Les premiers Bleus : Henri Moigneu, le polyvalent qui ne demandait rien

Publié le 18 août 2023 - Pierre Cazal

Avant d’être gravement blessé au combat et d’avoir échappé de peu à l’amputation, Henri Moigneu avait connu huit sélections en équipe de France entre 1905 et 1908 où sa technique et sa polyvalence étaient précieuses.

Cet article fait partie de la série Les premiers Bleus
4 minutes de lecture

JPEG - 199.3 kio

Qu’est-ce qu’une chronobiographie ?

Henri Moigneu, né le 9 août 1887 à Chevilly (Loiret), mais qui a vécu dans le Nord, fait partie de ces internationaux discrets, auxquels on ne prête pas attention. Il fut pourtant le seul, parmi les Bleus de la période USFSA (1904-1908) à connaître 8 sélections d’affilée (7 pour Pierre Allemane et Marius Royet), ce qui prouve qu’il avait su se rendre indispensable, et notamment par sa polyvalence, car il joua aussi bien arrière fixe (aux côtés de Fernand Canelle trois fois), arrière volant (aux côtés de Joseph Verlet et Victor Sergent) et demi-aile !

Formé à la Jeune France du Lycée de Tourcoing, comme Jules Dubly ou Gabriel Hanot, l’équipe scolaire montée par le professeur d’anglais Achille Beltette, il intégra son prolongement naturel, l’US Tourquennoise, au sein de laquelle il fut champion de France en 1910 et dont il devint le capitaine.

Il ébauche toutes les combinaisons

D’une taille supérieure à la moyenne de l’époque (1,71 m), Henri Moigneu était longiligne et manquait de puissance, ce qu’il compensait par une qualité technique supérieure à celle de la plupart des arrières, qui se contentaient de dégager le ballon n’importe où, en touche , dans les tribunes , où « à suivre », comme au rugby. Lui s’efforçait de la garder dans le champ de jeu : il est dit « adroit », possède un bon jeu de tête, et surtout, il « ébauche toutes les combinaisons », et « sa façon de distribuer le jeu à ses attaquants est excellente », on le qualifie de « scientifique », une expression à la mode alors pour qualifier un joueur technique et privilégiant la passe précise.

L’équipe de France avant le cinquième match de son histoire, contre l’Angleterre le 1er novembre 1906. Henri Moigneu est le quatrième en partant de la droite (Agence Rol, BNF Gallica)

_

Très tôt, dès 1906, « c’est le meilleur arrière qu’on puisse mettre dans une équipe », et en 1908 l’arbitre anglais Collier, à l’issue du match Paris-Nord, dit que « Moigneu, actuellement, est le meilleur arrière que je connaisse » (sous-entendu en France). Il est décrit comme robuste et infatigable ; en 1912, on lit que « Moigneu fait à lui seul le travail de 3 demis de classe ordinaire ; c’est un distributeur de jeu de la qualité de Ducret, sachant servir son avant démarqué. » Bref, Moigneu fait l’unanimité. Le Miroir des sports, en 1922, dans un article qui pointe les meilleurs joueurs du passé poste par poste, parle de Moigneu en ces termes : « Moigneu, auquel l’amour de son club ne permit jamais de se spécialiser à l’une des trois places suivantes : arrière, demi-aile, demi-centre, où il eût sans aucun doute brillé d’un éclat vif. »

Un modèle de capitaine

Car en effet, Moigneu, au fil des années, devint demi-centre, un poste très différent de celui d’arrière et de demi-aile, car plus offensif que défensif à l’époque. Dans le 2-3-5 classique, à savoir jusqu’en 1925 où le WM transforma le demi-centre en arrière central, le demi-centre était le pivot de l’équipe, son cerveau. Un peu à l’exemple de ce que peut être aujourd’hui un Verratti (ou antérieurement un Pirlo), le demi-centre, d’une position reculée, orientait le jeu, par des passes à ses avants ; il était au four et au moulin. Ce n’est pas pour rien que Moigneu était qualifié de « demi-centre et modèle des capitaines », en se souvenant que le capitaine, en l’absence d’entraîneur, était chargé de la tactique et commandait ses coéquipiers, lesquels lui obéissaient !

On n’a pas idée aujourd’hui de l’autorité dont jouissait le capitaine, comme à l’armée, en fait, ou sur un navire, d’où sa dénomination. Et il est exact que sa polyvalence a d’une certaine façon desservi Moigneu, qui avait toutes les qualités pour être demi-centre, mais qui n’eut jamais l’occasion de jouer à ce poste en équipe de France, et ne revendiqua jamais rien.

En équipe de France, ses trois premières sélections (Belgique 1905 et 1906, Angleterre 1906) se soldèrent par 7, 5 puis 15 buts encaissés, le dirigeant belge Louis Muhlinghaus (un des fondateurs de la FIFA) « dédouanant » cependant Moigneu : « La défense, sauf Moigneu , ne vous défend guère », ironise-t-il en 1906. Ses prestations personnelles sont plutôt bonnes (« Moigneu eut quelques bons moments, et ce fut tout », peut-on lire en 1908), mais l’ensemble est défectueux, et Moigneu n’est pas de ces joueurs décisifs qui peuvent inverser un résultat, ce qui fait qu’il n’a connu la victoire que deux fois, pour six défaites, souvent cuisantes. C’était plutôt ce qu’il est convenu d’appeler un « bon soldat ».

Une jambe raccourcie de huit centimètres

Et justement, la Guerre survenue, Moigneu se comporta en bon soldat. En si bon soldat qu’il en sortit certes en vie, mais infirme. On peut lire dans Sporting en janvier 1915 : « Blessé (en octobre 1914) et nommé adjudant, a demandé à retourner au front ; le lendemain de son retour, fut grièvement blessé de sept éclats d’obus ». En d’autres termes, Moigneu a réduit sa convalescence au minimum (deux mois) pour pouvoir rejoindre ses camarades de régiment au front, à Verdun, où un obus a failli lui emporter la jambe gauche. Il a évité l’amputation, mais sa jambe a dû être raccourcie de huit centimètres au cours de l’opération, ce qui l’a laissé infirme.

Il est mort le 1er mars 1937 à Frévent, à l’issue d’« une courte maladie », et l’hebdomadaire Football lui rend hommage en soulignant qu’il « avait été grièvement blessé à la guerre et, perdu pour le football actif, n’en continua pas moins à initier les jeunes joueurs de la Fréventine au sport du ballon rond qu’il avait tant aimé. »

Les 8 matchs de Henri Moigneu avec l’équipe de France A

Sel.GenreDateLieuAdversaireScoreTps JeuNotes
1 Amical 07/05/1905 Bruxelles Belgique 0-7 90 première défaite
2 Amical 22/04/1906 Saint-Cloud Belgique 0-5 90
3 Amical 01/11/1906 Paris Angleterre 0-15 90 plus large défaite à domicile
4 Amical 21/04/1907 Bruxelles Belgique 2-1 90 première victoire à l’extérieur
5 Amical 08/03/1908 Genève Suisse 2-1 90
6 Amical 23/03/1908 Londres Angleterre 0-12 90
7 Amical 12/04/1908 Colombes Belgique 1-2 90
8 Amical 10/05/1908 Rotterdam Pays-Bas 1-4 90

Entre 1904 et 1919, 128 internationaux ont porté au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Si leur carrière internationale est la plupart du temps anecdotique, leur vie est souvent romanesque.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Hommage à Pierre Cazal