Le propre d’un record, c’est d’être battu. Celui du record de sélections en équipe de France l’a été régulièrement dans l’histoire, même si le dernier, celui établi par Lilian Thuram en juin 2008 lors d’une déculottée mémorable (Pays-Bas, 1-4), n’est pas prêt d’être dépassé : parmi les joueurs sélectionnés depuis août 2010 par Laurent Blanc, le plus capé est en effet Florent Malouda, dont le total de sélections — 65 — n’atteint même pas la moitié de celui du Guadeloupéen.
On pourrait penser que plus le record est élevé, plus il est difficile à battre et plus longtemps il tient. Curieusement, ce n’est pas le cas. Si on étudie l’histoire des dix détenteurs de ce record (en commençant arbitrairement à Raymond Dubly, le premier à avoir dépassé les trente sélections en 1928), on constate que les intervalles de temps sont très longs entre 1928 et 1983, et nettement plus courts depuis. L’accroissement du nombre de matches joués chaque année et la présence régulière des Bleus en phase finale l’expliquent facilement.
Ainsi, quand Raymond Dubly bat en janvier 1923 le précédent record (20 sélections) établi par Jean Ducret, il le détiendra pendant cinq ans. Mais Jules Devaquez, lui, tiendra dix ans et dix mois, ce qui nous amène à janvier 1939. Etienne Mattler, qui lui succède, sera détenteur du nouveau record pendant près de dix-sept ans, jusqu’en décembre 1955 où Roger Marche le dépasse. Le défenseur ardennais compte au final 63 sélections, marquant même un but, le seul de sa carrière internationale, lors de son tout dernier match contre l’Espagne en décembre 1959.
Premier et dernier but de Roger Marche, d’un très joli lob qui surprend le gardien Ramallets
Le grand trou noir des années soixante et l’absence de carrière longue pendant cette période vont faire vivre le record pendant près de 28 ans, jusqu’en octobre 1983 ! C’est finalement Marius Trésor qui le dépassera, de peu, puisque le libéro bordelais quitte les Bleus avec 65 sélections, sept mois avant l’Euro 1984.
Il aura donc fallu soixante ans pour voir les cinq premiers détenteurs du record. En vingt-trois ans, il y en aura cinq autres. Trop fragile, le record de Trésor est dépassé en moins de deux ans par Maxime Bossis, puis en six ans et demi par Manuel Amoros. Ce dernier, qui semblait parti pour atteindre les cent sélections (il en comptait déjà 39 en juin 1986, à 24 ans) voit sa carrière s’enliser alors que les Bleus calent et finit à l’Euro 92 avec 82 capes, à un peu plus de trente ans. Il sera battu en mars 1999 par Didier Deschamps, lequel dépassera enfin la cap des cent matches internationaux lors de la demi-finale de l’Euro 2000 contre le Portugal.
Premier centenaire de l’histoire des Bleus, Deschamps n’aura gardé le record que pendant quatre ans et un mois. C’est son ex-coéquipier nantais Marcel Desailly qui le bat en avril 2003 et le porte, un an plus tard, à 116 lors de l’Euro 2004. Pour lui succéder, on pense bien sûr à Vieira, mais c’est Lilian Thuram, sorti d’un an de retraite internationale, qui le rejoint en juin 2006 et le dépasse largement. Thuram aura amélioré le record de 26 matches, soit l’écart le plus grand jamais enregistré d’un record à l’autre.
Après Raymond Dubly et Jules Dewaquez, aucun attaquant n’a plus été détenteur du record de sélections, propriété quasi exclusive des défenseurs, Didier Deschamps étant le seul milieu (défensif) du lot. On note aussi qu’il n’y a pas de gardien de but, chose curieuse puisque c’est un poste relativement stable et où les carrières sont longues. Le gardien français le plus capé, Fabien Barthez, n’est que dixième au classement des sélectionnés (87 matches), et le suivant trente-septième (Bats, 50 sélections). Hugo Lloris pourrait être le premier gardien recordman, à condition qu’il reste titulaire encore une dizaine d’années et que les Bleus participent, avec lui, à toutes les phases finales d’ici 2020. Ce n’est pas gagné.