Les premiers Bleus : Gabriel Hanot, joueur, journaliste et sélectionneur

Publié le 13 juillet 2023 - Pierre Cazal

Gabriel Hanot est une des personnalités les plus marquantes du football français, moins peut-être en tant que joueur qu’en tant que sélectionneur et journaliste. Mais il n’a pas d’équivalent.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
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Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?

Il est né à Arras le 6 novembre 1889, mais son père, instituteur, a été muté à Tourcoing, de sorte que le jeune Gabriel Félix a connu le professeur Achille Beltette, dont on a déjà parlé, au Lycée de Tourcoing. Il y a été formé à la pratique du football, non tant dans l’enceinte du lycée dont les préaux étaient asphaltés et qui ne disposait pas de terrain gazonné, mais à l’extérieur, avec l’US Tourquennoise, dès ses 15 ans.

La place d’ailier gauche y était tenue, et bien tenue, par Adrien Filez, de sorte qu’il a fallu attendre 1907 pour que le jeune Hanot s’y impose, profitant des absences de son aîné durant son service militaire. Il y arrive si bien qu’il est sélectionné en 1907 et 1908 dans l’équipe du Nord pour jouer contre Paris (un « clasico » avant la lettre à l’époque), puis, illico, en équipe de France à un moment où le nordiste André Billy étant devenu le grand manitou du football français en succédant à Robert-Guérin qui avait « claqué la porte ». Cette porte s’était donc ouverte en grand pour les joueurs des clubs du nord, aux dépens des Parisiens.

Des débuts internationaux à l’aile gauche

Gabriel Hanot joue les quatre matchs de 1908, qui sont autant de défaites (face à la Suisse, l’Angleterre, la Belgique et la Hollande) à l’aile gauche. L’attaque des Bleus n’est guère performante, et si Hanot est à l’origine des buts qui « sauvent l’honneur », comme on disait, face à la Belgique (il est à l’origine du pénalty tiré par Verlet) et à la Hollande (il tire le corner que François transforme en but), on ne peut pas dire qu’il y brille particulièrement. Il est rapide mais n’a pas la puissance de Filez. Or, ce dernier reprend sa place de titulaire à l’UST en 1909, ce qui oblige Hanot à se reconvertir, comme Canelle avant lui, et avec le même bonheur, à l’arrière.

Les cas d’ailiers reculant sur le terrain, et perçant en tant qu’arrière latéral ne sont pas exceptionnels : on songe à Jean Djorkaeff, par exemple, ou Bixente Lizarazu, et du reste les latéraux modernes sont quasiment des ailiers, comme Théo Hernandez ; mais Hanot n’est pas devenu arrière latéral (il aurait alors été demi-aile), mais arrière central, ce qui ne risque pas de se reproduire aujourd’hui !

Rappelons que les axiaux des années 1900 n’évoluaient pas en ligne, mais en « échelle » : l’un était dit fixe, campant en général au point de pénalty, et servant de « balayeur » ; c’était un joueur de gabarit, comme nos axiaux modernes. Plus il était grand et fort, mieux c’était, car son rôle consistait à dégager de volée le plus loin possible (et peu importait où) et à charger le possesseur du ballon qui s’approchait des cages ; l’autre arrière , dit « volant », de gabarit plus léger (Hanot mesurait 1,72 mètre et son poids n’excédait pas 70 kg) s’avançait pour intercepter les passes adverses et bloquer les attaquants du camp opposé en les empêchant de dribbler, par exemple.

Reconversion en défense centrale

C’est dans cette fonction qu’Hanot s’est rapidement distingué. Lors de Paris-Nord 1909, on relève cette appréciation : « Vite, souple, d’une adresse déconcertante, arrête toutes les balles, dans tous les sens et toutes les positions. » Plusieurs fois, on retrouve la même remarque : « Hanot arrête tout. » Et il relance, non pas à grands coups de botte, comme les autres (les avants ne se replient pas, ils sont donc éloignés des arrières qui, pour les servir, ne peuvent guère user de passes courtes, plus précises), mais en passes, car il a une bonne technique et s’applique dans son jeu de passes, dans les pieds.

Il n’a pas alors l’occasion de montrer ce qu’il sait faire en équipe de France puisque l’USFSA rompt avec la FIFA, et que l’US Tourquennoise n’est pas affiliée au CFI, qui prend la place vacante en 1909. Tout juste jouera-t-il avec l’équipe de l’USFSA contre celle de l’AFA anglais en 1910 à Ipswich (le 0-20 de triste mémoire), qui achèvera de ridiculiser l’USFSA ; ce jour-là, Filez occupera l’aile gauche et Hanot le poste d’arrière aux côtés de Charles Bilot, mais ce ne sera pas une réussite ! Par contre, il brille avec l’UST, qui remporte le championnat du Nord en 1909 et 1910, et même le championnat de France en 1910, toujours aux côtés de Filez.

25 janvier 1914, France-Belgique, Gabriel Hanot est debout à gauche, les mains dans le dos. Agence Rol (BNF Gallica)

Deux ans à l’université à Berlin

Khâgneux au Lycée Faidherbe de Lille, Hanot y prépare l’agrégation d’allemand, et s’en va à Berlin passer deux années universitaires tout en jouant au FC Preussen. En Allemagne, il a été surnommé le « Franc-Tireur », ce qui est péjoratif, qualifiant une personne qui ne se soumet pas à la discipline du groupe (« Freischärler »), parce que son jeu, tout de finesse, d’interception et de relance, n’a été ni compris ni accepté. Aussi a-t-il peu joué, mais été beaucoup remarqué pour sa différence, ses conceptions d’avant-garde. Il revient dans le Nord pour y accomplir son service militaire, à Maubeuge, en octobre 1912, et ne quittera pas l’uniforme avant… 1919 !

Ce qui ne l’empêche pas de renouer avec le football à l’UST, mais aussi en équipe de France, dès que l’USFSA a renoncé à faire sécession d’avec la FIFA, ce qui isolait ses clubs et interdisait à ses joueurs de participer à des matchs internationaux officiels. Fin décembre 1912, après des tractations tirant en longueur, l’USFSA avait fini par prendre la perche tendue par le CFI, en y adhérant sans perdre son autonomie, puisque le CFI était une « fédération de fédérations », une superstructure.

Bon prince, le CFI fit même un geste en incluant dès janvier 1913 un joueur de l’USFSA ralliée à son équipe nationale devant jouer contre l’Italie, et ce fut… Hanot, à l’arrière. Une rentrée réussie, puisqu’il y eut victoire et aucun but encaissé (1-0), ce qui ne s’était pas produit depuis 1905 ! C’était sa sixième sélection, qui fut suivie de cinq autres jusqu’à la Guerre.

9 mars 1919, Belgique-France, Gabriel Hanot est capitaine. Agence Rol (BNF Gallica)

Prisonnier en 1915, il s’évade avec un tuyau de poêle sur l’épaule

C’est que, en effet, la Guerre curieusement attendue avec enthousiasme par la population (qui s’imagine qu’elle sera courte !) survient, et elle commence mal, parce qu’Hanot est fait prisonnier en 1915 et envoyé au camp de Friedrichsfeld, près de Neunkirchen. Il y rencontre pas mal d’autres joueurs et a du coup l’occasion de continuer à jouer, mais au contraire de la plupart, ne s’en satisfait pas.

Il tente à plusieurs reprises de s’évader, et réussit la troisième fois, déguisé en ouvrier fumiste portant sur l’épaule un tuyau de poêle… Un remake de l’évasion du futur Napoléon III de la forteresse de Ham en 1846, à peine croyable mais pourtant vrai, à la seule différence que c’était une planche que Napoléon portait sur son épaule et qu’il était habillé en maçon !

Le fuyard parvient à franchir la frontière luxembourgeoise toute proche, aidé par sa connaissance de l’allemand, et à regagner son unité, où il rempile derechef ! Car un évadé n’en a pas fini avec la guerre, il doit repartir au front (ce qui explique que les candidats à l’évasion n’étaient pas si nombreux que ça, les camps de prisonniers de guerre — Kriegsgefangenen, KG — n’étaient pas des camps de concentration). Hanot, dont on ne peut que saluer le courage, s’engage dans l’aviation, arme alors naissante, et passe son brevet de pilote en 1917.

Il n’en a pas fini non plus avec le football, dont il est un « mordu ». Pendant la Guerre, les doubles affiliations étaient permises et Hanot s’engage à l’AS Française, pour pouvoir jouer régulièrement, lors de ses permissions (rappelons que le Nord est alors un champ de bataille, mais pas Paris, qui avait été sauvé de l’occupation à la fameuse bataille de la Marne).

Un atterrissage raté met un terme à sa carrière

Il a ainsi l’occasion de jouer deux matchs de l’équipe de France de Guerre (toujours tenus pour officieux), contre la Belgique en mars 1916 (1-4), tout frais évadé, ainsi qu’en avril 1917 (1-3), à l’arrière. Puis, en 1919, il rejoue à l’avant, le 9 mars contre la Belgique encore (mais en match officiel cette fois-ci), puis le 30 contre l’Armée britannique : il marque les deux buts du match nul contre les Belges (2-2), et le but français contre les Britanniques (car il y a des Ecossais, et pas seulement des Anglais dans cette équipe, 1-2). Un cas unique d’aller et retour entre deux postes aussi éloignés, l’un offensif, l’autre défensif !

Las, un capotage malheureux à l’atterrissage d’un avion qu’il pilotait occasionne une blessure au genou, qui l’empêche de rejouer, en juillet 1919 : il met donc fin à sa carrière de joueur.

Mais il reste mordu, et va tourner le dos à la carrière d’enseignant en allemand qu’il ambitionnait auparavant. Il se tourne vers le journalisme, écrit pour tous les grands titres : La Vie au Grand Air, le Miroir des Sports, l’Intransigeant, puis plus tard, Football, L’Equipe, France-Football, omniprésent, incontournable, analyste faisant autorité. Dès 1920 (dans le Miroir des Sports du 21 octobre), il prône le professionnalisme, qu’il travaillera à instaurer à la FFF : il participe à la Commission d’Étude du Professionnalisme de 1929, qui aboutit à son instauration en 1931, puis à la Commission du Championnat dont il est le vice-président, à la création de l’épreuve en 1932.

Journaliste, il invente la Coupe d’Europe et le Ballon d’Or

La frontière entre journaliste et dirigeant n’existe pas alors, et Hanot sera vice-président du GCA (groupement des clubs autorisés, sous-entendu à salarier des joueurs), ancêtre de l’actuelle Ligue, en octobre 1944. Journaliste, il lancera l’idée de la Coupe d’Europe des clubs dans les colonnes de l’Equipe, en 1955, le projet étant validé ensuite par l’UEFA, puis l’idée du Ballon d’Or, réalisée en 1956.

Est-ce tout ? Même pas ! Hanot a aussi créé les stages de formation pour les entraîneurs au début des années 30, car il faut savoir que non seulement l’immense majorité des clubs amateurs se passait d’entraîneurs encore dans les années 1920 (il aurait fallu les rémunérer…) – ce qui faisait que les joueurs s’entraînaient tout seuls, ou… ne s’entraînaient pas du tout, cas le plus fréquent — mais encore que les rares entraîneurs en fonction étaient auto-proclamés, sans autre compétence que leur expérience de joueur.

Un pas décisif a été franchi en stipulant l’obligation, pour les clubs professionnels, de salarier un entraîneur. Entraîneur qu’il a fallu former, d’où les stages créés par Hanot, qui faisait appel à des Anglais comme Kimpton, notamment, puis les sessions d’examen délivrant un diplôme, dans les années 1940 (Helenio Herrera, futur « Il Mago » de l’Inter de Milan fut major de la session 1942…).

Sélectionneur des Bleus

Et, pour couronner le tout, Hanot fut aussi sélectionneur. D’abord en 1920, membre du comité de sélection – qui en comportait cinq —, ayant plaidé (déjà !) pour l’engagement de l’entraîneur anglais Pentland afin de préparer l’équipe pour le tournoi olympique de 1920, à Anvers. Mais l’expérience fut malheureuse, ainsi que je l’ai raconté dans mon livre « Sélectionneurs des Bleus » (2020), auquel je renvoie les lecteurs ; Hanot claqua la porte, et se borna pendant plus de 15 ans à produire des critiques sans concession, dans le Miroir des Sports notamment, lors des sorties de l’équipe de France, analyste sévère, mais juste.

Au début de 1936, il plaida pour le sélectionneur unique, c’est-à-dire la fin du « comité de sélection », institution datant de 1909 et diluant la responsabilité ainsi que la gouvernance, ce dont il avait souffert. Gaston Barreau, son ex-coéquipier (et capitaine) avant-guerre, paraissant dépassé pour assumer seul ce rôle, Hanot s’en rapprocha et devint son conseiller (officieux), en particulier quant à l’application de la tactique du WM, alors nouvelle, au point d’en passer pour l’« éminence grise » entre 1937 et 1939, avec des résultats en progression.

Mais la Deuxième Guerre mondiale casse cet attelage : clairement opposé aux projets pétainistes d’abrogation du professionnalisme et de retour à l’amateurisme, mis en œuvre par les « Commissaires aux Sports » l’ex-tennisman Borotra puis l’ex-rugbyman Pascot, Hanot prend du recul là où Barreau plie. A la Libération cependant, les deux hommes se retrouvent, et Hanot est nommé officiellement cette fois-ci assesseur du sélectionneur qu’est resté Barreau. Le tandem fonctionnera avec une réussite certaine jusqu’en 1949, où tout s’écroulera à l’occasion d’une défaite face à l’Espagne (1-5).

Avec Paul Nicolas, le feu et la glace

Hanot est alors emporté par une vague de critiques concernant le WM strict qu’il fait appliquer, tandis que Barreau est curieusement épargné ; Hanot, vexé, démissionne, Barreau s’accroche, délivrant au passage le coup de pied de l’âne à son ex-complice ! C’est Paul Nicolas, l’ex-star des Bleus des années 1920, qui a fait tomber Hanot de sa chaise, les deux hommes ne s’apprécient pas du tout, et depuis Anvers 1920, lors de la première expérience d’Hanot au comité de sélection.

Ils n’ont pas les mêmes idées concernant le jeu, et Hanot sera bien forcé de reconnaître, en 1958, lorsque l’équipe de France ultra-offensive finit troisième de la Coupe du monde, que les idées de Nicolas mises en oeuvre par Batteux avaient du bon. Ils n’avaient pas le même caractère non plus, Hanot étant froid et cérébral, Nicolas plus emporté.

1958 est aussi l’année où Hanot décide de prendre sa retraite, après la Coupe du monde. Il va sur ses 70 ans, il se retire dans sa tour d’ivoire en Alsace, à Wangenbourg, où il décèdera le 10 août 1968. Dans son livre consacré à l’équipe de France, Gilles Gauthey le décrivait ainsi, en 1962 : « Toujours instinctivement en garde contre ceux qui tentent de pénétrer dans son intimité, volontiers taciturne et ne se livrant que malaisément, Hanot possédait cependant une autorité naturelle incontestable. »

Les 12 matchs de Gabriel Hanot avec l’équipe de France A

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 08/03/1908 Genève Suisse 2-1 90
2 Amical 23/03/1908 Londres Angleterre 0-12 90 premier match en Angleterre
3 Amical 12/04/1908 Colombes Belgique 1-2 90 provoque un pénalty
4 Amical 10/05/1908 Rotterdam Pays-Bas 1-4 90 passeur décisif
5 Amical 12/01/1913 Saint-Ouen Italie 1-0 90
6 Amical 16/02/1913 Bruxelles Belgique 0-3 90 première sélection en défense
7 Amical 20/04/1913 Saint-Ouen Luxembourg 8-0 90 victoire record
8 Amical 25/01/1914 Lille Belgique 4-3 90 victoire record
9 Amical 08/03/1914 Saint-Ouen Suisse 2-2 90
10 Amical 29/03/1914 Turin Italie 0-2 90
11 Amical 31/05/1914 Budapest Hongrie 1-5 90
12 Amical 09/03/1919 Bruxelles Belgique 2-2 90 capitaine et doublé (80e et 89)

Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

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Hommage à Pierre Cazal