Bien avant Johan Cruyff et le football total, les Pays-Bas représentaient une place forte du football européen, à tel point qu’en 1908, lorsque l’équipe de France rend pour la première fois visite à son homologue néerlandaise, elle n’imagine à aucun moment pouvoir l’emporter.
Royaume d’Orange
Du fait de sa situation géographique et de ses échanges commerciaux avec le Royaume Uni, les Pays-Bas ont été un pionnier du football sur le continent. Un homme, Pim Muldier, s’est particulièrement démené pour développer le sport dans son pays et a créé le premier club de football en 1879 à Haarlem, non loin d’Amsterdam. La fédération néerlandaise est créée en 1889 et le premier championnat voit le jour en 1898.
Une sélection des meilleurs joueurs bataves est tout aussi rapidement mise sur pied, dès 1894. Elle est opposée à des clubs anglais de passage aux Pays-Bas. Elle affronte aussi, régulièrement, des sélections de joueurs belges, et c’est l’une de ces confrontations, le 30 avril 1905, qui est considérée comme le premier match officiel de la sélection des Pays-Bas. Celle-ci l’emporte 4-1. Elle a eu recours aux prolongations car un trophée était en jeu, la Coupe van den Abeele.
Quand elle accueille l’équipe de France à Rotterdam le 10 mai 1908, l’équipe néerlandaise en est à son onzième match (le dixième pour la France) et n’a rencontré jusqu’alors que la Belgique (5 victoires et 3 défaites) et l’Angleterre amateur (deux lourdes défaites, 8-1 et 12-2). Depuis trois rencontres, alors qu’ils avaient joué leurs premiers matchs avec un maillot blanc barré en diagonale par les couleurs du drapeau, les joueurs arborent un maillot orange, couleur nationale imposée par Guillaume 1er, prince d’Orange-Nassau (1533-1584), considéré comme le fondateur de la nation néerlandaise.
Une halte à Bruxelles
Pour l’équipe de France, ce déplacement en Hollande est le plus lointain de sa jeune histoire. Partis de Paris en train, les sélectionnés ont fait une halte à Bruxelles pour y passer la nuit avant de reprendre le train pour Rotterdam où ils arrivent trois heures avant le coup d’envoi. L’équipe tricolore déplore quelques absents : l’attaquant Émile Sartorius est retenu par ses obligations électorales, puisque ce 10 mai 1908 est aussi le jour du deuxième tour des élections municipales. Le gardien Zacharie Baton est quant à lui sous les drapeaux et n’a pas reçu l’autorisation de rejoindre ses coéquipiers. Ces forfaits s’ajoutent à ceux de Joseph Verlet et Victor Sergent.
Seuls quatre joueurs qui ont disputé le précédent match contre la Belgique (perdu 2-1 à Colombes) sont présents : Gabriel Hanot, Paul Mathaux, Henri Moigneu et Marius Royet. Dans les buts, en l’absence de Baton, l’heure est venue pour le Boulonnais Maurice Tilliette d’honorer sa première sélection après deux rencontres passées sur le banc. Le Parisien René Eucher, attaquant trapu de l’AS Française, fait également ses débuts tricolores en remplacement de Sartorius. Enfin, Victor Denis (18 ans), de l’US Tourcoing, est également appelé alors qu’il ne compte aucune sélection, mais il est assigné au banc de touche.
Julien Denis et André François, absents contre la Belgique, sont rappelés tout comme Fernand Canelle, absent depuis un an, ainsi que Louis Mesnier et Julien Du Rheart qui n’avaient plus joué depuis avril 1906. Cinq Parisiens et six « Nordistes » composent donc cette équipe de France.
Le premier remplaçant
La rencontre se déroule au Prinsenlaan, stade du Sparta Rotterdam, devant 4.000 spectateurs. Comme attendu, les Néerlandais dominent largement la rencontre. Les Français résistent jusqu’à la 22e minute quand Edu Snethlage parvient à ouvrir le score. L’attaquant du Quick La Haye est immédiatement imité par Jan Thomée deux minutes plus tard. A la pause, les Bataves mènent 2-0.
En début de seconde période, à la 55e minute se déroule un petit événement : le premier remplacement de l’histoire de l’équipe de France. Le Calaisien Julien Denis, blessé, est remplacé par Victor Denis, qui se trouve être son frère. Les remplacements sont très rares à l’époque et celui-ci a été accordé par l’arbitre après consultation du capitaine néerlandais Karel Heijting. On louera la sportivité du joueur haguenais avec d’autant plus de déférence que la blessure du Français n’en est probablement pas une. Il sera confirmé, bien des années plus tard, que le Calaisien avait en effet simulé son handicap afin que son frère puisse participer à la rencontre (et honorer ce qui sera sa seule sélection). L’information sera révélée en 1949 par Victor Denis lui-même, alors devenu journaliste.
Les Pays-Bas poursuivent leur démonstration en marquant un troisième but à l’heure de jeu par Jan Akkersdijk. Les Français réduisent l’écart à un quart d’heure de la fin par André François qui reprend un ballon sur un corner tiré par Gabriel Hanot. Mais aussitôt après la réalisation tricolore, Edu Snethlage marque son deuxième but de l’après-midi et porte le score à 4-1.
La défaite en souriant
La défaite était tellement attendue qu’elle déçoit à peine les joueurs français. Le lendemain, le journal L’Auto-Vélo considérera que l’équipe de France a offert “une belle résistance” aux joueurs néerlandais. Le gardien Tilliette a été “merveilleux dans les buts” et d’autres joueurs comme Cannelle, Moigneu, Royet, François et Hanot sont cités pour leur performance. Il sera même question d’”ovations” pour Tillette et Hanot.
On en oublierait presque que l’équipe de France vient de concéder sa troisième défaite consécutive, et qu’après dix rencontres, son bilan est plutôt déficitaire avec trois victoires pour six défaites. Pour René Eucher et le remplaçant Victor Denis, ce périple hollandais sera la seule sélection de leur carrière. Pour Fernand Canelle, Julien Denis, Henri Moigneu et Marius Royet, l’aventure s’arrête également sur ce match de Rotterdam. L’équipe de France tourne la page, avec pour horizon sa première échéance dans cinq mois : les Jeux olympiques de Londres.
Pays-Bas bat France 4-1
Buts : Snethlage (22’), Thomée (24’), Akkersdijk (60’), Snethlage (76’) pour les Pays-Bas ; François (75’) pour la France..
FRANCE : Tilliette - Canelle, Moigneu - Du Rheart, Denis, Royet - Eucher, Mesnier, François, Mathaux, Hanot.
PAYS-BAS : Beeuwkes - Heijting, Van Hecking - Bekker, De Korver, Stempels - Welcker, Snethlage, Akkersdijk, Thomée, Francken.
Arbitre : Joseph Brauburger (Belgique).
4.000 spectateurs environ.
Joueur | Âge | Poste | Sél. | Club |
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Maurice Tilliette | 25 ans | Gardien de but | 1/2 | US Boulogne |
Fernand Canelle | 26 ans | Défenseur | 6/6 | Club Français |
Henri Moigneu | 21 ans | Défenseur | 8/8 | US Tourcoing |
Julien Du Rheart | 32 ans | Demi | 2/3 | Club Français |
Julien Denis | 22 ans | Demi | 2/2 | RC Calais |
Marius Royet | 27 ans | Demi | 9/9 | US Parisienne |
René Eucher | 33 ans | Attaquant | 1/1 | AS Française |
Louis Mesnier | 23 ans | Attaquant | 5/14 | CA Paris |
André François | 22 ans | Attaquant | 5/6 | RC Roubaix |
Paul Mathaux | 20 ans | Attaquant | 4/5 | US Boulogne |
Gabriel Hanot | 18 ans | Attaquant | 4/12 | US Tourcoing |
Remplaçant | ||||
Victor Denis | 19 ans | Demi | 1/1 | US Tourcoing |