G Bilot - Mesnier, Royet, Garnier, Cyprès, Filez.
Un tableau d’honneur réservé aux internationaux ayant au moins trois sélections
Vous voyez la différence ? Dans la version FFF, il n’y a tout d’abord que 10 joueurs listés ; il manque un demi. Et il y a deux noms différents : Nicolaï (deux sélections par ailleurs, en 1905) et Crenne, certes présélectionné, mais finalement pas retenu, ou indisponible pour le déplacement à Bruxelles. Pas question ici de chercher l’origine de ces erreurs, cela présente peu d’intérêt ; par contre, ce qu’on constate, c’est que le nom de Davy n’apparaît nulle part, ni sur l’annuaire de 1909, ni sur celui de 1936, ni sur aucun des suivants.
Pour les mordus de statistique, sachez que la FFF a renoncé à publier les compositions des équipes de France à partir de 1944. Elle s’est bornée à lister ce qu’elle appelait le « tableau d’honneur » des internationaux, à ceci près que n’y figuraient que ceux qui totalisaient au moins 3 sélections – ceux qui étaient « capés », au sens de l’USFSA (qui accordait une casquette, cap en anglais, à ceux qui comptaient 3 sélections, allez savoir pourquoi).
Ce qui veut dire que les joueurs ne comptant que deux sélections ou une seule ne figuraient pas dans les listings ! Par la suite, ils ont été ajoutés, au cours des années 1950, par qui, on ne le sait pas, comment, on l’ignore, mais ce qu’on sait, c’est qu’une quantité d’erreurs s’est glissée dans ce tableau d’honneur rebaptisé moins scolairement liste. Au début des années 1990, ces erreurs n’avaient toujours pas été rectifiées, et le nom de Davy était toujours absent !
Buteur contre les Corinthians en 1904
J’ai fait partie du petit groupe de statisticiens qui ont travaillé à partir des journaux anciens (rien de numérisé alors, tout à la main !) pour nettoyer ces listes de toutes leurs scories, et de publier les compositions des équipes de France depuis 1904 jusqu’en 1991, dans le petit ouvrage publié par la FFF en avril 1992 et intitulé : L’Equipe de France de Football, l’Intégrale des 497 rencontres (il y en a 400 de plus aujourd’hui !). Et c’est là que le nom de Davy est enfin apparu.
Ce qui n’empêchait pas ledit Davy d’être un inconnu. Qui était-ce ?
Jacques Davy est né le 26 septembre 1883 à Paris, fait ses études au Lycée Louis-le-Grand et signe à l’US Parisienne en 1901. De bonne taille (1,76 mètre, soit 13 centimètres de plus que la taille moyenne à l’époque), robuste et agressif, il se distingue vite et est retenu pour jouer les matchs de préparation de l’équipe de France naissante en 1904, contre Southampton et contre les Corinthians (1-6 et 4-11), il se paie même le luxe d’ouvrir le score face aux Corinthians.
A l’époque, les demis-centre tirent rarement au but, car il n’est pas coutume de tirer de loin : le jeu offensif consiste à amener le ballon vers les six mètres pour shooter, et les demis ne pénètrent jamais dans la surface adverse. En dépit de ces bonnes dispositions, Davy ne sera pourtant plus jamais sélectionné, et on a encore trace de lui en 1919, sous les couleurs du petit Margarita Club du Vésinet.
Que s’est-il passé ?
Il a débuté au hockey sur gazon
Tout d’abord, Davy se partage entre le football et le hockey (sur gazon), il a même débuté par le hockey, dès 1899, il joue pour l’équipe de l’USFSA battue en avril par l’English Hockey Association (2-11) et n’est venu qu’ensuite au football. Curieusement, il est licencié dans des clubs différents : le Club Athlétique International pour le hockey (qui sera champion de France en 1906, 1907 et 1908), et l’US Parisienne pour le football. En avril 1904, il joue avec l’équipe de Paris contre celle de Gloucester, en hockey, et la semaine suivante avec l’équipe de la SEFA (et équipe de France officieuse) contre Southampton, en football !
Ce « double jeu » n’est pas très bien vu, ni côté hockey, où l’on aimerait l’avoir pour soi, comme en témoigne un entrefilet datant de février 1906 signalant « la rentrée au CAI de Davy, l’excellent joueur d’association, qui semble vouloir s’adonner définitivement au hockey », ni côté football-association (comme on l’appelait alors pour le différencier du football-rugby).
Peine perdue, Davy continue de pratiquer les deux sports, mais irrégulièrement : en 1909, l’US Parisienne « annonce la rentrée de Davy, qui joua il y a cinq ans dans l’équipe de France écrasée par Southampton » ; il est même précisé, en septembre 1909, que « Zeiger, Davy, firent quelques rares apparitions l’an dernier » pour l’USP.
International de hockey contre la Belgique en 1914
A partir de 1910, il semble que Davy ait enfin fait son choix, car, jusqu’à la Guerre, on le voit jouer au hockey, il est même international en 1914 contre la Belgique (9-1). Et pourtant, à la fin des hostilités, c’est bien au Margarita Club du Vésinet, qu’il pratique de nouveau le football… Il paraît donc certain que les sélectionneurs se soient détournés de lui, au moins en partie, parce que Davy restait assis entre deux chaises : son engagement pour le football n’apparaissait pas assez fort. C’était un dilettante, comme le prouve le fait qu’en mars 1909, il arrive avec 10 minutes de retard, obligeant ses coéquipiers à débuter un match sans lui !
Mais ce n’est pas la seule raison. Davy était un joueur brutal, ce fait est souligné, déploré et même dénoncé comme un refrain, tant en football qu’en hockey, d’ailleurs ! Petit florilège : en 1908 « Davy joue très dur et se fait conspuer ; Davy, le Schalkman (?) du hockey se fait huer chaque fois qu’il touche la balle » ; en 1909 « Davy s’est encore fait remarquer par sa brutalité déplacée et inutile. Ce joueur ne se console décidément pas de la dure leçon qui lui fut infligée lors d’un match de football ».
Petite explication : lors du match contre Southampton, Davy avait dû quitter le terrain (et être remplacé par… Fontaine !) à la suite d’un choc, décrit ainsi : « Davy s’affaisse étourdi et est amené (aux vestiaires) où l’on constate un coup très violent sous l’œil » ; coup administré par le demi international Ernest Lee, petit règlement de comptes destiné à calmer l’ardeur excessive de Davy…
Il donnait des coups et s’exposait à en recevoir
Car Davy s’engage physiquement à fond sur le terrain, ce qui aujourd’hui ne lui serait nullement reproché… mais pas à l’époque. Le football, dans les années 1900, se différenciait du rugby en bannissant les contacts physiques autres que la charge à l’épaule ; les duels auxquels on assiste aujourd’hui pour disputer la moindre balle auraient soulevé l’horreur des amateurs. Bref, Davy était, sur ce plan, en avance : il jouait les balles en s’aidant de tout son poids, donnait des coups, et s’exposait à en recevoir : en décembre 1904 il a eu la jambe cassée au football, lors d’un match opposant l’USP à l’AS Française, et, au hockey, lors d’une partie qualifiée de brutale, il a été blessé grièvement à la main lors d’un match CAI-SCUF.
Cette tendance au jeu violent est mal vue et contribue à l’écarter également de la sélection, comme en témoigne cet entrefilet paru en 1906 : « Au centre, Davy, qui progresse chaque saison, et à qui ses adversaires reprochent de ne pas être assez douillet », ce qui est bien sûr un euphémisme pour signifier qu’on lui reproche la brutalité de son jeu. Pire, en 1911, Davy est ouvertement accusé d’avoir blessé intentionnellement à coup de crosse (de hockey) le capitaine du club adverse, le Racing, et il est expulsé, sanction rarissime alors et infâmante.
Bref, comme dans la chanson de Brassens, Davy a mauvaise réputation !
Son père était imprimeur, rue Madame, dans le 6ème arrondissement de Paris, et Jacques Davy a pris sa succession. Il est décédé le 12 octobre 1944 à l’hôpital Necker (15ème arrondissement) sans autre détail, sauf qu’on peut remarquer que ce n’est pas sa femme qui est allée déclarer son décès trois jours après auprès du Comité de Libération qui gérait l’état-civil à ce moment, mais un employé de l’hôpital, ce qui interroge sur les circonstances de ce décès, dans le contexte ultra-sensible de la Libération de Paris…
Le seul match de Jacques Davy avec l’équipe de France A
Sel. | Genre | Date | Lieu | Adversaire | Score | Tps Jeu | Notes |
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1 | Amical | 01/05/1904 | Bruxelles | Belgique | 3-3 | 90 | premier match de l’histoire |
Vos commentaires
# Le 28 mai 2023 à 10:32, par Fonteneau En réponse à : Les premiers Bleus : Jacques Davy, un hockeyeur par défaut
Bonjour, celui qui est cerclé de rouge n’est pas Jacques Davy mais Charles Bilot.
Sur la photo, la première ligne debout de gauche à droite : Maurice Guichard, Georges Bilot, Charles Bilot, Joseph Verlet, Jacques Davy et Fernand Canelle.
Amicalement Jacques Fonteneau.
# Le 1er juillet 2023 à 15:54, par Bruno Colombari En réponse à : Les premiers Bleus : Jacques Davy, un hockeyeur par défaut
Bonjour
J’ai transmis votre message à Pierre Cazal qui me confirme que Jacques Davy est bien celui cerclé de rouge, les joueurs français debout étant de gauche à droite : Canelle, Guichard, Davy, Verlet, Charles et Georges Bilot. Ce n’est pas ce qu’indiquent d’autres légendes (dont celle de L’Intégrale de l’équipe de France de 1991, dont Pierre Cazal est coauteur) ou sur Wikipédia, mais il dispose de photos, notamment de La Vie au grand air, comportant des légendes.
Pourriez-vous nous donner la source sur laquelle vous vous appuyez ?
Bruno Colombari