Première info : le nom du joueur est Tilliette, et non Tillette, comme on a pu le trouver, sur les Annuaires fédéraux par exemple, pendant plus d’un siècle !
Seconde info, Maurice Emile Louis est né le 29 décembre 1884 à Boulogne-sur-Mer, de père ET de mère inconnus, de sorte que l’acte de naissance ne porte que ces trois prénoms, et aucun nom de famille ! L’enfant a été présenté (comme cela se faisait alors) par la sage-femme qui a accouché la mère (car on accouchait à domicile à l’époque), une dame Magnier, accompagnée d’un témoin, un cafetier sexagénaire du nom de Sprecque. Mais l’enfant n’a pas reçu de nom.
Longtemps rejeté par ses parents
Deux mentions marginales ont été rajoutées sur cet acte de naissance : la première précise qu’en 1898 ( Maurice Emile Louis a alors 14 ans, il a été scolarisé, mais sous quel nom ?…), un entrepreneur de plomberie du nom d’Emile Louis Tilliette reconnaît être le père de l’enfant ; la seconde en date de 1908 (Maurice a 24 ans, il est international) précise qu’une certaine Marie Césarine Sprecque reconnaît être la mère du jeune homme ; Sprecque, comme le nom du témoin, le cafetier… Une troisième mention marginale vient compléter l’ensemble, en nous informant qu’en 1908 (un mois avant la reconnaissance maternelle) Maurice Tilliette a convolé en justes noces avec une demoiselle… Magnier ! La boucle est bouclée. A partir de ces informations, on imagine ce qu’on veut, mais ce qui est certain, c’est que l’enfant a longtemps été rejeté par ses parents, ou tout du moins nié par eux.
L’US Boulogne a été fondée en 1898 et c’est donc sous son nom tout frais de Tilliette que le jeune Maurice Emile Louis a pris licence ; et il a d’abord joué dans le champ, à l’aile droite. On l’y trouve régulièrement jusqu’ en 1904, et il est même champion « maritime » du Nord cette même année 1904. Le championnat du Nord se divise en deux zones, maritime et terrien, avec une finale pour désigner le champion du Nord. Boulogne règne sur le championnat maritime, que Tilliette gagnera encore en 1905, 1906 et 1909 (avec Georges Bon et Paul Mathaux, auxquels des articles ont été dèjà consacré dans le cadre de cette série des premiers Bleus), mais ne remporte qu’une seule finale contre le champion terrien (en général, Roubaix ou Tourcoing), en 1906. Il s’est alors reconverti en gardien de but.
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L’Auto du 12 octobre 1906 (BNF, Gallica)
Un gardien « absolument parfait » qui sort au devant des attaquants
Il a bien fait, car la presse ne tarit pas de compliments à son égard. Le mot de maestria est souvent employé pour qualifier son jeu. Il ne mesure qu’1,66 m, mais son agilité est telle qu’on relève en 1909 : « Le fameux Tilliette a une fois de plus stupéfié l’assitance » ou encore : « l’irrésistible gardien de but Tilliette ne laisse rien passer ». En 1910 , à l’occasion de deux matchs , Nord-Sud (3-2) puis Nord-Paris (5-3), La Vie au Grand Air écrit : « Quant au boulonnais Tilliette, il fut un gardien absolument parfait. Il semble que sa place dans l’équipe de France ne doit pas faire l’ombre d’un doute. »
Le journal Dunkerque-Sports se lance dans un plaidoyer en faveur de Tilliette en équipe de France, de préférence à Zacharie Baton, qui est alors la référence dans le Nord. Tilliette est un gardien bondissant, qui ne reste en outre pas sur sa ligne, comme c’était alors la coutume, mais n’hésite pas à se lancer dans les pieds des attaquants adverses avec audace. Ce n’est pas encore Chayriguès, qui popularisera la sortie du gardien dans ses 18 mètres (qui n’en font que 16, car il s’agit de 18 yards…), mais ça s’en approche.
En tribunes, il peste contre les bourdes d’André Renaux
L’équipe de France, Tilliette en rêve : il a un besoin viscéral de reconnaissance, peut-être à cause de son enfance. Il trépigne dans l’ombre de Zacharie Baton, dont il est la doublure , aussi bien dans l’équipe du Nord qu’en équipe de France. Quand Baton est forfait pour affronter l’Angleterre, pas de chance, il tombe malade, et assiste dans les tribunes au match malheureux du remplaçant, André Renaux. L’anecdote dit qu’il rage devant les bourdes de Renaux et fait savoir que si ç’avait été lui, dans les cages…
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La Vie au grand air du 31 octobre 1908. Maurice Tilliette est sur la photo centrale (BNF, Gallica)
L’occasion se présente enfin, pour jouer la Hollande à Rotterdam : défaite (1-4), mais Tilliette a la satisfaction d’entendre le sélectionneur André Billy déclarer qu’il a été excellent, et que la responsabilité de la défaite incombe aux avants, qui n’ont pas osé tirer. Aussi Tilliette est-il retenu pour disputer les Jeux olympiques , à Londres, dans l’équipe A. C’est la douche froide, car 17 buts s’entassent dans ses filets, sans qu’il en soit particulièrement responsable : c’est toute la défense qui prend l’eau, ou, pour parler en termes modernes, ce sont les Danois qui mettent de l’intensité, alors que les Français trottinent. Ils ont des excuses, ont subi une traversée agitée de la Manche le matin même, rallié Londres en train, pas frais, et s’alignent , sans réel repos, face à des Danois qui sont à Londres depuis quinze jours et se sont, eux, entraînés quotidiennement sous les ordres d’un préparateur physique.
17 buts encaissés contre le Danemark, 20 contre l’Angleterre
Ce n’est malheureusement pour lui pas la dernière humiliation que Maurice Tilliette aura à subir. On sait que, l’USFSA ayant claqué la porte de la FIFA, il existe entre 1909 et 1912 deux équipes de France concurrentes, l’une , celle du CFI, reconnue par la FIFA, et l’autre, celle de l’USFSA qui ne l’est plus et, par conséquent, dont les matchs ne figurent aujourd’hui pas dans les palmarès. Il y a donc DEUX France-Angleterre chaque année, en dépit du ridicule.
En 1909, c’est encore Baton qui garde les cages de l’équipe de l’USFSA ; l’Angleterre gagne 8-0. En 1910, on l’a vu plus haut, il y a débat pour savoir lequel des deux Baton ou Tilliette, mérite de jouer contre l’Angleterre, à Ipswich cette fois-ci. Pour les dirigeants de l’USFSA, il faut être à la hauteur, car l’équipe rivale du CFI va se rendre, elle, à Brighton un mois plus tard pour jouer également l’équipe d’Angleterre (pas la même : celle, officielle et bien plus forte, de la FA, et non celle de l’AFA, fédération dissidente). La douche ne sera pas froide, mais carrément glacée : le score s’élève à 0-20. Jamais une équipe de France (officielle ou pas) n’a encaissé 20 buts, et cela n’arrivera plus jamais, c’est donc un record… négatif. Que s’est-il passé ?
« Des plongeons prématurés et à contre-sens »
Eh bien tout le monde tombe sur Tilliette ! Voici ce que dit son coéquipier Victor Denis en 1938 : « Je ne sais trop pourquoi Tilliette, en seconde mi-temps s’avisa soudain, pour ne plus se laisser surprendre par les shots, de prendre les devants, c’est-à-dire d’anticiper, de s’élancer dans la direction probable de la balle. Or, Tilliette, dont c’était les premiers essais, anticipa toujours à contre-sens, et ce ne fut pas joli, joli… ». Fernand Canelle, l’ex-international, qui était dans les tribunes, en rajoute une couche, dans Elans (ancêtre de l’Equipe, début 1946) : « L’équipe de France fut victime de l’affolement de son gardien de but, affolement qui se traduisit par toutes sortes de plongeons prématurés…et à contre-sens. »
Il n’empêche que, si 20 buts sont entrés, c’est bien que les anglais ont cadré au moins 20 tirs, ce qui n’est pas normal et indique que les défenseurs n’étaient guère efficaces ! La vérité semble que Tilliette a eu la malchance d’être complètement abandonné par sa défense deux fois de suite, en 1908 et en 1910. Le fossé séparant la maestria dont il fait preuve avec son club et la vulnérabilité qu’il montre en sélection s’explique par la différence abyssale de niveau qui existe entre le football français et le football international.
A l’abri des combats grâce aux boîtes en fer blanc
On ne se relève cependant pas de tels fiascos et la carrière internationale de Maurice Tilliette s’arrêta bien évidemment là. Mais il continua dans les cages de son club, où on le retrouve encore en 1920 ! Car il eut la chance, cette fois-ci , d’échapper au « casse-pipes » . Son père appartenait à une famille de ferblantiers et dès 1914, Maurice Tilliette s’était lancé dans une entreprise fabriquant des emballages, boîtes en fer blanc, et même… des gamelles pour les poilus ! De sorte que, mobilisé, il fut affecté dans une usine métallurgique, à Marquise, puis au service d’un armateur, dont les chalutiers étaient réquisitionnés pour servir de transport d’armes entre l’Angleterre et la France.
Après l’Armistice, il retourna à la ferblanterie et prit la direction d’une usine se spécialisant dans la fabrication des boîtes à sardines illustrées (BMI, boîtes métalliques illustrées, entreprise qui a existé jusque dans les années 1990). Une activité plus importante qu’il n’y paraît, menant Tilliette, par exemple, à racheter au Maroc des Pêcheries en 1949. Il fut donc un industriel ayant pignon sur rue à Boulogne sur Mer, tout en prenant la présidence de son club. Amateur jusqu’au bout des ongles, il prendra ses distances lorsqu’en 1935, le club se lancera dans l’aventure professionnelle.
Il est décédé le 26 août 1973, à Boulogne-sur-Mer.
Les 2 matchs de Maurice Tilliette avec l’équipe de France
Sel. | Genre | Date | Lieu | Adversaire | Score | Tps Jeu | Notes |
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1 | Amical | 10/05/1908 | Rotterdam | Pays-Bas | 1-4 | 90 | |
2 | JO | 22/10/1908 | Londres | Danemark | 1-17 | 90 | plus large défaite |